Un Été 2011 (# 05)

Publié par Ferdy le 27.07.2011
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Le dîner de cons était presque parfait
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Triste faveur solitaire que je m'accorde en cette saison, tard dans la soirée, lorsque le sommeil paraît encore hors de portée, la lecture assommante, la musique inaudible ou les programmes de radio déprimants, après m'être tapé trois fois de suite le JT de la nuit sur BFM, je me laisse aller à un zapping brouillon.

Il ne s'agit pas d'une curiosité malsaine. C'est un geste de renoncement où je parviens, dans une indifférence minérale, à une sorte de mise en veille automatique dans laquelle mon encéphalogramme, devenu imperceptible, reçoit sans plus de discernement un très léger stimuli électrique destiné à maintenir les fonctions essentielles à la contemplation d'un flux d'images aberrant.

C'est ainsi que je me suis laissé bercer récemment par la rediffusion d'une série que je ne connaissais pas : "Un dîner presque parfait" (M6).

Il est possible que ce programme vous soit familier. Le concept en est simple : cinq personnes qui ne se connaissent pas invitent à tour de rôle, chez elles (ou dans tout autre lieu privé qui leur aura été prêté pour l'occasion), les quatre autres candidats à une soirée qui sera appréciée en regard de trois critères imposés par la production : la thématique événementielle, une animation participative "originale" enfin et surtout, des aptitudes et qualités culinaires de l'hôte ou de l'hôtesse.

À l'issue de la soirée, chacune de ces épreuves est évaluée individuellement par l'attribution de points (de 1 à 10). Le vainqueur de l'étape hebdomadaire décroche le droit de concourir ultérieurement à une compétition digne de l'école hôtelière, devant de grands chefs étoilés plutôt rigides. Il convient de ne pas négliger la dose sadomasochiste inhérente à cette espèce de bizutage para-militaire.

Après la déco tape à l’œil et la réalité préfabriquée, l'engouement récent pour la gastronomie (ou ce qui en tient lieu) a conduit de nombreuses chaînes à se lancer dans ces productions vite ficelées, entrelardées d'interminables tunnels publicitaires.

Cependant, même dans mon état de torpeur insomniaque, j'ai été exaspéré par : la répétition des archétypes franchouillards les plus obsolètes ; le formatage des séquences incontournables (la même expédition chronométrée au petit marché du coin, le stress feint ou réel dans la cuisine, tout le tralala tendance indigeste, la standardisation des lieux de réception, le clonage des saveurs et des candidat(e)s, etc.)

Évidemment, tenter de recréer la réalité formelle d'un dîner cool-réac, sous le feu des projecteurs et d'une équipe de tournage (même légère), relève d'une performance aussi crédible que l'expression d'un orgasme dans un porno taïwanais.

À l'issue d'un apéro (*) au cours duquel les convives reniflent, soupèsent, triturent, comparent, savourent, analysent, confrontent ou condamnent dans une investigation scientifique assez répugnante le contenu de leurs verrines tarabiscotées, l'animation peut enfin commencer.

Cette séquence, essentielle à l'apparition d'une convivialité express aurait déjà de quoi me couper le peu d'appétit qu'il me reste. Les heureux occupants d'une maison individuelle profitent de l'extension offerte par leur bout de jardin pour délocaliser les pensionnaires à l'air libre. Ceux qui n'ont pas cette chance se rabattent sur de lointaines réminiscences d'une kermesse paroissiale un jour de pluie.

Enfin, le maître ou la maîtresse de maison invite sur le mode solennel, protocolaire et grave, quasi liturgique, la petite assemblée affamée par tant de loisirs si féconds à passer à table. Et quelle table !

Ce qui fait office de décoration envahit copieusement la nappe ; les assiettes se trouvent cernées par une multitude de colifichets, breloques, guirlandes joyeuses, étoiles scintillantes ou sable fin, pommes de pin, figurines variées, etc. autant d'accessoires et autres falbalas destinés à rappeler aux convives distraits la subtile déclinaison thématique de cette soirée inoubliable.

Il me faut cependant abréger, car la description d'une dégustation aussi éprouvante risquerait d'en lasser plus d'un. Dans un effort de concision surhumain, disons seulement qu'il est rarissime d'être le témoin d'un dîner où se mêlent à la fois autant de sourires condescendants, de grimaces si ostensiblement discrètes et de critiques à peine voilées. Toute la dramaturgie de cette compétition gourmande ne nous apprend pas grand-chose en matière culinaire, mais elle exalte toute la jalouse bassesse de la Comédie humaine.

En guise de conclusion, je ne résisterai pas à relater cette anecdote qui remonte à 1993. François Mitterrand, en fin de règne, est attablé dans un grand restaurant parisien en compagnie de quelques éditorialistes. Francis Veber qui se trouvait à une table voisine vient saluer le monarque qui lui demande, par pure courtoisie, ce que sera son prochain spectacle. C'est l'époque où Veber monte au Théâtre des Variétés "Le dîner de cons". Mitterrand, impassible, murmure : "Eh bien, moi, voyez-vous, je déjeune..."


(*) A en croire les résultats du récent sondage Seronet, près de la moitié d'entre nous affirme ne consommer de l'alcool qu'entre ami(e)s. C'est peut-être la raison qui expliquerait pourquoi certains séronautes entretiennent d'infinis réseaux d'amitiés...

Bonus : pour celles et ceux que le sujet intéresse réellement, est paru en 2008 dans l'excellente collection des Dictionnaires amoureux (Plon), celui de la Gastronomie, sous la fourchette savoureuse et féroce de Christian Millau.

Commentaires

Portrait de Phallus

Très bien, cet article de Ferdy. Chez moi, j'ai quatre écrans : la télé, mon ordinateur, un four à chaleur tournante, un autre à micro-ondes. Pour la cuisine, je regarde les deux derniers.