Le combattant Arthur, du Lyell aux banques

Publié par Arthur le 06.11.2011
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Comment je me sens après ce WES ? Très bien, un peu fatigué quand même. Mieux qu’à l’arrivée ! Comme je devais animer, j’avais pas mal d’angoisses, je ne connaissais presque personne. En fait, j’ai retrouvé des amis communs. Logique, cela dit, j’ai été volontaire à AIDES dès 1992. C’était peu après la découverte de ma séropositivité. J’habitais à Strasbourg. A l’époque, rien n’existait en Alsace, et on tombait comme des mouches. On a créé des lieux AIDES à Colmar et à Mulhouse. Il y avait un tel besoin. J’ai commencé comme responsable accueil à Mulhouse, puis formateur de volontaires ; je travaillais sur la prévention chez les gays, en prison, au lycée. On avait d’avantage de subventions à l’époque. On travaillait avec un REVIH [réseau entre soignants en ville et à l’hôpital], qui existe toujours. J’ai été au conseil d’administration de AIDES Alsace pendant trois mois.

Le tournant, pour moi, c’est en 1997. Je participe à un essai thérapeutique de l’industrie. Pour la névirapine, le non nucléoside qui allait s’appeler Viramune. J’ai fait un syndrome de Lyell, une réaction allergique gravissime. Ça commence par des plaques, des boutons. Puis j’ai commencé à perdre toute la peau. On m’a envoyé à Paris, à l’Hôpital Henri Mondor de Créteil. J’étais comme un grand brulé. Ma peau, mes ongles, mes cheveux sont tombés. On ne savait pas qu’il y avait ce risque [depuis, les dosages ont été ajustés, il faut commencer par une dose plus faible qui est ensuite augmentée, ndlr]. J’ai failli mourir. Je suis seul survivant. Décollement du poumon. Je suis sorti de l’hôpital, je pesais 35 kg. J’ai été pris en photo sous toutes les coutures, qui ont été envoyées quelque part aux Etats-Unis. J’ai toujours témoigné. Je devais être visible. Ma famille, mes amis. Pas de soucis, des le début.

Je travaille dans une compagnie aérienne depuis des années. J’ai toujours réussi à m’imposer par rapport à ça. En affichant clairement et publiquement ma séropositivité. C’était une sécurité pour moi : ils n’auraient pas pu me virer. En fait, je n’ai jamais eu de problèmes de rejet. J’ai eu des questions discrètes par des collègues, qui se souciaient de moi. En fait, c’est moi qui suis le moins absent au boulot. J’ai eu quelques aménagements : des repas équilibrés et une demi-heure de pause en plus, matin et soir. Je n’ai pas eu besoin de surjouer, ça s’est fait naturellement.

En 1997, j’ai dû partir en cure. J’ai pris quelques distances vis-à-vis de AIDES, j’avais besoin d’un peu de recul, après le moment lourd que je venais de vivre. Après une rupture, de 1996 à 2001, cinq ans de célibat. En 2001, j’ai rencontré mon ami. Il est suisse, on s’est marié là-bas. Lui, il est séropo depuis 30 ans. Et il a une charge virale indétectable. Avec les nouveaux traitements qui sont tellement efficaces. Moi aussi d’ailleurs. Et tous nos amis, nous sommes tous indétectables. Je trouve ça tellement incroyable, après des années de séropositivité et avoir vécu des traitements très lourds. Ça change la vie !

Avec mon ami, nous étions dans l’urgence. Quatre mois après notre rencontre, nous avons acheté une maison. Nous avons fait des mains et des pieds pour emprunter 300 000 euros. Il fallait faire des tests médicaux pour l’assurance. Alors j’ai dit à la banque que l’assurance n’est pas obligatoire. On a deux bons salaires (mon ami touche 5 000 euros, moi 2 500 euros). Ils ne pouvaient pas refuser le prêt. On était à 26% d’endettement, alors qu’on a droit à 35% maximum.

Les assurances, c’est la galère. Actuellement, on peut aller jusqu’à 320 000 euros avec la convention AERAS. Mais c’est tellement compliqué. Personne ne comprend rien. On sait pas bien ce qu’il faut faire. Mentir, ne pas mentir. Avec ces histoires de surprimes qui font qu’on raque un max pour une assurance qui a plein de clauses d’exclusion.

Ça me scandalise. Les séropos depuis longtemps, ils vivent. On nous traite comme de la merde. Souvent, c’est même pas surprime, mais refus direct. Les assos n’en font pas assez sur le sujet. Avec mon copain, on a fait des conneries de fric par le passé, et on doit trop rembourser. On voudrait rééchelonner 70 000 euros sur 10 ans, mais on nous fait chier. Comment regrouper les prêts ? Les aides juridiques ne savent pas répondre. On gagne bien notre vie, mais dès que j’ai le moindre découvert, la banque bloque. Je ne sais pas à qui m’adresser. On s’enfonce alors qu’on a 7 500 euros par mois. On ne part plus en vacances, mais j’ai besoin de bouger. J’ai besoin de loisirs, moi ! Je fais du cabaret, des spectacles de transformismes. Ça me donne de l’équilibre.

Le conseiller nous laisse patauger. Je me suis battu par rapport à la séropositivité. Je n’ai pas envie de tout perdre. Alors qu’on peut payer si on nous laisse du temps. En ce moment, on s’engueule avec mon copain. Au niveau santé, ça va. Mais avec tout ca, je n’ai plus envie de vivre. Alors, oui, même en étant animateur, ce week-end à Lucelle, m’a fait du bien. C’est quand même ressourçant ! J’ai vu des personnes avec des problèmes plus graves ! Je suis un battant à la base. Je n’ai pas encore envie de me laisser crever.

Propos recueillis par Renaud Persiaux.