Nous les femmes !

Publié par jfl-seronet le 22.11.2010
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Sur 33 millions de personnes touchées par le VIH dans le monde, 17 millions sont des femmes qui ont moins de 50 ans. 60 % des personnes âgées de 15 à 24 ans séropositives sont des femmes. Derrière ces chiffres, il y a des vies. Celles de Maryse, Anne, Élodie, Aminata, Nathalie, Diane, Gaëlle… par exemple. Elles ont accepté de témoigner de certains aspects de leurs vies, des difficultés auxquelles elles sont confrontées, de discriminations qu'elles subissent, de leurs espoirs aussi.
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“Eh oui, Madame, c’est la réalité, vous êtes bien séropositive… Il fallait y penser avant quand vous étiez en Afrique !” La phrase est tombée tel un couperet. Au téléphone, c'est un laboratoire qu'Aminata (1), alors enceinte, a appelé pour confirmer de vive voix des résultats qui lui ont été annoncés par courrier. “Pourquoi cette réflexion sordide ? Était-ce dû à mon origine ou à l’infection en elle-même ? J’ai alors cru que j’allais mourir, se rappelle t-elle. Je ne connaissais rien à cette maladie. Je pensais que je n’aurais aucune perspective de survie. Dépression, cauchemars s’en sont suivis. J’ai même envisagé d’arrêter mes études. Je me suis sentie jugée et humiliée ! Il faut ajouter à tout cela l’abandon de mon fiancé. “Il n’est pas question que je vive avec une femme malade”, m’a-t-il dit. Alors que nous avions des projets communs d’union, il a tourné les talons. Je pense que si j’avais été mieux prise en charge psychologiquement et matériellement par des associations ou autres, je n’aurais pas songé à me laisser mourir à ce moment de ma vie. Aujourd’hui, j’ai pu revivre à nouveau, en me mariant et en ayant encore des enfants, qui ne sont pas infectés par le VIH. La discrimination est aussi une forme de violence.” Ce qu'a vécu Aminata n'est, hélas, pas rare. D'ailleurs, nombreuses sont les études qui montrent que la stigmatisation et la discrimination envers les femmes atteintes par le VIH sont plus fréquentes et plus sévères que chez les hommes, et que les femmes ont plus de mal à y faire face.


Des discriminations, il en existe dans tous les aspects de la vie, mais dans le monde médical (sans doute parce que c'est un domaine où on les attend le moins) elles ont une violence toute particulière. “J'ai des difficultés à avoir des enfants. Avec mon mari, nous décidons d'avoir recours à la procréation médicalement assistée et d’entrer dans un protocole de fécondation in vitro (FIV), explique Nathalie (1). J’ai rendez-vous pour une échographie. Les femmes y sont reçues par ordre d’arrivée. Quand vient mon tour, on me dit : “Non, pas vous !” et on laisse passer une autre femme avant moi. La scène se reproduit jusqu’à ce que toutes les femmes qui étaient programmées soient passées. Lorsque enfin je suis reçue, je demande à la gynécologue de m’expliquer pourquoi je suis passée après tout le monde. Elle me répond que c’est parce que j’ai une pathologie qui fait que je dois passer après les autres. Je suis séropositive au VIH. Il faudrait désinfecter, “pendant des heures”, l’ensemble du matériel après mon passage. Je demande pourquoi on désinfecte pour les autres, mais pas pour moi ? J'exige une réponse médicale, scientifique. Je n’en obtiens pas. Je me sens humiliée. Après la première FIV, je tombe malade : j'ai une salpingite (inflammation des trompes de l'utérus). Je suis emmenée d’urgence au bloc opératoire. Mon mari m’y accompagne. À ma sortie du bloc, il surprend les infirmiers qui se plaignent : “C’est le sida qui vient de passer ! Fait chier ! On en a pour des heures à tout nettoyer”. Mon mari leur réplique : Elle ne s’appelle pas “le sida”, mais “Madame mon épouse”. Les infirmiers sont repartis sans rien dire, ni même s’excuser. Mon mari m’a raconté cette histoire à mon réveil, mais sur le coup je ne pouvais rien faire et puis j’étais plus préoccupée par ma santé. Mais je suis restée frustrée de cette histoire. J’ai eu le sentiment d’un profond manque de respect : je n’étais plus une personne ou une patiente, mais simplement un virus, une maladie.”


Anne a 58 ans. Elle vit avec le VIH depuis 1994. Son mari le lui a transmis. Elle a connu les phrases qui font mal, le rejet, le poids des regards et une foule de traitements. “J'avais demandé au médecin combien de mois il me restait. Elle avait soupiré “peut-être huit !” J'avais senti que, pour elle, c'était faire preuve d'un énorme optimisme.” Anne suit toujours des traitements, des traitements qui se sont complexifiés parce qu'elle doit affronter une co-infection par l'hépatite C et un diabète. Pourtant, elle ne renonce pas. “Je veux plutôt parler de l'avenir parce que cela évite de revenir au passé.” Reste que l'avenir est surtout marqué par la question du vieillissement. “Un vieillissement avant l'heure, une espèce de progéria (vieillissement accéléré d'origine génétique) VIH, explique Anne. Avec un corps qui se déforme beaucoup. Plus encore pour une femme…” Anne fréquente régulièrement AIDES. “Quand je pousse la porte de l'association, je me retrouve dans le monde normal”, précise t-elle. Réunions de groupes, sorties, vacances, matchs de rugby à la télé, Anne reconnaît qu'il faut que ça bouge dans sa vie. Du coup, elle supporte difficilement le changement de traitement auquel son médecin l'a contrainte il y a quelques mois. “On m'a imposé un changement de traitement. J'avais deux comprimés et je me suis retrouvée avec un troisième comprimé à avaler en dehors des deux autres. Ça implique pour moi d'avoir une vie réglée comme du papier à musique, vie que je n'ai pas et que je me refuse à avoir… Je me suis complètement arc-boutée face à un médecin qui me demandait à quelle heure je déjeunais et à quelle heure je dînais en faisant en sorte que les prises soient à 12 heures d'écart j'imagine… Alors que moi, je ne pensais qu'au moment où je n'allais en avoir qu'un seul. C'était un petit rêve formidable de penser que j'allais juste avoir une prise le soir. Et ce n'est pas du tout ça qui se passe… Cela m'a complètement déboussolée. Mon médecin n'a pas voulu parler de ça. C'était le refus total (…) Depuis 1994, j'avale des comprimés, je m'applique à toujours prendre mes médicaments, à toujours tout faire bien. D'un seul coup, on m'impose cela qui me donne envie de faire n'importe quoi…” Ce n'est pourtant pas ce que Anne fait… même si cela, parfois, lui coûte.  Comme d'autres, Anne sait que les femmes sont plus sensibles à l'infection par le VIH sur le plan physique que les hommes, qu'il y a une véritable différence devant la transmission. Ainsi la transmission du VIH de l'homme à la femme au cours d'un rapport sexuel est-elle environ deux fois plus fréquente que la transmission d'une femme à un homme. Difficile d'oublier non plus que les femmes répondent à la maladie et aux traitements très différemment des hommes.


De la fenêtre de la cuisine, dans l'appartement de coordination thérapeutique qu'occupait alors Maryse, on voit les murs de la prison d'Evreux. C'était le seul disponible. Le quartier n'est pas très sympa même si certains voisins sont adorables. Fan de moto, mère de deux grands enfants, Maryse a découvert en 2006 qu'elle était séropositive. “Le médecin m'a demandé si je voulais l'annoncer moi-même à mes parents ou si j'acceptais qu'il le fasse. J'ai préféré que ce soit lui. C'était plus facile. Le médecin pouvait mieux leur expliquer exactement les conséquences et comment on pouvait vivre avec.” Maryse reconnaît avoir eu de la chance car elle n'a pas connu le rejet de la part de sa famille. “Tout le monde me prend comme je suis. Je suis d'une nature bonne vivante… Je crois qu'ils n'ont pas envie de perdre ça.” Depuis, Maryse en a parlé à ses deux enfants, même à sa fille, la plus jeune, qui lui avait demandé si elle avait le VIH. “Pour la rassurer, je lui ai dit que je n'étais pas atteinte comme le sont d'autres personnes, que, moi, j'avais un petit VIH, pas un grand. Les enfants ne m'ont plus posé de questions parce qu'ils voient que je vais bien, que je suis joyeuse. Je vis ma vie normalement. J'ai le VIH, c'est tout ! Et puis je fais une prière parce que je suis croyante pour qu'on trouve la solution.” Maryse prend scrupuleusement ses traitements, qu'elle supporte plutôt bien. Elle participe souvent à des réunions sur le VIH. “J'aime bien me rendre à ces réunions parce qu'ainsi je ne vis pas avec le VIH dans l'ignorance. Je suis tout ce qui se passe en matière de recherches… cela m'aide à porter la maladie en moi.” Il y a encore quelques mois, Maryse vivait seule, ce n'est plus le cas. “Je suis avec un ami maintenant, mais ça ne fait pas longtemps que je suis avec lui”, précise t-elle. Au début, elle n'a pas parlé de la séropositivité. “Je n'avais pas d'appréhension, mais on se connaissait depuis un mois seulement, c'était tout neuf. J'attendais d'être sûre et d'être bien engagée, mais je n'avais pas peur de le dire.” Depuis, c'est fait. Maryse l'a annoncé. Elle n'habite plus à Evreux, mais avec son ami dans la région parisienne. Il y a plus de place, c'est proche de la nature. C'est très bien pour eux et leurs chiens apprécient. “Il y a une morale dans mon, histoire, c'est de ne pas être dans le négatif, avance Maryse, de toujours être dans la positif. De toujours tenter, de ne pas attendre. J'ai compris que si je restais dans le négatif, et pourtant les difficultés ne m'ont pas manquées, j'allais perdre espoir. Si quelque chose ne marche pas, j'essaie autre chose jusqu'à ce que cela marche : faut pas lâcher le morceau !”

La suite du dossier

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Élodie à 17 ans. Elle est séropositive depuis autant de temps. Elle vit à Genève avec son père. Depuis trois mois, un amoureux est entré dans sa vie et côté “projets”, elle veut travailler auprès de personnes handicapées. Elle nous confie ses pensées du haut de ses 17 printemps.
 
 
 

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Diane a 65 ans. Elle a découvert sa séropositivité en 1987 et vit à Montréal.
 
 
 
 

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Gaëlle a 40 ans. Elle est séropositive depuis 2005. Elle est camerounaise et vit en Suisse. Elle raconte, dans ce numéro, son expérience avec les petites annonces de Remaides et l’importance de ces rencontres pour elle.

Enceinte et séropositive, oui je le peux !

Au Québec, le dépistage du VIH fait partie de la série d’analyses effectuées chez les femmes nouvellement enceintes. Certaines femmes doivent, du coup, partager leur bonheur d’être porteuse de vie et celui, plus difficile, de vivre ce bonheur à travers la séropositivité. lire la suite

PRÉVENTION : une pétition pour les femmes en France
Il a bien des avantages (une alternative au préservatif masculin, une plus grande autonomie des femmes en matière de prévention…), mais son nom n'est pas célèbre : Femidon ! Et ce n'est pas le seul handicap du préservatif féminin. Il est méconnu (les campagnes de prévention n'en parlent jamais), mal distribué dans le circuit commercial y compris dans les pharmacies et particulièrement cher (de deux à trois euros l'unité).  Pas étonnant dans ces conditions qu'il ne soit pas populaire et qu'il n'ait pas largement été adopté. Un obstacle majeur est le prix qui reste dissuasif pour beaucoup de femmes. Cette situation, maintes fois dénoncée, est due au monopole du fabricant du Femidon qu'aucun produit ne vient concurrencer. Le 8 mars 2010, AIDES a lancé, à l'occasion de la Journée internationale des droits de la femme, une pétition sur le préservatif féminin. Il est demandé au ministère de la Santé en France de prendre enfin ses “responsabilités” et de “mettre en place une vraie politique pour rendre plus accessible, moins cher et plus attractif le préservatif féminin”.
Il est toujours possible de signer cette pétition sur www.aides.org/node/340

 

Dossier réalisé par Nicolas Charpentier, René Légaré et Jean-François Laforgerie et publié dans le journal Remaides n°75
Remerciements aux délégations de AIDES de Haute-Normandie et de Loire-Atlantique pour leur aide précieuse.
Illustration Yul Studio