"Le TASP, c’est notre argument majeur quand nous faisons pression pour avoir les nouveaux traitements"

Publié par Nikola le 28.10.2011
3 005 lectures

Nikola vit à Belgrade (Serbie). D’une voix calme et posée, il raconte son quotidien de jeune Serbe gay, séropositif et militant de la lutte contre le sida. Impossible pour lui de faire ce qui serait un double "coming out", hors du Q club, une association nationale de personnes séropositives.

La vie en Serbie quand on est gay et séropo ?
C’est OK, mais à condition de ne pas en parler ouvertement. Je sais que si tu en parles ouvertement, tu perds tes amis, tes connaissances, tu es rejeté à la fac, au travail. Et évidemment, tu perds tous tes plans culs. Donc, je n’en parle pas, en dehors des associations VIH.

C’est à 9 ans que j’ai su que j’étais gay. J’habitais dans un petit village serbe, et je n’avais personne à qui parler, il n’y avait personne qui disait qu’il était gay. Donc, quant j’ai essayé d’explorer qui j’étais, j’ai trouvé que, dans mon environnement, il y avait vraiment quelque chose qui clochait avec moi. A 7 ans, j’avais fait des trucs avec mes voisins, mais sans savoir que ce n’était pas "normal". Pour moi, c’était simplement des jeux de garçons.

J’ai essayé de combattre mes préférences, de me changer. Je suis devenu très religieux (orthodoxe, comme la majorité des gens ici). Je le suis toujours. Mais la façon dont je vois la religion, c’est différent, ce n’est pas quelque chose qui m’enfermerait. Ça m’ouvre, au contraire. C’est plus facile de me retrouver et d’aimer les faiblesses des autres. J’ai eu de la chance, parce que j’ai parlé de mon homosexualité avec des prêtres ou des moines, et aucun ne m’a jamais dit que c’était mal. Et aucun ne m’a dit que je n’obtiendrais pas le salut, que j’irai en enfer. Mais je les ai choisis en les entendant prêcher, je savais qu’ils allaient me comprendre. Je ne leur ai pas dit que j’étais séropo.

J’ai accepté mon homosexualité, à 18 ans, lorsque j’étais à Belgrade pour mes études. C’est une partie intéressante de mon histoire. Je suis sorti du placard… au lieu de combattre mon homosexualité. Je n’étais pas prudent à propos de ma santé. Peut être parce que je n’avais pas une bonne estime de moi, pas de but, je n’avais pas la force de me protéger. J’ai eu beaucoup de partenaires, avec parfois des rapports anaux sans préservatifs. Je connaissais le VIH et me dépitais régulièrement, tous les six mois à un an.

J’ai découvert mon statut à la clinique, à 21 ans. J’étais fatigué. On a cherché la mononucléose, le VIH, le VHC, le VHB. Positif pour le VIH. Un choc. J’ai pris une longue respiration, et j’ai demandé : "OK, je fais quoi maintenant ?" Une nouvelle réalité s’est construite dans ma tête. Tout a commencé à changer dans ma vie. D’abord, mon copain avec qui j’étais en relation ouverte, m’a quitté. Il avait toujours peur que je le contamine. Ce qui est drôle, c’est que maintenant il est avec un garçon qui est séropo, ce qu’ils ont découvert alors qu’ils étaient déjà ensemble. Je m’entends très bien avec les deux.

J’ai essayé de laisser derrière moi ma sexualité débridée et commencer à améliorer ma vie. Parce que le VIH, c’était trop pour moi, ma vie avait changé. J’ai voulu être plus responsable. La clinique où je suis suivi est en très mauvais état, ce n’est pas un endroit agréable où aller. D’un autre côté, dans la salle d’attente, quand j’ai parlé avec d’autres personnes également suivies là-bas.  Je leur ai demandé s’il fallait que je suive un régime alimentaire spécial. On m’a répondu : "Non, vous pouvez manger ce que vous voulez". Pareil, pour le sport, la cigarette. Ça ne changeait pas grand chose, finalement. J’ai compris que je ne devais pas me mettre la pression, mais faire le mieux que je pouvais faire et essayer de vivre normalement.

Le Q Club

Il y avait des posters du Q Club sur les murs de la clinique. J’y suis allé le même jour pour en savoir plus sur le VIH et parler avec le plus de personnes possible afin d’être bien informé. Je suis devenu activiste. Les traitements, c’était ma première préoccupation, j’ai travaillé là-dessus avec Smiljka de Lussigny, de l’EATG, l’European AIDS Treatment Group [équivalent européen du TRT-5, collectif interassociatif sur les traitements et la recherche thérapeutique anti-VIH], qui est originaire de Belgrade.

Médicaments, soins et tests biologiques sont gratuits en Serbie. J’ai décidé de foncer, d’aider les autres. Le problème est politique : le budget de la santé est faible. Le VIH n’est pas une priorité, la Serbie est un pays à faible prévalence puisqu’on compte officiellement 20 000 personnes séropositives dont 1 500 personne suivies pour une population de 7 millions d’habitants. On recense une centaine de nouveaux cas chaque année. Il y a de gros efforts à faire en termes de dépistage. 1 500 personnes suivies sur 20 000, on n’a pas le bon tableau. On ne gère pas le problème de la bonne manière, cela aura des conséquences à long terme.

Ma combinaison, depuis le début, c’est lamivudine, didanosine et efavirenz. Ma charge virale est indétectable. La didanosine, c’est ancien, et je sais qu’à long-terme cela peut abîmer les nerfs et entraîner des douleurs au bout des membres. Mais pour l'instant, je n'y pense pas trop. Je sors dans les rares bars et boîtes de Belgrade. Et je fais des rencontres par Internet. Quand je commencerais à avoir mal, je m’en soucierais.

Cette combinaison était dans les recommandations de prise en charge de l’époque. Nous avons seulement 13 médicaments anti-VIH approuvés en Serbie. Le fonds national pour les antirétroviraux, c’est un gros budget. Il faut que les médicaments soient sur la "positive list", ils sont alors fournis par l’Etat. Les tests de mesure des CD4 et de la charge virale ne sont pas prévus au budget, mais des économies sont faites sur le budget des médicaments au niveau national pour les financer.

J’ai fait un groupe d’auto support pour les jeunes gays.  A cette époque, j’ai réalisé que le problème majeur, au delà de la stigmatisation et de la discrimination, c’était les ruptures de médicaments et de tests biologiques. Pour moi, c’était prioritaire dans mon engagement. Q club n’est pas financé par la Serbie, mais par le Fonds mondial de lutte contre le sida. Nous avons un centre de soutien psychosocial et des formations de formateurs sur le conseil en médicaments anti-VIH.

Ma vie gay ? Elle était très intense, elle ne l’est plus. Je viens de rompre avec mon nouveau copain. Après la rupture avec mon copain, j’ai eu deux relations avec des séronégatifs qui savaient que j’étais séropo. J’ai essayé de parler aux jeunes séropos pour leur dire qu’ils ne doivent pas uniquement essayé d’avoir un copain, que c’est possible d’être en couple avec quelqu’un d’un statut différent.

Le TASP (traitement comme prévention), c’est notre argument majeur quand nous faisons pression pour avoir les nouveaux traitements. Les jeunes séropos ne connaissent pas le TASP. Ils pensent qu’ils devront utiliser les capotes toute leur vie. D’ailleurs, en Serbie, quand tu es séropo, tu as l’obligation légale d’utiliser des capotes tout le temps. Sans capote, tu peux être poursuivi. Si la capote casse ou qu’il y a du sang, tu as de gros problèmes ! C’est dans la loi sur les maladies infectieuses. L’avis des Suisses sur traitement et transmission, j’en ai entendu parler, mais pour moi, ce n’est pas une question importante, parce que je trouve que les capotes, c’est hygiénique. Quand je fais de la prévention auprès des jeunes, je dis qu’utiliser une capote, c’est comme une brosse à dents. Pendant des centaines d’années, on n’en a pas eu. Mais les utiliser, ça donne du plaisir, celui d’être propre et relax.

La vie gay DE BELGRADE ?

C’est peut-être le problème le plus important à Belgrade. Il y a juste quelques bars et boîtes gays : Apartment, un bar-disco, le Pleasure Disco, le Café Smiley, etc. Pour les soirées spéciales, il y a beaucoup de policiers, car il y a souvent des problèmes autour. Les cafés n’affichent pas qu’ils sont gays. Des incidents arrivent souvent, mais les policiers sont plus attentifs qu’avant. Un ami de la fac avait un fanzy bag dans la rue… A un arrêt de bus, des hooligans lui sont tombés dessus et l’ont tabassé. Il s’est réveillé à l’hôpital. Belgrade, c’est très macho. Faut y être viril, c’est ce que les gens attendent des mecs. Plein de jeunes ont l’impression qu’ils n’ont pas de futur, pas de boulot, ils sont sur les nerfs, ils ne veulent pas voir de pédés. Après 50 ans de communisme en Yougoslavie (la Serbie faisait partie de l’ex-Yougoslavie) et une décennie de guerre, agresser les gens, c’est courant. Il y avait des groupes paramilitaires qui, maintenant, n’ont plus de boulot…

La Gay Pride, l’an dernier, a été autorisée, parce que l’Union Européenne dont la Serbie veut faire partie attendait un geste. Les autorités ont géré : 5 000 policiers pour encadrer 350 participants, pas majoritairement des gays, mais des personnalités politiques, de la télé, etc. Ça ressemblait à un état de guerre, beaucoup de bagarres, avec de très jeunes opposants à la marche qui avaient 13-15 ans. Il y a eu beaucoup de dégâts à Belgrade.

Cette année, la Gay Pride a été annulée. Les nationalistes ont mis des inscriptions du style "Tuez les pédés", un peu partout. Le ministre de l’Intérieur et la police ont décidé que la sécurité n’était pas suffisante. Il y avait aussi des problèmes à la frontière avec le Kosovo. Le nationalisme fait un retour en force. Il n’est pas très populaire d’être libéral en ce moment. Etre conservateur, c’est jugé plus porteur pour gagner les élections législatives qui ont lieu en mai 2012.

Propos recueillis par Renaud Persiaux.

Commentaires

Portrait de BD92110

Merci pour ce très bon article, très intéressant sur tous les points dont il parle.