Hôpitaux promoteurs de santé : un mouvement "groupusculaire" ou d’avenir ?

Publié par Denis Mechali le 28.09.2013
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J’ai entendu parler il y a assez longtemps, dans les années 2000 ou 2001, du mouvement international dit des "Hôpitaux promoteurs de santé". Il s’agissait d’un mouvement soutenu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), réunissant des hôpitaux de divers pays européens, se donnant des objectifs de "promotion de la santé". Quand on regardait ce qui se cachait derrière cette phrase un peu mystérieuse ou pompeuse, on trouvait des choses finalement assez simples et de bon sens, et, à partir de là, des modalités d’organisation plutôt concrètes. Tout partait de la fameuse définition de la "santé", vue non pas comme seulement une absence de maladie, mais comme un état de "bien être", qui suppose de régler, ou maitriser, des éléments de confort du corps, de l’esprit, des relations sociales et d’échanges, donc d’un accès à l’information.

La santé comme capacité de participer aux décisions qui nous concernent, en tant qu’individus, en tant que personnes singulières, mais aussi comme capacité d’accepter ou de refuser, sans être soumis, soit par obligation, soit faute d’informations ou de possibilité de comprendre vraiment l’ensemble des enjeux ou des risques.

Evidemment, un soignant du sida en France, comme moi, avait plus de raisons que d’autres de s’intéresser à ce type d’objectifs !

En 1986, à Ottawa, une réunion avait déjà abouti à une charte définissant les principes et quelques grandes modalités de la promotion de la santé, amenant logiquement à proposer une collaboration large des techniciens, divers, de la santé, des usagers, de la communauté, en lien avec les politiques… Au fil des années, cette idée a été approfondie pour s’appliquer aussi aux hôpitaux, puis pour introduire un coin concret, au sein d’un monde de la santé toujours plus technique, et toujours plus soumis aux contraintes économiques et de la rentabilité. Une conférence à Vienne en 1997 a abouti à une Déclaration, précisant les droits des personnes soignées en matière d’éducation thérapeutique, d’implication dans des programmes sanitaires. En 2002, en France, la Loi Kouchner dite des droits des malades a aidé à changer la donne entre soignants et soignés. En 2005, l’OMS a encore repris cela, en rappelant que la qualité d’une vie individuelle comportait aussi le bien être mental et spirituel. L’idée du Réseau international d’hôpitaux se donnant, idéalement dans leur fonctionnement global, ou au moins pour certains secteurs, certaines actions, ce type d’objectifs, a été logiquement défendue, avec l’objectif de la tache d’huile : A plusieurs, on est plus fort, plus organisé, davantage entendu et capable de convaincre. Dans les années 1995, on y était, cela démarrait ! Un certain nombre d’hôpitaux de plusieurs pays européens ont  commencé à s’organiser, se regrouper, se retrouver chaque année pour faire un point collectif. Au sein du monde gigantesque de la santé, certains thèmes se sont plus facilement prêtés à ce type de visions et d’actions : les maladies sexuellement transmissibles, le sida, surement, mais aussi les problèmes liés aux addictions, tabac ou alcool, les pathologies psychiatriques, pédiatriques, gériatriques, des maladies chroniques impliquant des actions dans la durée et liées à la vie quotidienne comme le diabète, ou les suites d’un accident cardiaque.

Depuis 2005, le mouvement se mondialise : le Canada, le Québec notamment en 2005, puis quelques pays d’Asie, l’Australie, etc.  Les rencontres annuelles ont quitté l’Europe pour la première fois en 2012, pour aller à Taïwan, en 2012. On en est actuellement à 40 pays et environ 900 hôpitaux membres de ce réseau. Pas d’emballement cependant ! Cela reste très minoritaire, et difficile à développer ! Et, pour la France, cela reste, sinon confidentiel, en tout cas, franchement marginal !

Quelques hôpitaux pionniers, de Paris ou de province, se sont manifestés dans la période des années 1997… Début 2000 a été proposée l’idée d’un regroupement d’hôpitaux accueillants pour les migrants, se donnant ce type d’objectifs d’une vison large de la santé, d’attention aux problèmes juridiques, sociaux, linguistiques, des personnes concernées, avec des programmes de santé montés autant que faire se peut avec les personnes concernées, directement ou via des associations, pour faciliter l’appropriation des recommandations médicales… J’avais entendu parler de cela, et pensé que l’hôpital où je travaillais, Saint-Denis, se prêterait très bien à ce fonctionnement, et bénéficierait de ces soutiens et labels. Echec total !  Je n’avais intéressé personne chez mes collègues, l’administration, les réseaux de soin auxquels je participais.

Par chance, une minorité agissante à l’hôpital Avicenne de Bobigny a répondu à la demande, et a été, quelques années, l’hôpital représentant la France, sur ce créneau d’hôpital friendly, amical ou accueillant pour les migrants. Et une réalisation est toujours vivante en 2013, pour ce sympathisant extérieur que je suis : un groupe pluridisciplinaire avec des docteurs divers, s’occupant du sida, ou des psychiatres et des éthno psy, mais aussi des infirmiers, travailleurs sociaux, des aumôniers, de trois religions au moins, et quelques associations de patients a été formé, continue de travailler et d’échanger, et de proposer, tous les ans, des rencontres avec thèmes de réflexion divers, comme le soin et le vieillissement des migrants. Ces rencontres annuelles qui font réfléchir, posent des problèmes, font état de solutions souvent innovantes, attirent, tous les ans, beaucoup de monde :  une grande salle de 400 places, à Avicenne, est le plus souvent archi pleine, avec un public varié dans la composition et les âges.

Mais, en dehors de cela, je n’avais plus entendu parler de ce mouvement, et j’ai donc été intéressé par un numéro spécial de la revue de l’INPES (l’institut national de prévention et éducation pour la santé), paru en juin dernier, qui faisait, lui-même, état d’une session spéciale sur ce thème lors d’une rencontre annuelle.

De fait, cela n’est pas simple ; même des hôpitaux particulièrement engagés dans la démarche, motivés et actifs, comme l’hôpital de Dreux, ont eu un passage à vide dans les années 2008/2009, pour concilier les évolutions d’organisation et de budget, liées aux nouvelles Lois concernant les hôpitaux et les territoires, la loi dite HPST, et la fameuse tarification à l’activité dite T2A, assez meurtrière pour toutes les activités transversales, et non liées à la technique médicale, comme justement ce type de préoccupations larges concernant la santé, et l’implication décisionnelle possible des usagers.

En 2012, donc tout récemment, l’INPES a repris le flambeau, s’est donné comme objectif de réanimer le réseau. Cela démarre tout doux !

La chargée de mission faisant son compte rendu, en juin 2013, écrit (je cite) : "Les actions de promotion de la santé dans nos établissements semblent avoir du mal à se développer, et en tout cas, elles sont peu visibles, peu valorisées, et reconnues"… Comme toujours, il y a, ici ou là, quelques irréductibles Gaulois, ou acteurs minoritaires, ou précurseurs (va savoir !) faisant état d’actions remarquables, encourageantes. Vrai patchwork dans les lieux : Perpignan, Dreux (encore), la basse Normandie, la région Aquitaine, Paris via l’hôpital d’enfants Necker, ou  Sainte Anne pour des pathologies psychiatriques, etc. Et patchwork aussi pour la diversité des thèmes possibles, des âges concernés, les modalités concrètes de ces projets qui tissent les personnes concernées, les soignants divers, d’hôpital, mais aussi "de ville", les associations, des responsables politiques…. Le préventif et le curatif, le médical et le social.

Dans cette complexité, de l’ordre peut être mis : Guides méthodologiques, rencontres, formations, tutorats (pour les passages de génération entre anciens, motivés et formés, et jeunes ou nouveaux qui prendront le relais… s’ils le veulent !).

Au-delà des guides méthodologiques, il y a quelques nécessités, ou secrets de construction et de longévité : travail transversal à la fois organisé, obstiné, et souple. Délégations de gestion et fonctionnement aussi "dé-hiérarchisé", aussi horizontal que possible, pour permettre l’expression de chacun, l’utilisation des personnes ressources, le décloisonnement, et les échanges, les passerelles de collaboration avec des structures ou dispositifs existants et financés par ailleurs, comme les dispositifs d’éducation thérapeutique lié à une pathologie donnée.

Le monde de la santé continue sa crise ; le monde de l’hôpital continue la sienne ; les réorganisations, les décloisonnements divers, en particulier entre le sanitaire et le social, entre les prises en charge solidaires, et celles qui vont redevenir privatisées, donc aisées pour les riches, et dures ou inaccessibles pour les pauvres. Tout cela est en cours.  Les initiatives comme celles des hôpitaux promoteurs de santé sont ambiguës dans leur utilité : cela peut souligner les lignes de force ou de cohérence d’un hôpital donné dans les priorités et modalités d’organisation, jouer un rôle pédagogique ou d’accélération d’évolutions.

Cela peut rester des actions ultra minoritaires et fragiles, au sein d’un système à la logique différente, toujours plus technique, et toujours plus soumis aux impératifs de rentabilité. La crise comme catastrophe annoncée, ou comme excellente opportunité de changement ? Le présent comme cette "zone grise entre un passé qui se meurt, et un futur qui tarde à  apparaître" comme disait (je crois) Gramsci… Va savoir !

Commentaires

Portrait de itzigani

Merci pour cet article. Je comprends de mieux en mieux le fonctionnement de ces structures publiques, qui dépendent trop de "choix" financiers et politiques. La solidarité se paye. Et se sont les plus faibles qui payeront les premiers de part leur vie. Espérons qu'il y est effectivement un sursaut d'initiatives, tous et toutes ensembles.

Portrait de lounaa

Dr Mechali merci , votre billet effectivement nous fais comprendre ce fonctionnement.

Heureusement que il reste des personnes humaines,

vous avez fait partit de ceux qui font de leur mieux pour lutter contre cette misère de notre monde.

J'espère que d'autres prendront exemple sur vous, et que le relais suivra .

Oui Itzigani ce sont les plus faibles qui meurent le plus .

Moi aussi j''aimerai que ensemble on essaient à notre petit niveau de faire aussi quelque chose .

L'égoïsme c'est une horreur, gardons espoir .

Prenez soin de vous , vous êtes rares et trop précieux Dr Mechali ,

J'ai connu autrefois en Arles un  médecin généraliste , le Dr Jaques Olivary qui avait aussi un coeur en or,

Il soigner les marginaux, les sans papiers, et les pauvres gratuitement, 

Tant d'années après je pense souvent, souvent à lui. .

Je l'aimais énormément pour l'amour de l'humanité qu'il avait en lui. Il ma beaucoup appris de la vie ,

Heureusement que il y à des hommes comme Vous et Lui .

Que dieu vous garde, vous les hommes bons.

Portrait de fp

Ce qu'il faut rétablir, ce sont les dispensaires bien sûr revus à l'aune de 2014. Ils ont existé après la Seconde Guerre mondiale. Ils ont contrecarré l'extension des épidémies de type tuberculose, variole, rougeole, coqueluche... et même rubéole en 1954, notamment. Ces dispensaires étaient au plus près des populations, dans les quartiers. Aujourd'hui, beaucoup de Français ne se font plus soigner non pas parce qu'ils n'en ont pas les droits mais parce que les structures de soins sont inaccessibles, géographiquement parlant. De plus en plus d'entre eux recourent aux services spécialisés au stade terminal d'un cancer du sein ou d'un cancer colorectal, par exemple. En Espagne, ces dispensaires existent. Ils sont même la cheville ouvrière de la Médecine. Ils se sont étoffés. Ce sont des collèges de médecins. Il n'y a pas de consultation individuelle mais par le collège. Des infirmiers, des kinés, des psychologues... sont présents. Un système de radiologie simple mais efficace est immédiatement disponible. Le service d'accueil et le secrétariat sont extrêmement efficaces. Il n'y a pas plus d'une demie heure d'attente entre l'arrivée et la prise en charge. Si le cas dépasse le stade de la bobologie, immédiatement un service ambulancier prend en charge la personne pour la conduire vers le service d'urgences de l'hôpital le plus proche. En cas d'extrême urgence, un hélicoptère peut atterrir sur une zone directement à proximité.

Assez de paperasse, des actes ! C'est par les cliniciens, par un contact humain que l'éducation se fait. Pas par des brochures ou je sais quoi. Ceux qui sont les plus éloignés des structures de soins le sont aussi des sources d'information ou les évite. Il faut aller à leur rencontre. C'est le boulot d'un authentique médecin et pas d'un médecin bureaucrate.