Mon inconnu du bus : Disance ? Dicibilité ? Ou simplement parler et échanger

Publié par Michel Bourelly le 26.07.2013
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Une fois n’est pas coutume, je vais vous raconter une délicieuse aventure qui m’est arrivée dans un bus RATP du centre de Paris.

Moi et d’autres… attendons comme toujours des plombes un hypothétique bus qui finit par arriver, bondé. Nous grimpons ; restons debout pour la plupart. Je suis seul, mais pas vraiment… tellement j’ai l’impression d’être habité par mes compagnons de voyage, d’infortune devrais-je dire. Mon mobile sonne et Francesca, une de mes collègues, m’appelle depuis Marseille pour un besoin urgent de médicaments.

-̶  "Tu sais où je peux trouver du Truvada, du Viread et du Reyataz pour quatre jours ?"
-̶ "Bon tu sais… Truvada, ce n’est pas un problème. Pour Reyataz et Viread, il faudrait que tu vois le médecin qui doit faire une sorte de garde autour de l’Europride".

Et puis je raccroche. C’est alors qu’un autre passager s’approche de moi et me glisse à l’oreille, mais d’une voix assurée et intelligible : "Moi, il me reste du Truvada, et j’ai même du Norvir. Vous savez, me dit-il, nous sommes nombreux, alors il faut s’aider". Puis il me raconte qu’ayant dépassé 70 ans, il a été contacté pour rentrer dans une enquête et qu’il trouve important d’y participer.

Ma joie et ma stupéfaction étaient à égalité. Je venais de faire du théâtre de l’invisible (1) et ça marchait … même à Paris. Cette expérience, inédite pour moi, a suscité quelques réflexions : certaines personnes arrivent à parler de leur séropositivité même à des inconnus dans un lieu public ; la générosité, la solidarité et le partage ne sont pas oubliés de tous ; les enquêtes que nous faisons sont aussi un lien avec les personnes concernées et il y a du gagnant/gagnant dans ces actions.

Voilà, même s’il est à la mode de n’être que négatif (moi, le premier), je voulais en cette période estivale, saluer "mon inconnu du bus", le féliciter pour son courage (peut-être pour lui… était-ce naturel ?), saluer aussi sa grande gentillesse et sa disponibilité.

Sans faire dans l’angélisme échevelé, on peut vivre avec le virus, on peut parler de son virus de son traitement, être heureux de participer aux études, être heureux de rendre service à ceux qui ont des problèmes. Alors tout cela m’a mis de bonne humeur. Tout cela, bien sûr, ne peut effacer les nombreuses personnes qui sont discriminées par leur entourage, leur employeur, leurs amants, etc. Tout cela ne peut pas faire oublier que nombreux sont ceux qui n’ont jamais parlé de leur séropositivité à une autre personne que leur médecin. Tout cela ne peut pas faire oublier que la vie d’un séropositif n’est pas un long fleuve tranquille, mais bel et bien un torrent tumultueux.

(1) Le théâtre invisible a été inventé en Amérique latine, à un moment où il devenait trop dangereux de militer de façon traditionnelle ouvertement. Cela consiste à jouer  une scène au milieu de gens qui ne sont pas des spectateurs : dans la rue, la queue d’un cinéma, un restaurant, un marché, un train... Ceux qui se trouvent là assistent à la scène par hasard et ignorent qu’il s’agit d’un spectacle et participent à un spectacle destiné à faire réagir, réfléchir… sans le savoir d’emblée. Cette technique a été utilisée avec efficacité par des associations de lutte contre le sida pour lutter contre les préjugés et les discriminations.

Commentaires

Portrait de frabro

Pour changer le regard de la société sur nous, il faudrait commencer par changer le regard que nous portons sur nous même.

Tant que l'immense majorité des séropositifs aura honte de l'être, vivra dans le secret sa séropositivité, la cachera à tous et aura la peur permanente que quelqu'un devine ou apprenne, la société continuera à nous regarder comme des bètes curieuses.

L'exemple que tu donnes, Michel, est ce que je défends depuis longtemps sur Seronet mais en ayant l'impression de prêcher dans le désert. L'idée prédominante du rejet inéluctable, c'est nous mêmes qui l'entretenons, et rares sont ceux qui comme je le fais, vivent sans se cacher même si pour autant on ne se promène pas avec un ruban rouge tatoué sur le front.

Apprenons à vivre normalement, et le monde nous regardera normalement.

Solidairement

François

Portrait de zak

Michel, et bien voila c était Frabro le mec du bus !

Portrait de frabro

zak wrote:

Michel, et bien voila c était Frabro le mec du bus !

mais ça aurait pu !

Portrait de lounaa

Il n'avait pas le  tatouage ruban rouge autour du frond !

Alors c'est pas lui ...

Portrait de lounaa

Front mde et non pas frond ,

je pensais à une fronde sur le coup, d'ou l'erreur ...

Portrait de Maleewan77

Merci Michel pour le partage de cette "anecdote", qui n'en est effectivement pas une quand on vit avec le VIH au quotidien... Dire, dire et redire pour changer le regard....

Portrait de ce0413

A l'annonce de mon infection par le vih, j'ai pensé que ma fin était proche. Tout ce que j'avais pu lire ou voir sur le sujet ne me promettait qu'un avenir funeste et qui plus est me culpabilisait.

Me culpabilisant non seulement sur ma pathologie mais aussi sur mon orientation sexuelle.

J'ai eu moi aussi mes bras en berne, mais pas tout a fait résigné. Mes infos me laissaient sous-entendre que les prédictions de ces oiseaux de mauvaises augures n'étaient pas exactes et que des chercheurs, au-delà de tout jugement, fassent que ce qui semblait être une malédiction, punition divine a été évoquée, ne soit qu'une nouvelle maladie.

Je vous cite Epitecte: " le tourment des hommes ne vient pas des choses, mais de l'idée que l'on se fait des choses".

N'ayant pas officialisé ma séropositivité à l'époque mais abordant le sujet ouvertement, même mes amis les plus intimes m'ont fait comprendre que jamais ils ne fréquenteraient ce genre de personnes.

Oui frabro pour changer le regard des autres sur la S+, il faut en premier lieu changer notre propre regard.J'ai changé mon regard.Non seulement sur ma séropositivité mais aussi sur toutes les différences qui font que chaque humain est unique.

Depuis j'ai rendu publique ma S+ , dans le domaine professionnel ,  tant qu'affectif  ou amical ; cà passe ou cà casse.Cà passe le plus souvent.

Lohic

Portrait de cyril13

Bonjour,

 

Tout d'abord, merci Michel pour ce témoignage.

 

La dicibilité ...le dire ou pas....chacun réagit à sa façon , vit dans un milieu social et affectif différent, etc...donc , en aucun cas, mon expérience ne se veut exemple, mais simple témoignage.

 

Après l'annonce de ma séropositivité (en 90, pendant la grossesse de ma femme), j'ai, pardon, nous avons, ma femme et moi, attendu presque un an pour que je fasse mon "coming out vih", et, dans des circonstances bien particulières.

 

Lors du baptème de notre fils (nég, ouf!), ma mère, déjà bien alcoolisée à son arrivée à l'église, ne trouva pas meilleure occasion pour (les verres s'étaient bien vidés) nous faire une grande crise dépressive, en pleurs devant 70 invités, de m'annoncer :

"Je veuuux mouuuriiir..."  etc....

Je vous passe les détails pathétiques.

Donc, je la prend par le bras, l'entraine en dehors de la salle de réception et nous allons nous asseoir sur un banc, où se trouve déjà une amie, Nath.

Je prends ma mère par l'épaule, et, connaissant les raisons de son état dépressif (l'alcool), lui dit :

 

"Merci, M'man! C'est le baptème de ton unique petit-fils (je suis fils unique) ....sympa ton cadeau!

Tu as envie de mourir ? Je vais te donner une bonne raison: Je suis plombé...ouais...Séropositif !"

C'est à ce moment que ses sanglots se sont stoppés et c'est aussi à ce moment que Nath a sorti :

"Bienvenue au Club !..."

J'ai laissé ma mère en réflexion et nous nous sommes, Nath et moi,  effondrés en larmes,enlacés l'un à l'autre. 

 

Paix à son âme ! Elle est partie seule quelques année plus tard, délaissée comme une pestiférée par sa famille et par son mec,  et moi, je suis toujours là...

Elle ne s'est jamais cachée de sa séropositivité et , malheureusement, n'a pas été entourée de personnes suffisament aimantes et intelligentes pour accepter sa sérologie, puis son sida...(le dire ou pas ?...).

 

Depuis ce jour donc, je n'ai jamais caché ma sérologie.

Il faut cependant savoir que j'ai toujours été mon propre patron, commerçant sur les marchés, braderies, foires expositions et centres commerciaux.

Je n'ai donc jamais craint d'éventuelles répercutions sur mon boulot...

 

J'irai plus loin en disant que je me suis même servi, et que j'en use encore aujourd'hui, de l'annonce de ma sérologie pour "savoir qui j'avais en face de moi", et, à mon modeste niveau, faire de l'information.

Je ne cache pas non plus, si on me le demande, la raison de mon infection qui est dûe à une période de toxicomanie de ma vie (81 à 84...oui suis séro-dinosaure !).

 

C'est, pour moi, comme un éxutoire..et , bien sûr, la meilleure façon de faire avancer le regard des autres sur les séropos.

 

Courage à tous!

Nous sommes vivants !

 

Cy.

 

 

 

 

Portrait de ce0413

Pour ton témoignage.

Dire ou ne pas dire est une question personnelle et de situation.J'use aussi de ce strtagème pour savoir à qui j'ai à faire.Les plus effrayés auxquels j'ai annoncé ma S+ sont des hommos, j'ai en quelque sorte modéré leurs ardeurs.Heureusement certains sont informés et se tiennent au courant des nouvelles avancées sur le hiv.En annonçant notre statut nous participons à l'évolution des mentalités.Je ne vis plus dans un sentiment de culpabilité, ça a pris un certain temps et un travail sur moi.Je suis devenu moi aussi plus tolérant et ce qui me faisait peur j'ai appris à le connaitre

Si je veux être reconnu et admis je me dois de reconnaître et admettre l'autre.Ma reconnaissance passe d'abord par sa reconnaissance .Se faisant je n'ai plus de préjugés ni de jugement vis à vis de l'être humain; sur les idées par contre j'en discute.Toutes ne sont pas concevables mais peuvent être émisent et débatuent.Je ne me considère ni bon ni méchant ,ce dualisme je le fuis.Je progresse et des efforts sont toujours a faire.

Portrait de fevrier

cyril13 wrote:

Bonjour,

 

Tout d'abord, merci Michel pour ce témoignage.

 

La dicibilité ...le dire ou pas....chacun réagit à sa façon , vit dans un milieu social et affectif différent, etc...donc , en aucun cas, mon expérience ne se veut exemple, mais simple témoignage.

 

Après l'annonce de ma séropositivité (en 90, pendant la grossesse de ma femme), j'ai, pardon, nous avons, ma femme et moi, attendu presque un an pour que je fasse mon "coming out vih", et, dans des circonstances bien particulières.

 

Lors du baptème de notre fils (nég, ouf!), ma mère, déjà bien alcoolisée à son arrivée à l'église, ne trouva pas meilleure occasion pour (les verres s'étaient bien vidés) nous faire une grande crise dépressive, en pleurs devant 70 invités, de m'annoncer :

"Je veuuux mouuuriiir..."  etc....

Je vous passe les détails pathétiques.

Donc, je la prend par le bras, l'entraine en dehors de la salle de réception et nous allons nous asseoir sur un banc, où se trouve déjà une amie, Nath.

Je prends ma mère par l'épaule, et, connaissant les raisons de son état dépressif (l'alcool), lui dit :

 

"Merci, M'man! C'est le baptème de ton unique petit-fils (je suis fils unique) ....sympa ton cadeau!

Tu as envie de mourir ? Je vais te donner une bonne raison: Je suis plombé...ouais...Séropositif !"

C'est à ce moment que ses sanglots se sont stoppés et c'est aussi à ce moment que Nath a sorti :

"Bienvenue au Club !..."

J'ai laissé ma mère en réflexion et nous nous sommes, Nath et moi,  effondrés en larmes,enlacés l'un à l'autre. 

 

Paix à son âme ! Elle est partie seule quelques année plus tard, délaissée comme une pestiférée par sa famille et par son mec,  et moi, je suis toujours là...

Elle ne s'est jamais cachée de sa séropositivité et , malheureusement, n'a pas été entourée de personnes suffisament aimantes et intelligentes pour accepter sa sérologie, puis son sida...(le dire ou pas ?...).

 

Depuis ce jour donc, je n'ai jamais caché ma sérologie.

Il faut cependant savoir que j'ai toujours été mon propre patron, commerçant sur les marchés, braderies, foires expositions et centres commerciaux.

Je n'ai donc jamais craint d'éventuelles répercutions sur mon boulot...

 

J'irai plus loin en disant que je me suis même servi, et que j'en use encore aujourd'hui, de l'annonce de ma sérologie pour "savoir qui j'avais en face de moi", et, à mon modeste niveau, faire de l'information.

Je ne cache pas non plus, si on me le demande, la raison de mon infection qui est dûe à une période de toxicomanie de ma vie (81 à 84...oui suis séro-dinosaure !).

 

C'est, pour moi, comme un éxutoire..et , bien sûr, la meilleure façon de faire avancer le regard des autres sur les séropos.

 

Courage à tous!

Nous sommes vivants !

 

Cy.

 

quelle histoire!bravo et courage.

 

Portrait de fevrier

beau temoignage michel!

merci