Éloge de l'héroïsme ordinaire

Publié par Ferdy le 27.04.2011
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En lançant une série consacrée à des "héros ordinaires", l'excellent site d'information Rue89.com, se propose de rafraîchir la notion héroïque traditionnelle (d'origine militaire, classiquement associée au mythe d'un "demi-dieu"), pour l'étendre à des actions alternatives, apparemment modestes, portées par des anonymes lesquels, sans prétendre révolutionner le système, sèment de petites graines qui participent à modifier la fatalité de certaines situations apparemment inextricables.

Pour son premier témoignage, la rédaction avait retenu l'histoire de cet avocat d'affaires parisien, Joël Catherin, bobo ordinaire qui, à 38 ans, totalement impliqué dans son business très rentable, croise chaque jour, dans son quartier cossu de La Madeleine, une pauvre femme roumaine. Ioana, paysanne ridée qui a fui son pays après la chute de Ceausescu et la fin des kolkhozes. Elle ne parle pas un mot de français et en est réduite à la mendicité sur une grille d'aération du métro.

L'avocat discret, habile manipulateur des formules percutantes au sein du prétoire, possiblement mal à l'aise dans son statut privilégié, se décide un jour de remettre à cette femme toujours souriante un bout de carton sur lequel il a écrit au feutre noir : "Je pourrais être votre grand-mère". Sans en comprendre le message, la vieille femme pose le carton à ses pieds et récolte dans la même journée des sommes bien supérieures à celles qu'elle recevait la veille.

De ce jour, Joël Catherin se lance avec méthode dans la rédaction et la distribution de ces pancartes qu'il distribue aux SDF qui les lui réclament. Il ira même emprunter, sans le savoir, une formule appartenant à Pierre Dac : "Parti de rien, arrivé nulle part". Une autre résume la détresse enfouie : "Une histoire à coucher dehors"...

A la suite de la diffusion de cet article, Rue89 a reçu de nombreux commentaires indignés. Comme quoi Seronet n'a pas le monopole de ces railleries outragées qui viennent régulièrement ponctuer blogs, forums et articles d'avis discordants... En gros, certains internautes lui ont reproché d'avoir choisi cette forme d'action plutôt qu'une autre, mais les critiques les plus véhémentes, et pour son auteur les plus blessantes, laissaient planer la suspicion autour d'une instrumentalisation des SDF pour faire sa propre pub.

C'est pour cette raison qu'il avait d'abord hésité à accepter l'article, ainsi que le court-métrage de fiction que son ami Bernard Tanguy a réalisé à partir de cette expérience (*).

Il ne saurait pourtant exister aucun conflit d'intérêts entre cet engagement sincère qui relève d'une initiative intime, dont le déclic trouve probablement son origine dans le constat d'une impuissance coupable, et la médiatisation assez dérisoire d'un acte qui surfe entre la candeur et la repentance.

Cette société serait-elle devenue à ce point corruptible ou corrompue, pour que chaque initiative désintéressée soit immédiatement suspecte aux yeux des fatalistes qui s'accommodent, tant bien que mal, de l'inaction générale afin de calomnier celui ou celle qui, dans l'humilité de son acte, participe à modifier sans pouvoir la résoudre une part infime de la souffrance humaine ?

Les véritables héros infra-ordinaires de cette histoire demeurent ces milliers de laissés-pour-compte, le plus souvent assimilés à du "mobilier urbain".


(*) "Je pourrais être votre grand-mère", court-métrage de fiction (19 min.), réalisation : Bernard Tanguy, bientôt diffusé sur France 3.

Commentaires

Portrait de Ferdy

Le poids des maux, soumis par Jako44 dans son blog :

http://www.seronet.info/billet_blog/le-pouvoir-des-mots-37640

(à méditer...)

Portrait de romainparis

tout en sollicitant les autres... comme si tout leur était dû.

Petite histoire : Hier, ce fut ma journée porteur de poussette dans les escaliers du métro, 3 en un jour, presque un record ! La dernière m'a étonnée. Une femme me demande mon aide pour descendre sa poussette et en cours de chemin me dit cherchant une justification :

- Ce n'est pas pratique ces escaliers.

- Oui, la RATP se s'est toujours pas adapté à certains cas, lui répondis-je.

- Vous ne pouvez pas savoir, vous n'en avez pas ! me lance-t-elle en désignant son enfant.

- C'est vrai, je n'en ai pas.

Je me tais et termine la descente jusqu'au bout. Elle me remercie.

- Mais de rien, je ne suis qu'un handicapé qui vient de vous aider.

Et je suis parti, l'entendant grommeler quelque chose que je n'ai pas compris. A-t-elle retenu la leçon ? Je ne sais pas. J'espère qu'elle aura compris que lorsqu'une personne vous aide, vous ne lui crachez pas dessus avec un "vous ne pouvez pas savoir". 

Portrait de frabro

"A la suite de la diffusion de cet article, Rue89 a reçu de nombreux commentaires indignés. Comme quoi Seronet n'a pas le monopole de ces railleries outragées qui viennent régulièrement ponctuer blogs, forums et articles d'avis discordants... En gros, certains internautes lui ont reproché d'avoir choisi cette forme d'action plutôt qu'une autre, mais les critiques les plus véhémentes, et pour son auteur les plus blessantes, laissaient planer la suspicion autour d'une instrumentalisation des SDF pour faire sa propre pub."  Ferdy

 "Et je suis parti, l'entendant grommeler quelque chose que je n'ai pas compris. A-t-elle retenu la leçon ? Je ne sais pas. J'espère qu'elle aura compris que lorsqu'une personne vous aide, vous ne lui crachez pas dessus avec un "vous ne pouvez pas savoir". Romainparis

 

J'ai selectionné ces extraits des billets ci-dessus parce qu'il ont particulièrement fait résonner dans ma mémoire mon vecu sur Seronet, ou lors d'engagements associatifs précédent. La sincérité de celui qui agît et son désinteressement sont souvent mis en doute par ceux là même à qui ils viennent en aide comme par ceux qui assistent non en acteurs mais en spectateurs. Par ailleurs, lorsque l'on est identifié comme susceptible de venir en aide, ceci devient aux yeux des mêmes une obligation permanente vite transformé en reproche de ne rien faire pour tel ou tel demandeur.

C'est ainsi que nous glissons de "l'héroîsme ordinaire" à "l'héroïsme obligatoire", qui fait que ceux qui sont moins favorisés par la vie et en réelle difficulté considèrent l'assistance que nous pouvons leur porter non comme une possibilité mais comme quelque chose qui leur est dû.

 Je considère pour ma part qu'il m'appartient d'agir comme je l'entends, auprès de qui je veux, et au rythme qui me convient. Je ne souhaite pas être un héros ordinaire, et encore moins un héros obligé.

Et parfois même, je réclame le droit d'être un héros fatigué...

François 

Portrait de jean-rene

La question n'est pas là Frabro.
Le problème, c'est que toute aide recèle en elle-même, quoi que fasse l'aidant, une part d'humiliation pour l'aidé(e).
La réaction de l'aidé(e) à cette "humiliation" dépend de son état psy au moment de l'aide et peut se traduire, effectivement, par un rejet de l'aidant, à la plus grande surprise et au plus grand découragement de ce dernier.

Je l'ai vécu, c'est comme ça. On n'y peut pas grand chose.

Portrait de cosmoss

La sincérité, la bonne volonté, ne garantissent contre aucune dérive, notamment des

risques d'impéritie et d'autocratie.

J'ai pu le constater à Aides, notamment par des volontaires et des salariés qui fonctionnaient davantage dans une relation d'assistanat que de partenariat avec les personnes usagers de l'association. Et les dégâts engendrés ainsi auprès du public accueilli étaient réels. Ce qui a conduit, de façon assez logique, à une baisse  significative de fréquentation des deux locaux de l'association dans ce département.

ps :  je pense que lorsque l'on "aide" (je préfère le terme "accompagner") quelqu'un ou un groupe de personnes, on en retire toujours un bénéfice personnel, quel qu'il soit, ce qui n'a en soit rien de négatif ou de condamnable. Bien au contraire, cet échange est bien l'une des clés de l'aspect irremplaçable des relations humaines.

Portrait de jean-rene

Oui Cosmoss mais, lorsque Romain dit à une personne qu'il a aidée à descendre sa  poussette dans le métro :"oui, la RATP ne s'est toujours pas adaptée à certains cas", il a bien une attitude de "partenaire" et pourtant il s'en prend plein la g.....
Portrait de maya

avoir été de l'autre coté de la barrière...ceux qui demandent, dans la honte souvent de l'aide, c'est humiliant de demander vous n'imaginez pas...

et la réponse de jr me parait la plus construite :

"Le problème, c'est que toute aide recèle en elle-même, quoi que fasse l'aidant, une part d'humiliation pour l'aidé(e).
La réaction de l'aidé(e) à cette "humiliation" dépend de son état psy au moment de l'aide et peut se traduire, effectivement, par un rejet de l'aidant, à la plus grande surprise et au plus grand découragement de ce dernier.

Je l'ai vécu, c'est comme ça. On n'y peut pas grand chose."

  trop justement dans le vif du sujet ces derniers mois pour réussir à en parler avec détachement mais c'est une vraie souffrance humiliante que la précarité ..

bien à vous,

Portrait de lilit88

pas grand'chose à rajouter(si je réitère le plaisir que j'ai de lire les lignes écrites par ferdy ,merci à toi) ,peut ètre mon petit grain de sel d'étre qui connait les deux statuts ,aidant et aidée....

pour le statut d'aidant ,j'y vais sans réfléchir ,je me suis déjà fait jetée mais je recommence sans aigreur (notamment de manière spectaculaire par un aveugle qui m'a dit y voir aussi bien que moi à sa façon....que répondre à ça : rien,tant pis ,je m'étais trompée),tout simplement parce que quand j'aide quelqu'un ,je n'attends rien.

pour le statut d'aidée,j'y vais à reculons,maudissant mon manque de force,mon manque de "courage" ,peu empathique avec moi même pour dire vrais......comme pas mal d'entre nous,non? 

Portrait de frabro

Ou Je, Tu, Il, Nous...

Lorsque "Je" m'exprime ici, J'exprime ce que l'article de Ferdy et le premier commentaire de Romain on suscité en "Moi" comme réaction, et J'exprime "Mon" ressenti et "Mes" sentiments. Chacun peux faire de la même façon et exprimer "Son" sentiment, "Son problème", "Sa" question.

Mais personne ne peut me dire "la question n'est pas là..." puis que moi seul sait ce que je ressens et veux exprimer. 

 J'ai été en situation de difficulté dans le passé et j'ai demandé de l'aide, je sais aussi ce que l'on peut ressentir dans ce cas. Aujourd'hui je suis plus souvent en situation d'aider que de l'être, et c'est en cette position que j'écris mon billet.

Chacun est libre de demander ou non de l'aide, ou de la refuser si elle est présentée alors qu'il ne l'a pas sollicitée. Mais la solliciter ou l'accepter  et attaquer ensuite l'aidant est pour celui-ci innacceptable, surtout lorsque cette situation se répète. En tant qu'aidant, je n'attends rien en retour que ma propre satisfaction d'avoir fait ce que j'estimais devoir faire. 

Portrait de maya

qu'il est bien plus facile de "je' quand on est du bon coté de la lorgnette...

j'ai souvent été du mauvais coté , soit dans la galère et en général "JE" ne m'en vante pas, comme on peut se vanter d'aider... c'est juste humain...

Portrait de sonia

C'est juste bien dit !Clin d'oeil

Portrait de frabro

La lorgnette dans l'oeil on dit AÏE

Mort de rire

Loin de moi l'idée de ma vanter, je faisais juste remarquer que je ne dis pas "tu ne penses pas bien" mais "je pense comme ceci..."

 Je n'ai pas honte de dire que sans l'aide de ma famille pendant les deux années ou j'ai été trop mal pour subvenir à mes besoins je serais probablement mort depuis 15 ans.

 J'illustre aussi ce paragraphe de Ferdy :

Cette société serait-elle devenue à ce point corruptible ou corrompue, pour que chaque initiative désintéressée soit immédiatement suspecte aux yeux des fatalistes qui s'accommodent, tant bien que mal, de l'inaction générale afin de calomnier celui ou celle qui, dans l'humilité de son acte, participe à modifier sans pouvoir la résoudre une part infime de la souffrance humaine ?"

Portrait de aurore

 Je reprends Frabro, et le rejoins dans sa phrase, pour en avoir eu l'expérience, dans ma période "bénévolat"

 Par ailleurs, lorsque l'on est identifié comme susceptible de venir en aide, ceci devient

 aux yeux des mêmes une obligation permanente vite transformé en reproche de ne rien faire pour tel ou tel demandeur.

Etre susceptible d'aider n'est pas une obligation PERMANENTE d'aider, certains ne font pas la différence

Portrait de maya

je comprends mieux ton texte frabro

je dirais que la famille, ça ne compte pas, il est "normal  " qu'elle soutienne.

ca devient plus dur quand on n'en a plus et qu'on est contraint de demander des aides autres mais c'est un vaste débat, j'irai jusqu'à dire douloureux pour qui est dans la précarité, d'ailleurs les exemples ne fleurissent pas ils sont tous dans l'autre sens (de la lorgnette ;-)

Portrait de lounaa

courage , et ne compter que sur vous memes bises
Portrait de louve85

aider, être aidé, créer sa propre famille de coeur.

je t'aide, tu l'aide, il 'm'aide, nous vous aidons, vous les aidez, elles les aident...

aidons nous les uns les autres.

bisous à toutes et tous, excellent week end, essayons de rire, ça aide à guérir.

CoolBisouSourireSourire

Portrait de Mistigri

la capacité d'aider ponctuellement quelqu'un c'est une chose qui fait du bien à soi d'abord, qui nous valorise

et savoir entendre, écouter ce que l'autre exprime en est une autre,

Dans l'histoire de la femme qui a besoin d'aide pour sa poussette et qui dit "Vous ne pouvez pas savoir" je n'entends, personnellement aucune agressivité, mais un désir de communiquer, de rendre cet étranger qui l'aide moins étranger... je comprends que l'aidant ponctuel ait pu se méprendre car son aide était peut-être plus contrainte que spontanée, et comme il n'avait sans doute nul désir de communication avec cette femme à aider...

Quant au cas d'ouverture de ce fil, il me semble que le problème réside surtout dans le film qui a été fait sur ce sujet ; le cinéaste, malgré sa bonne volonté, se trouve en situation bien trop extérieure par rapport à la relation humaine établie par ce "héros" ordinaire avec ses "aidés". Il en résulte une interprétation de son geste par les visionneurs du reportage qui s'éloigne énormément de la réalité de départ, le film devient pour certains un outil de propagande d'une certaine pensée et ils le critiquent à ce titre. C'est bien un des pièges des outils de communication modernes qui nous éloignent de l'humain, et nous privent d'une réelle communication.

Résoudre une situation ponctuelle n'a jamais été solution d'un problème, tout au mieux une étape bénéfique qui à mon avis ne nous autorise pas à culpabiliser à outrance ceux qui se trouvent coincés dans des ornières qui nous attendent peut-être à notre tour, un jour.

"Je pourrais être votre grand-père."

Portrait de romainparis

et son "vous ne pouvez pas savoir, vous en avez pas" a été lancé sur un ton exaspéré sur MA personne et non sur la RATP, alors même que j'avais acquiescé sur le fait que la RATP ne se souciait pas outre mesure de l'accessibilité de son réseau. Et j'ai été gentil, j'aurai pu la planter au milieu des escaliers. D'ailleurs, c'est ce qu'il se passera la prochaine fois. Maintenant, j'ai aidé ce jour-là deux autres femmes avec poussette et elles ne m'ont pas fait de réflexion : elles ont juste accepté mon aide. Je dis que quand quelqu'un te tend une main il ne faut pas essayer de la mordre, parce qu'il y n'a aucune obligation à aider les autres. Que les aidés y réfléchissent avant de faire des reproches aux aidants. 
Portrait de nimbus

Malheureusement il y a encore une grande quantité de gens qui se sentent blessés par une aide qu'ils reçoivent spontanément avec pour conséquence d'avoir une attitude maladroite envers la personne aidante.

Il faut une bonne dose d'humilité pour accepter ce genre d'attitude sans la prendre pour une attaque personelle.

Personellement je préfère offrir une aide ciblée à un individu qui en fait la demande et n'en pas faire mention plus que ça. C'est ma manière de fonctionner, j'y trouve plein de satisfactions et c'est ce qui importe. 

Portrait de romainparis

Je n'en retire ni gloire ni estime de moi et n'attends rien en retour, j'aide c'est tout et je n'y réfléchis pas. Puis, il y aide et aide. Pour l'histoire de la poussette, je considère mon apport plus comme une civilité que comme une aide au fond, raison de plus pour ne pas se défouler sur moi.  Certes, la civilité des parisiens est plus que relative, il faut s'y adapter... si je devais m'offenser à chaque incivilité, j'y passerais et perdrais mon temps. Quant à défendre la veule et l'orphelin, je ne m'appelle ni Zorro ni Mère Therésa. Mais je ne suis pas un humaniste puisque je ne place pas la valeur humaine au-dessus de tout. Je me sens plutôt humanitariste.  Sinon, je conçois que demander de l'aide n'est jamais évident, car au fond, devoir demander quelque chose est reconnaître que l'on n'est pas capable de s'aider soi-même. En fait, tout est une question de sincérité. Pour moi, les héros ordinaires sont ceux qui sont sincères et qui ne tentent pas de retirer un profit de leur action. Ils sont rares. 
Portrait de jean-rene

Le peu d'expérience que j'ai de l'aide, me fait dire qu'on a une chance de ne pas offenser l'autre en l'aidant si, dans notre mouvement d'aide (écoute ou action), nous nous disons dans notre tête: "ta présence m'enrichit".

Je crois beaucoup à la transmission de pensée dans la relation d'aide .

Portrait de Mistigri

tu as bien lu et compris mes maladroites lignes précédentes...

la réelle souffrance, et donc le réel besoin de l'autre, est si dificile à percevoir que seule cette attitude intérieure nous laisse une chance de réussite,

et le silence,

bon dimanche à tous.

Portrait de lounaa

te relire est un vrai bonheur , ton supplément d'ame fais de toi un humain pas comme les autres ..je t'embrasse de tout mon coeur ..