Dessine-moi un désert médical

Publié par Ferdy le 26.12.2012
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Si rien n'est fait, le désert médical risque de s'étendre jusqu'aux zones péri-urbaines.

Le problème rencontré mérite que l'on s'y attarde deux minutes. Qu'observons-nous ? Des centres-ville où il fait bon être malade même le week end. Les grandes agglomérations arrivent en tête, suivies de près par la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Dans le même temps, il sera extrêmement difficile d'obtenir un rendez-vous avec un généraliste même un jour ouvré dans un large secteur éloigné d'une sous-préfecture infertile. Pourquoi ?

N'allez pas vous imaginer que la population rurale serait plus robuste. La vie au grand air, les remèdes de grand-mère et tout le toutim. Foutaise. C'est simplement que ce genre de campagne n'offre que peu d'attrait au jeune praticien, qui n'aura pas sacrifié quinze ans de son existence pour croupir dans un coin paumé, sans cinéma, sans théâtre, sans opéra, sans restaurant, bref, sans rien. Un brave vétérinaire pourra alors tout aussi bien veiller à la santé du troupeau et soigner, au besoin, l'angine du petit. Ou, comme on dit de par chez nous, qui sauve un bœuf sauve un veuf.

Notre Comité d'experts, réuni en conclave à Biarritz, s'est penché sur ce douloureux problème. Ses conclusions sont formelles : le problème essentiel de la désertification médicale relève principalement de l'offre des loisirs trop inégalement répartie sur l'ensemble du territoire.

Après avoir rapidement fait allégeance au serment d'Hippocrate (soit un texte remontant au IVeme siècle avant J.-C.), notre jeune et fringant médecin généraliste aspire à une vie normale, en couple et/ou en compagnie de ses enfants, et jouir de son temps libre autrement qu'à titiller le goujon ou à s'égosiller au bar-tabac devant un karaoké spécial Mike Brandt.

Le samedi après-midi, il aimerait pouvoir aller faire quelques emplettes, tester un nouveau resto végétarien, découvrir le dernier Jacques Audiard, recevoir des amis ou buller devant son écran. Enfin, mince, vivre comme tout le monde quoi.  

Or, quelle perspective lui propose-t-on à Grignant-les-Ponts ? Passé 21 heures, tout est fermé, enfin tout ce peu, l'épicerie, l'auberge, le bowling, la pizzéria. En banlieue, il ne se sent pas tranquille. Les pneus crevés, il connaît, les dealers dans les escaliers aussi, en cas d'urgence, même les pompiers ne s'y déplacent qu'escortés par le GIGN. Et puis, se lever au milieu de la nuit pour une fracture du col du fémur ou un arrêt cardiaque, franchement, ce n'est pas ça qui stimule son appétit conquérant.

Comme il le reconnaît lui-même, le jeune praticien libéral se fiche un peu du montant de ses revenus, pourvu qu'ils soient supérieurs à huit fois le SMIC. Et on le comprend. Il n'aura pas sacrifié toute sa belle jeunesse pour exercer finalement son art dans un bled dépeuplé, goguenard et sans le sou. Si c'est pour croupir avec une Twingo d'occaz, dans un pavillon insalubre, autant aller tout de suite aux Restos du cœur.

Aucune recette ne semble adaptée. En son temps, la droite avait mollement caressé l'idée de contraindre les jeunes diplômés à s'aventurer au-delà du périph. Tollé ! Sans négliger une réserve électorale potentiellement acquise (source invérifiable), l'obligation à l'exil rural sonnait comme une loi scélérate, pour ne pas dire d'inspiration ouvertement bolchevique. La dernière trouvaille émanant du ministère de la Santé, faisant miroiter un revenu minimum garanti de 4.600 euros net mensuel, ne semble pas suffisamment attrayante. Tout ça, rappelons-le, pour jouer au bon docteur à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, aux bons soins d'une population autochtone clairsemée dont on ne comprend pas le dialecte...

Il faut donc se résoudre à traiter le mal à la racine. Et autant le reconnaître tout de suite, tant que les pouvoirs publics n'auront pas décidé d'installer la ville à la campagne, comme le bon sens le voudrait, toutes les mesures incitatives aussi généreuses ou inspirées soient-elles ne combleront en rien l'espèce d'aridité morbide qui frappe les zones désertées.

C'est en concevant un plan national ambitieux d'urbanisme, associé à un vaste projet culturel, gastronomique, hôtelier, climatique (la mer à la campagne, ça oui, ça aurait de la gueule), des casinos, avec son lot de grandes fortunes névrosées, hypocondriaques comme on en croise à Monaco, ses parcs à thème, ses collèges huppés, ses universités d'excellence, son parc industriel dynamique et juteux, qu'il sera envisageable de faire reculer le désert médical jusque dans la Creuse et même le Limousin.

Un peu d'audace ! Certes, la situation économique est désastreuse, raison de plus pour investir dans l'avenir. Les cabinets médicaux se trouveront en abondance, dès lors que la ville aura eu raison de cette morne campagne sans attrait, sans confort, sans loisirs, sans le moindre petit embouteillage, sans vie nocturne (ni diurne), sans bar à sushis, sans avant-première, etc.

Tant que la vie rurale se définira ainsi en creux, dans ce morne défilement de clichés archaïques pour bobos secondaires, il sera aussi improbable de voir apposé un caducée sur le pare-brise d'un tracteur que de cultiver du riz dans le Sahel.

Commentaires

Portrait de frabro

Portrait de frabro

Un petit mot d'abord pour saluer le retour de mon turbuleur préféré qui nous prouve une fois encore son talent d'écriture, et qu'il n'a rien perdu de l'acuité de son regard et du mordant de sa plume après quelques semaines d'absence.

Le désert est déjà aux portes des villes. J'habite l'agglomération creilloise, dans le sud de l'Oise, à 35 mn de Paris par le train, et terminus du RER D. Zone "défavorisée" par excellence,principalement composée de zone urbanisées dans les années 60/70 façon grande banlieue.

Or, dans cette zone, un tiers des médecins généralistes seront partis à la retraite dans les cinq ans qui viennent, et elle est déjà considére comme sinistrée sur le plan des médecins spécialistes, ce qui provoquie un exode médical des patients  vers l'aggomération parisienne et un dramatique engorgement de l'hôpital de Creil qui est par aileurs l'un des plus endettés de France.

Les bobos s'arrêtent pour leur part à dix kilomètre d'ici, à Chantilly et ses villages périphériques, où le prix des terrains et de l'imobilier est exhorbitant.

Devant recruter un médecin pour l'un des établissements que je dirige, je ne vois arriver que des candidatures de médecins venant d'autres pays : Maghreb, Europe centrale, Espagne ; et je suis bien content de les trouver, espérant que parmi eux il y aura celui où celle dont nous avons besoin.

Ce gâchis est le résultat d'une politique de formation restrictive et élitiste qui dure depuis plus de quarante ans. La France cultive le paradoxe de se vanter d'avoir " le meilleur système de santé au Monde" et de ne plus avoir assez de médecins pour le faire fonctionner.

François

Campagnard résolu et pas résigné

Portrait de anjely

Ce n'est pas seulement en France que ce phénomène existe: ici en Allemagne nous avons le même problème: les jeunes médecins ne veulent plus aller à la campagne.

Beaucoup des medecins généralistes dans les zones rurales prendront bientot leur retraite et n'arrivent pas à trouver un successeur.