RDRs : bientôt chez vous ?

Publié par jfl-seronet le 27.11.2009
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Le Rapport s'intitule "Mission RDRs". On a parfois cru qu'il tenait de la "Mission impossible". Mais non, au terme de quelques mois d'intense activité de consultation et de débats, il a été présenté ce matin (27 novembre) lors d'une conférence de presse ministérielle. Dirigé par le professeur Gilles Pialoux et par France Lert, chercheuse à l'Inserm, ce rapport sur "Prévention et réduction des risques dans les groupes à haut risque vis-à-vis du VIH et des IST" marque une étape de plus vers la mise en place d'une nouvelle politique de lutte contre le sida en France.
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On a beau prendre la question comme on veut, mais le fait d'avoir confier à un clinicien spécialiste du VIH, le professeur Gilles Pialoux (1), et à une chercheuse, France Lert (2), la réalisation d'un rapport sur la prévention et la réduction des risques sexuels est à la fois un signe d'ouverture et d'intelligence des autorités de santé. C'est aussi la reconnaissance, en creux, que ce travail de dépoussiérage et de remise à niveau, l'administration était dans l'incapacité de le conduire et de se l'appliquer à elle-même. Le poids des habitudes, une réflexion parfois sclérosée (dont on a eu un bel échantillon avec l'accueil par la Direction générale de la santé de l'avis du Conseil national du sida sur le traitement comme outil de prévention), un conservatisme aussi excessif qu'inopérant, manifestement s'en était trop pour la ministre de la Santé qui a souhaité marquer son passage en lançant les bases d'une nouvelle politique de lutte contre le sida.

C'est on ne peut plus clair lorsque la ministre de la santé, Roselyne Bachelot explique lors de sa conférence de presse : "L'année qui vient sera une année charnière, puisqu'elle sera celle d'un changement de paradigme [modèle], à la lumière des avis qui viennent d'être rendus". Ces avis se sont celui de la Haute autorité de santé sur les modalités de réalisation du dépistage, ceux du Conseil national du sida, mais aussi le Rapport d'experts dirigé par Patrick Yeni sur la prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH et, bien évidemment, le rapport Lert/Pialoux sur "les nouvelles méthodes de prévention". Pour la ministre, il est très clair que leurs "recommandations respectives vont nourrir le prochain plan de lutte contre le VIH et les IST qui sera lancé courant 2010". Le changement de paradigme, c'est une façon de dire : il est impératif de changer de modèle, de faire du neuf, de faire de la prévention autrement. Ces derniers mois et années, rapports, avis et enquêtes ont d'ailleurs appelé à ce changement et démontré sa nécessité. Une nécessité que le prochain Plan national IST-VIH 2010-2013 devrait concrétisé. Directeur général de la santé, Didier Houssin y souscrit bien évidemment. Pour lui, le futur plan a une ambition principale "le contrôle de la circulation du virus dans la population, y compris sans vaccin." Il défend la reprise des recommandations du rapport Lert/Pialoux qui "devraient permettre d'être plus précis dans la conduite de la prévention" en tenant compte des "difficultés pratiques [en matière de prévention] que connaissent les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes" et en prenant en compte "le traitement comme outil de prévention". En ce sens, le rapport Lert/Pialoux digère et prolonge les avancées majeures qu'ont été la publication des recommandations suisses et l'avis du CNS de 2009 sur le rôle préventif du traitement.

Politiquement, la publication de ce rapport et le soutien affiché des plus hautes autorités de santé (Roselyne Bachelot, Didier Houssin) est une étape : la reconnaissance officielle de l'intérêt et de la pertinence des méthodes de réduction des risques sexuels (RDRs). Bien entendu, le rapport cite ce propos d'Act Up : "Les données montrant la dissociation possible entre le compartiment sanguin et le compartiment génital, la persistance d'un risque même faible et l'absence de données sur des homosexuels ou des personnes traitées dans les pays industrialisés justifie la dénonciation des messages dits de "réduction de risques"", mais on sent bien que les auteurs l'ont d'abord fait pour avoir la paix. La lecture complète du  rapport soutient à chaque page ou presque la RDRs. Il semble aujourd'hui bien loin le temps où il était de bon ton de dénoncer, mauvaise foi à l'appui, les premières initiatives de AIDES en matière de réduction de risques sexuels auprès des gays en faisant passer les militants pro RDRs d'alors pour des agents de propagation de l'épidémie. C'était en 2001. Il semble aussi bien loin le temps de la campagne de l'INPES destinée à contrecarrer les initiatives en matière de RDRs et qui s'appuyait sur des contre vérités scientifiques. C'était en 2006. En 2009, ce Rapport tourne la page à tout cela. Il signe la défaite des pourfendeurs de la politique de réduction des risques sexuels et propose de faire sauter les blocages y compris dans l'administration. C'est une évidence à la lecture des recommandations qui concernent directement ce secteur.

Contre les blocages, les mesures prônées visent à instaurer une "nouvelle gouvernance". Le Rapport demande ainsi "une répartition plus précise des rôles entre la Direction générale de la Santé pour les orientations stratégiques et l'INPES pour la définition et la mise en œuvre des programmes de prévention, sur la base de travaux de la Haute autorité de santé, du Conseil national du sida et du présent rapport." On ne veut pas être désobligeant, mais c'est une façon d'affirmer que pour le moment tout cela est loin de fonctionner au mieux. Autre critique en creux, le Rapport demande que la concertation associative avec l'administration et les agences soit mieux organisée. Ce qui permettrait de trouver des "solutions aux désaccords qui peuvent survenir et éviter qu'ils ne paralysent la mise en œuvre de la prévention. C'est la responsabilité des directions administratives et, le cas échéant, des conseils scientifiques". Clairement, le grief est d'avoir laissé l'ensemble des acteurs (officiels compris) s'écharper durant des années. Le rapport sonne la fin des jeux du cirque. France Lert et Gilles Pialoux n'ayant pas une vocation à jouer uniquement les maîtres d'école, ils font aussi en matière de gouvernance deux propositions originales. La première concerne "la nomination d'un-e responsable de la "santé sexuelle LGBT" au sein de l'INPES, recruté avec un profil de compétence très élevé" qui favorisera "la coordination de ce secteur de la lutte contre le VIH et les IST, et assurera le lien de la dynamique constructive nécessaire entre les experts scientifiques et associatifs". La seconde est d'élargir les missions du TRT-5, un collectif d'associations de lutte contre le sida investies dans le champ thérapeutique, à la prévention, car aujourd'hui "les enjeux du traitement et de la prévention se rejoignent dans la recherche comme dans la prévention et le soin."

D'une façon évidente, ce rapport est, à la suite de l'avis du CNS, une chance. Celle de sortir enfin des "conflits qui ont stérilisé l'action publique ces dernières années" selon la formule de France Lert et Gilles Pialoux. La ministre insiste donc pour qu'il soit tenu compte de l'ensemble du Rapport Lert/Pialoux dans le futur Plan national, le directeur général de la Santé aussi. Une demande qui sonne d'ailleurs  plus comme un ordre qu'un souhait. Il reste désormais à attendre le futur Plan national IST-VIH 2010 2013, celui du nouveau paradigme. Il est prévu au premier trimestre 2010.

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(1) Service des maladies infectieuses et tropicales à l'Hôpital Tenon.

(2) Inserm, Hôpital Paul Brousse.
Photo : Gilad