"Auto prélèvement : mon expérience"

Publié par Vince le 24.07.2009
3 600 lectures

Nombreuses sont les personnes, notamment celles injectrices de produits, qui témoignent de leurs difficultés avec les prises de sang. Une des demandes pour faciliter les prélèvements est celle de l'auto prélèvement assistée par un professionnel. Vince fait part de son expérience.

veines1.jpg

"Comme bon nombre d’usagers injecteurs, et après plusieurs années d’injection de Subutex, mon capital veineux est très réduit, surtout au niveau des bras. Trouver une veine, tout seul, confortablement installé, sans risque d’interruption ou de distraction, relève déjà du défi, alors confier ça à une infirmière avec une aiguille d’un demi millimètre de large, c’est d’avance un fiasco. Un beau matin, en allant chercher ma prescription chez mon docteur, je me décide à demander un dépistage en prime. Sans pour autant avoir spécialement pris de risques auparavant. Ça fait quand même bien un an que j’ai fait un test, je me dis que ça peut pas me faire du mal (bah voyons..) et qu’au moins j’en serais sûr. Je pars donc au labo d’analyses le plus près de chez moi, avec quand même un peu d’appréhension, mais je me rassure en me disant que les infirmières ont l’habitude, et que trouver une veine ne sera pas si difficile. Les quelques autres prises de sang que j’ai faites quelques années auparavant ont pris du temps, mais on y était arrivé.

La première infirmière, une petite jeune, m’installe sur la chaise, et je lui annonce que mes veines "ont servi", et qu‘en trouver une risque d’être un peu délicat. Après m’avoir regardé d’un air un peu perplexe, elle se met à me perforer le bras avec ce qui me semble, vu le diamètre,  être un cathéter…  Elle tente toujours sur les grosses veines, dures comme des tendons, sur lesquelles j’ai arrêté d’espérer en tirer quoi que ce soit depuis déjà des mois. En plus d’être douloureux, son charcutage est vraiment très désagréable, j’ai l’impression qu’elle abîme tout autour des veines. Elle commence à être de plus en plus mal à l’aise, à s’excuser et à paniquer. Je lui conseille de tenter plutôt les petites veines, avec une aiguille plus petite, lui indiquant celles que je pense être les plus aptes à encaisser une prise de sang. Finalement, après un bon quart d’heure, elle décide d’appeler sa chef. Celle-ci arrive, toute confiante, avec un petit air de matriarche : "Alors, les veines de monsieur sont abîmées ?" Rebelote,  vas-y que je t’enfonce mon aiguille dans tous les sens, que je triture, je pousse, je tire, je pique et je repique…  Je commence vraiment à être mal (en plus, je suis à jeun), et à avoir les bras dans un piteux état. Ça fait maintenant plus d’une demi-heure qu’elles y sont, sans aucune goutte de sang dans le flacon, mais plein sur mes bras. Du coup, la chef décide de faire appel à l’ultime recours : le biologiste. Et voilà qu’un gros monsieur, sans blouse, débarque, me lance une remarque similaire à celle de la chef, et s’installe, sans se laver les mains ! Je me permets d’insister sur le fait qu’une petite aiguille serait vraiment plus adaptée, et que les veines de mes mains sont en meilleur état, mais il m’envoie plus ou moins chier. "Une petite aiguille, ça prendrait trop de temps" (ça fait pourtant 30 minutes déjà…) ; "Les mains, c’est trop douloureux" (vous auriez vu mes bras…). En gros, c'est : "Ta gueule, je reçois pas de conseils d’un junkie !". Je repars donc pour un quart d’heure de charcutage. Finalement, en piquant sur les veines des mains (ce que j’aurai fait dès le début), il arrive à trouver une veine, et remplir un ou deux mL avant de la perdre, et de me faire un hématome monstrueux. Je suis tellement heureux que ce supplice soit fini que je pourrai le remercier. Je repars chez moi, vidé, les bras en feu, mais avec le sentiment du devoir accompli. Malheureusement, dès le lendemain, le labo m’appelle pour me dire qu’il n’y a pas suffisamment de sang pour toutes les analyses (mon doc avait demandé d’autres tests de routine), il faut donc que j'y retourne ! Quand je franchis de nouveau la porte du labo, mon appréhension est beaucoup plus forte ! C'est l’infirmière en chef qui s’occupe de moi, le biologiste "étant occupé". J’arrive à la convaincre de prendre une petite aiguille pour bébé, les "papillons", et, en moins d’une demi-heure, elle arrive à totaliser un peu plus de 2mL de sang, suffisamment pour toutes les analyses. Ouf ! J’obtiens finalement mes résultats, mais également une phobie des prises de sang. Je me dis qu’il vaut mieux ne plus faire gaffe aux prises de risques, et ne plus faire de tests, que de s'obliger à un faire un par an. Je refuse systématiquement toutes les propositions de dépistage ou autres prises de sang de mon docteur.

Puis, six mois après,  au cours de l’une des chaleureuses et constructives discussions avec Christine de AIDES, le sujet de l’auto prélèvement émerge. L’idée est de pouvoir laisser la personne choisir la veine, guider l’aiguille, tout en étant accompagnée par une infirmière pour les gestes un peu moins connus. Je trouve ça vraiment intéressant, vu mon expérience avec les prises de sang. Je suis persuadé qu’une personne, dans certains cas, connaît mieux son système veineux qu’une infirmière, et qu'elle a donc bien plus de chance de trouver une veine qu’elle. J’ai bien vu que c’est seulement en suivant mes indications que les laborantins ont pu collecter un peu de mon sang…  En même, temps, j’y crois pas trop, vu la réaction du biologiste à mes suggestions, et l’attitude générale des infirmières, je peux comprendre qu’ils ne veulent pas avoir la responsabilité de laisser un tox se charcuter les bras dans leur labo. Christine suggère de faire ça à la Case Santé, l’association médicale du quartier Arnaud Bernard,  avec Alice l’infirmière, que je connais déjà. Je me porte donc volontaire pour une première expérience, puisque la dernière prise de sang (traumatisante) remonte à plus de six mois. On met ça en place avec Alice. Quelques jours plus tard, on se retrouve tous à la Case Santé. Après avoir discuté rapidement des conditions dans lesquelles on va faire ça, je m’installe. En prévision d’une éventuelle prise de sang, j’ai "préservé" une veine sur ma main droite, qui est donc en relativement bon état. Après que je me suis mis mon propre garrot, Alice me tend une aiguille papillon, reliée à une petite fiole, et je commence à piquer. A ma grande surprise, je touche la veine dès le premier coup, mais très rapidement le sang cesse de couler. Alors que je veux tout recommencer, Alice me guide avec ses mains. Elle réussit à bien orienter l’aiguille de sorte que le sang se remet à couler. Euréka ! Le tube se remplit en quelques secondes, et on réussit à collecter plus de 10mL de sang ! C’est vraiment incroyable, comparé à ma précédente prise de sang !  Une fois les deux tubes remplis, je fais la connerie d’enlever l’aiguille avant de desserrer le garrot, ce qui me vaut un beau hématome, que j’aurais pu évité en écoutant Alice. Cette expérience illustre vraiment à quel point la coopération entre la personne et l’infirmière peut vraiment rendre les choses plus faciles.  Connaissant parfaitement mes veines et étant à l’aise avec les aiguilles, je peux trouver une veine facilement, mais je n’aurais jamais réussi à collecter le sang sans l’aide d’Alice. L’infirmière est vraiment là pour accompagner, et pas uniquement pour montrer ou me regarder. Si seulement j’avais pu faire comme ça auparavant…


Il est vrai que Alice est une infirmière qui travaille dans une association de quartier, qu'elle a l’habitude de travailler avec des personnes usagères de drogues, qu'elle est en contact avec AIDES. Il a été plus facile de lui proposer cette expérience qu’à n’importe quelle infirmière dans un labo d’analyses. Cependant, n’habitant plus sur Toulouse, il faudra bien à un moment que je refasse une prise de sang, et j’espère bien convaincre un laboratoire dans ma nouvelle ville d’essayer ce système. Vu les avantages et le peu de risques, je crois que ça vaut vraiment la peine que ce système devienne quelque chose de plus commun, et facilement abordable pour le grand nombre d’usagers injecteurs qui sont encore récalcitrants à se faire dépister ou soigner à cause de mauvaises expériences avec des prises de sang."

Qu'est ce que l'auto prélèvement ?
Le prélèvement de sang et la manipulation du matériel de prélèvement sont effectués par le personnel médical (médecin, infirmière). La personne a qui ont fait le prélèvement intervient dans la recherche d'une veine et dans l'introduction de l'aiguille. Il s'agit donc d'un auto prélèvement médicalement assisté.

Photos : Far closer (1),  Brunkfordbraun (2)