Climat et multinationales de l'alimentaire

9 Février 2019
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C’est une thèse intéressante qu’a présenté un collectif d’experts-es réunis à l’initiative de la revue scientifique The Lancet. Y ont participé des spécialistes venus de l'université d'Auckland (Nouvelle-Zélande), de l'université George Washington (États-Unis) et de l'organisation non gouvernementale World Obesity Federation. Que dit-elle ? Que l’obésité, la sous-alimentation et le changement climatique sont les trois facettes d'une même menace pour l'humanité et qu’il faut les combattre globalement. Pour ce collectif, les multinationales de l'alimentaire doivent être encadrées comme l'ont été celles du tabac. Ces trois maux « ont des moteurs communs », selon ces experts-es : « de puissants intérêts commerciaux, une réponse politique insuffisante et un manque de mobilisation de la société civile ». La prestigieuse revue médicale britannique a publié (28 janvier) le rapport que ces experts-es ont rédigé. Ce document est la suite d'une première étude consacrée au lien entre alimentation et environnement, parue le 17 janvier dans The Lancet, dont Seronet vous a parlé. Cette étude préconisait de diviser par deux la consommation mondiale de viande rouge et de sucre et de doubler celle de fruits, de légumes et de noix, rappelle l’AFP. Issu des travaux de 43 experts-es de quatorze pays, le nouveau rapport enfonce le clou : « Ces 20 dernières années, obésité, dénutrition et changement climatique ont été considérés séparément et la lenteur des réponses politiques [à ces fléaux, ndlr] est inacceptable ». « Ces trois phénomènes interagissent : le système alimentaire est non seulement responsable des pandémies d'obésité et de dénutrition, mais génère aussi 25 à 30 % des émissions de gaz à effet de serre », assurent les spécialistes, qui pointent en particulier « l'élevage de bétail ». Selon ce rapport, le système de production alimentaire (fondé sur des « multinationales de la nourriture et de la boisson focalisées sur les profits »), les politiques agricoles, les modes de transport dont l’auto (qui poussent à faire moins d’efforts physiques) et l'urbanisation sont donc les différents maillons d'une même chaîne, qui étrangle l'humanité et la planète. En quoi le climat entre-t-il dans cette équation ? C’est assez simple à comprendre indique le collectif. « Sous-alimentation et obésité vont sans doute être considérablement aggravés par le changement climatique », prédisent les experts-es.  Les phénomènes climatiques extrêmes, comme les sécheresses, pourraient à la fois priver certaines populations de nourriture et faire monter le prix des fruits et légumes, ce qui augmenterait la consommation d'aliments industriels. « Il faut prendre conscience de ces connexions », plaide l'une des auteurs-es du rapport, le professeur Corinna Hawkes, en prônant une réponse globale. Cette réponse combinerait politiques de santé publique (recommandations en faveur de régimes alimentaires sains, promotion de l'activité physique, etc.) et des politiques budgétaires et fiscales (financement de modes de production durables, taxes pour faire baisser la consommation de viande rouge ou favoriser le transport non-motorisé, etc.). Pour les auteurs-es du rapport, les multinationales de l'alimentaire (le collectif utilise l’expression « Big Food ») doivent être encadrées de la même manière que celles du tabac. Ils proposent la création d'une « Convention-cadre sur les systèmes alimentaires », calquée sur la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLA). Ce texte, adopté en 2003 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), vise à réduire la consommation de tabac mais aussi à lutter contre le lobbying de cette industrie pour limiter son influence sur les politiques publiques, y compris de santé. Et le lobbying alimentaire a d’énormes moyens pour défendre les intérêts du secteur. « En 2016-17, le secteur des boissons sucrées aux États-Unis a dépensé 50 millions de dollars en lobbying pour contrer des mesures destinées à diminuer la consommation de sodas », selon le rapport. « La nourriture est évidemment différente du tabac, puisqu'elle est indispensable à la vie, mais ce n'est pas le cas des aliments mauvais pour la santé », fait valoir l'un des auteurs, le professeur William H. Dietz. « Les points communs (entre l'industrie de la malbouffe et celle du tabac) sont les dégâts qu'elles provoquent et le comportement des entreprises qui en tirent profit », ajoute-t-il. Selon l'OMS, 1,9 milliard d'adultes dans le monde sont en surpoids, dont 650 millions sont obèses, ce qui est un facteur de risque pour le diabète, les maladies cardio-vasculaires et le cancer. Dans le même temps, 462 millions d'adultes souffrent de maigreur dans le monde du fait de la sous-alimentation.