J'ai 42 ans et je fais quoi ?

Publié par Costa le 13.01.2009
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Mise à la retraite par la mairie de Marseille, Geneviève se débat aujourd'hui pour élever sa fille avec 750 € par mois sans n'avoir plus aucun droit aux quelques aides dont elle bénéficiait quand elle touchait l'allocation adulte handicapé (AAH).

« J'ai su que j'étais séropositive à l'âge de 19 ans alors que j'étais enceinte. Comme mon mari, j'avais des problèmes de toxicomanie mais mon mari, lui, ne l'était pas. Alors que je voulais à tout prix garder le bébé, on m'a fortement suggéré d'avorter, ce que j'ai malheureusement fait « naturellement » à 4 mois de grossesse. Un atroce souvenir de cette époque (1985-87) où les infirmières ne venaient même pas dans ma chambre et laissaient à ma mère  le soin de m'apporter mon plateau repas. Une vraie pestiférée... Femme de ménage à la mairie de Marseille, j'avais passé les concours et suivi une formation secrétariat/informatique, et je travaillais comme « volante » au cabinet du maire (Vigouroux) où je suis restée 6 ans. Quand Gaudin a été élu, on m'a confié un autre poste chez un élu municipal. En dehors du corps médical, personne n'a su ce que j'avais.
J'ai perdu ma meilleure amie du sida au mois de décembre précédant l'arrivée des trithérapies. En février 1996, je suis à mon tour tombée super malade du poumon (41° de fièvre pendant 1 mois...) au moment où les trithérapies arrivaient. J'ai sans doute été l'une des premières à en bénéficier sur Marseille. Après 1 an d'arrêt maladie, j'ai pu reprendre en mi-temps thérapeutique, mais cette fois aux archives où je suis restée jusqu'au début 2003. Comme ça allait mieux, j'ai décidé de me passer de traitement.

Pendant ce temps, le père de ma fille qui a toujours su que j'étais séropositive a fait croire à sa famille qu'il l'avait appris à l'accouchement. Je ne lui avais jamais caché. J'ai du me battre pour récupérer la garde de ma fille et pendant 4 ans j'ai été insultée par toute ma belle-famille. Ce n'est que récemment que belle-mère a fini par s'excuser et reconnaître que son fils lui avait menti. Ma fille a toujours su que sa mère était gravement malade, même si elle ignore toujours le nom de ma maladie. Quand elle a eu 2 ans et demi, en janvier 2003, j'ai eu d'épouvantables douleurs au cœur. Je pensais que c'était le stress, les palpitations. Mais au bout de 3 jours, c'était vraiment devenu insupportable et comme les pompiers n'ont pas voulu m'amener à St Joseph où j'étais suivie, j'ai fini par y aller toute seule en voiture... Quand je suis arrivée, j'avais les bras à moitié paralysés, je n'arrivais plus à parler... j'avais fait un arrêt cardiaque. Je n'ai plus jamais arrêté ma trithérapie. J'ai été opérée en urgence pour l'être à nouveau 2 mois plus tard... d'un pré-cancer du vagin diagnostiqué alors qu'on devait me ligaturer les trompes. Trois mois d'hôpital puis tout est rentré dans l'ordre... jusqu'au problème suivant : un CMV qui m'a progressivement fait perdre la vue à l'œil gauche, avec une succession d'hospitalisations entre septembre 2005 et novembre 2006. J'ai eu 2 mois de répit puis la « petite grippe » diagnostiquée début 2007 par un généraliste a viré au cauchemar : 1 semaine de coma, 5 mois d'hospitalisation dont 1 mois dans maison de repos à Briançon. C'est vraiment pour ma fille que j'ai retrouvé la force de marcher.

Il fallait voir ce que j'entendais au travail quand j'ai fini par annoncer ce que j'avais après mon arrêt cardiaque et mon cancer du vagin. Pendant des années, j'ai assuré le travail autant que je pouvais. J'étais rarement à l'heure, mais on savait que s'il fallait rester pendant le déjeuner ou tard le soir, j'étais toujours là. On pouvait compter sur moi. Mais aujourd'hui, je me bats contre la ville qui m'a mise d'office à la retraite à l'âge de 42 ans.
En 2006, après 3 ans d'arrêt « longue maladie », je me suis retrouvée en demi-solde à 480 €/mois alors que j'espérais pouvoir retravailler. J'ai été voir le médecin expert qui ne connaissait rien au VIH, mais qui a finalement accepté de me mettre en « maladie longue durée » avec retour en pleine solde pendant 2 ans, le maximum prévu pour les fonctionnaires. En janvier dernier donc, nouveau passage en demi solde pendant 4 mois puis 3 mois à taux plein jusqu'au mois d'août et la mise d'office à la retraite. À 750 € par mois, 70% de ce que je toucherai quand j'aurai 60 ans, l'âge officiel de la retraite pour les fonctionnaires. 750 € par mois, c'est 100 € de plus que l'AAH, mais sans les aides auxquelles elle ouvrait droit (possibilité de ne pas payer EdF 1 fois par an, dispense de la taxe d'habitation, réductions SNCF, carte gratuite pour les transports en commun...), sans la mutuelle qui me coûte désormais 102€/mois, et sans aucune des aides consenties aux retraités puisque je n'ai pas l'âge de la retraite... Avec un loyer de 550 € par mois (dont 250 d'APL), je ne m'en sors plus. Heureusement qu'il y a les colis du Tipi (boîtes de conserve, fromages, yaourts, légumes...) une fois par mois.

J'ai enchaîné les visites aux assistantes sociales (j'en ai vu 13 en tout) qui m'ont confirmé qu'étant à la retraite, je n'avais plus droit à rien et qu'elles ne pouvaient rien faire pour moi. Aujourd'hui, j'ai 42 ans et je fais quoi ? Je n'ai plus honte de dire que j'ai le sida. Qu'on l'entende et qu'on sache que je touche 750 € par mois, qu'on m'a mise dehors à 42 ans alors que je voulais travailler. C'est honteux, impensable. Je me bats toute seule, mais j'aimerais qu'on me trouve une solution. Je suis prête à le crier, à passer à la télé pour qu'on m'entende et que d'autres ne vivent pas la même chose que moi. C'est pour ça que je me bats. »

Témoignage recueilli par Costa lors de la 3ème Rencontre Femmes et Sida en région PACA  en octobre dernier.

Commentaires

Portrait de ccedille

Courage Geneviève, ton témoignage est très touchant et rappelle à tous que les situations de vie sont très hétéroclite entre séropositifs et que plus que jamais il faut toujours garder un esprit militant, notre société n'apprécie pas spontnément ce qui n'est pas performant et gagnant , alors quand on est jeune et que les problèmes de santé vous clous comme une personne agée , il y a rejet. Continue à te battre pour ta fille, cela vaut la peine, même si on a parfois l'impression de s'enfoncer plutôt que de progresser, c'est primordial que tu ne te démoralise pas. Rétablit toi niveau santé et continue à vivre, ça vaut la peine, même si c'est dur. Tu as raison de vouloir saisir les média , continue à voir les associations et les forums, il faut faire émerger tout cela. bien à toi
Portrait de Sissou

La ville de Marseille préfère payer des salaires fictifs à des employés corrompus plutôt que venir en aide à une personne en difficulté. Je précise que je travaille aussi à la Mairie de Marseille et je suis écœurer du fonctionnement et surtout de la mentalité de nos chers élus... Bon courage