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Qu'est-ce que la "lypémanie", cette forme de mélancolie extrême qui empêche de vivre ?

 

Qu'est-ce que la "lypémanie", cette forme de mélancolie extrême qui empêche de vivre ?

SPLEEN - Le chanteur Marc Lavoine a récemment révélé souffrir de "lypémanie", cette forme de mélancolie extrême qu'il dit avoir héritée de sa mère. Un trouble psychique qui plonge ceux qui en sont atteints dans un abîme sans fond.

15 janv. 2019 12:00

La lypémanie ("lypé" signifie tristesse en grec, et "manie" obsession) n’est pas une nouvelle maladie psychique. Le psychiatre E.Esquirol (1772-1840) a introduit ce terme dès le XIXe siècle dans son traité De la lypémanie ou mélancolie. Un essai décrivant la mélancolie comme une succession d’états de tristesse prolongée et de prostration chez des hommes et des femmes n'ayant plus envie de rien, restant figés, cloués au lit et fixant le plafond dans l’attente d’un être, d’un événement...

"Le terme 'lypémanie' a été créé en réaction au mot 'mélancolie', vertu créatrice célébrée par Aristote, Cicéron, les hommes du monde et les poètes", assure à LCI le psychanalyste Olivier Douville. Sous le terme "mélancolie", on distingue en effet des états très différents qui vont du chagrin d'amour à la compulsion suicidaire. La lypémanie, que Esquirol voulait distinguer de tous ces usages allégoriques et qui signifie en grec "éprouver du chagrin et de l’anxiété", décrit, elle, précisément, une passion triste pouvant se définir par un état dépressif de mélancolie profonde, qui va évoluer en obsession morbide.

Un trouble psychique méconnu mais récemment remis sur le devant de la scène par Marc Lavoine, qui a confié souffrir de cette maladie : "Ma mère en était atteinte, avait-il révélé en juin dernier dans l'émission "On ne peut pas plaire à tout le monde". "J'ai vu ma mère dépérir petit à petit, et respirer machinalement. Et elle n'était même plus capable de dire 'je t'aime' aux personnes qu'elle aimait le plus, ses enfants (…) Parfois j'ai l'impression d'être comme elle, d'attendre quelqu'un qui ne vient pas".

Le néant, fixette des mélancoliques

La "lypémanie" serait-elle une maladie héréditaire, comme l'affirme Marc Lavoine ? "On ne peut pas récuser le facteur héréditaire rendant l'humeur plus fragile, mais on n'a pas encore trouvé de gène de la mélancolie", répond Olivier Douville. "Au fond, tout peut être à son origine : la culpabilité, la honte, l'angoisse... avec ou sans dépression."

Mais peut-on se soigner de la "lypémanie" ? "Il faut consulter, avoir beaucoup d'attention, parler, prendre des médicaments... Travaillant à l'hôpital psychiatrique, je suis pour l'alliance du médicament et de la conversation, ainsi que pour une séparation des milieux pathogènes." Ce qui rejoint le discours de Marc Lavoine, obligé de partir de chez lui pour fuir la mélancolie noire de sa mère. "Certains sujets vont mal dans leur famille. Quand ils la quittent, ils vont mieux, constate le psychanalyste, soulignant que la vraie maladie mélancolique constitue "un poids invraisemblable pour l'entourage". 

Les mélancoliques atteints de lypémanie se sentent comme s'ils ne valaient rien dans ce monde, comme s'ils n'étaient ni vivants ni morts.Olivier Douville, psychanalyste

Pour autant, on n'échappe pas à sa propre lypémanie : "Quand on a quitté quelqu'un, on a tendance à s'identifier à ce que l'on a perdu. Souvent, des hommes et des femmes se mettent à l'écart d'un parent pathogène pour sauver leur peau mais, au bout d'un moment, quand ce parent-là meurt, ils s'identifient par culpabilité à la personne perdue. Une identification à la personne disparue comme une réaction de deuil, comme pour ne pas la perdre complètement."

La lypémanie n'a donc effectivement rien à voir avec la définition que Victor Hugo donnait de la mélancolie ("le bonheur d'être triste"). Esquirol osait affirmer, lui, que les mélancoliques ne connaissent pas le bonheur et que leur obsession, c'est le rien, le néant. En d'autres termes, "les mélancoliques atteints de lypémanie se sentent comme s'ils ne valaient rien dans ce monde, comme s'ils n'étaient ni vivants ni morts", conclut le psychanalyste.