"Partager pour vaincre", mon journal (2/4)

Publié par Jonathan Quard le 05.04.2012
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Militant à AIDES, Jonathan a assisté pour la première fois à une conférence internationale sur le VIH : l’AFRAVIH 2012 à Genève. A cette occasion, il a tenu un journal des moments forts de cette conférence.

La pertinence du dépistage communautaire
Deuxième jour. La journée s’ouvre par une plénière sur l’épidémiologie, le dépistage et les nouvelles stratégies thérapeutiques. Le professeur Yazdan Yazdanpanah, le futur "Yéni" fait un topo sur les enjeux du dépistage et la politique dans les pays du nord. Depuis 2001, il y a encore 30% de dépistages tardifs (à moins de 200 CD4) qui engendrent donc un surcoût de prise en charge. Par ailleurs, un chiffre qu’il annonce me turlupine un peu… Il ne parle plus de 50 000 personnes ignorant leur séropositivité en France, mais d’environs 30 000… Peut-être qu’avec le TROD, on a déjà dépisté 20 000 personnes qui ne savaient pas leur séropositivité ? Mais il ne me semble pas… Bref 30 000, c’est quand même énorme, et il insiste sur le fait qu’il faut renforcer la stratégie de dépistage ! Il faut que le dépistage soit ciblé et fait régulièrement ! Les études ont montré que seul un homme ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes sur quatre qui va chez le médecin se voit proposer un test de dépistage, et seuls trois médecins sur dix se sentent légitimes à parler de sexualité avec leurs patients. Il propose un dépistage généralisé au moins une fois, pour tous les hommes de 25 à 54 ans. Pour les femmes, le fait qu’un dépistage soit systématiquement proposé lors du suivi prénatal fait qu’elles sont bien plus diagnostiquées que les hommes en population générale. Yazdan Yazdanpanah insiste aussi sur l’efficacité et la pertinence du dépistage communautaire comme on le pratique à AIDES. Il parle ensuite des autotests sur une diapositive avec des arguments pour (anonymat, rapidité, facilité d’accès, etc.) et des arguments contre (perte de vue d’éventuels résultats positifs, absence de counselling pour un résultat positif, etc.). Une étude montrerait que 30% des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) connaîtraient l’autotest, et que 3,5% d’entre eux en auraient même déjà fait un. Ce serait un profil de personnes qui, souvent, cachent leur sexualité. Comme Dominique Costagliola, la première intervenante de la session, Yazdan Yazdanpanah termine son diaporama par un appel à aller manifester le lendemain devant le siège de l’OMPI (Organisme mondiale de la propriété intellectuelle) à Genève pour protéger l’accès aux médicaments génériques. Globalement, cette plénière était plutôt intéressante.

L’épidémie cachée en France  
La journée se poursuit par plusieurs séances de 10h30 à 17h30. La première à laquelle j’assiste est évidemment celle sur le dépistage… Ce chiffre (30 000 personnes qui ignorent leur séropositivité) annoncé par Yazdan Yazdanpanah plutôt, avait attisé ma curiosité. La première présentation "Quelle est la taille de l’épidémie cachée en France ? " allait justement être l’occasion d’en savoir plus. La jeune chercheuse, avec un joli accent du Sud, nous explique que des nouvelles méthodes de calcul ont été mises en place, et qu’en fait sur les 146 300 personnes vivant avec le VIH en France, il n’y aurait pas 50 000 mais entre 24 000 et 29 800 personnes ignorant leur séropositivité et qui seraient à l’origine de plus de 40% des nouvelles infections. Elle parle assez rapidement, mais en gros ce calcul est basé à l’origine sur une estimation de la prévalence du VIH non diagnostiqué en Ile-de-France, puis sur la proportion de contaminations en Ile-de-France par rapport au reste du pays, mis en corrélation avec le nombre de personnes sous ALD 7 (personnes qui se voient reconnues en affection de longue durée pour le VIH). Ainsi, on arriverait à 35 000 personnes ignorant leur séropositivité, cependant 26% de celles-ci seraient en réalité au courant de leur séroconversion depuis au moins trois mois, mais ne seraient pas entrées dans un parcours de soin. Par ailleurs, en prenant, fin 2010, l’estimation de 29 800, il y aurait 9 000 hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, 500 personnes usagères de drogues par voie injectable, 9 800 hétérosexuels français, et 9 500 hétérosexuels étrangers. Cependant, elle insiste sur le fait que pour être efficace sur l’épidémie, le dépistage ciblé et avec une offre diversifiée est indispensable. Sur 10 000 tests en population ciblée, notamment HSH, on en dépisterait 300 positifs, alors que sur 10 000 dépistages en population général, il n’y aurait "que" trois tests positifs. Elle termine par une dernière information intéressante, en France il n’y aurait que 56% des personnes vivant avec le VIH (sur les 146 300) qui seraient traitées efficacement, avec une charge virale indétectable, ce qui n’est pas suffisant hélas encore pour faire baisser l’incidence (estimation du nombre de personnes qui seront contaminées dans une population donnée, sur une année).


Une autre intervention est plutôt intéressante, c’est le bilan au Maroc, huit ans après l’introduction des tests rapides. Cela ne se passe pas vraiment comme en France car seul le personnel médical peut pratiquer le dépistage. L’introduction de cette nouvelle technique a fait passer le nombre de dépistages réalisés en 2003 de 1 000 à 11 000 au Maroc, et à plus de 47 000 en 2010. Il est à noter que l’introduction d’unités mobiles de dépistage a permis une augmentation de plus de 55% du nombre de tests réalisés. Une initiative qui serait peut-être à creuser en France, c’est l’introduction d’une journée nationale du dépistage où en une journée ils dépistent plus de 6 000 personnes sur tout le pays !

Les médecins parlent… aux médecins !
La séance suivante est l’exemple même d’erreur que je vous conseille de ne pas reproduire si vous avez la chance de participer à un séminaire de ce genre ! Un titre plutôt alléchant : "VIH : recherche et nouveaux concepts", avec notamment une première intervention intitulée "Vaccination anti-VIH : actualités" qui, au final, quand la personne arrive se transforme en : "Le contrôle immunologique des réservoirs à VIH". Ma première année de médecine ne m’a pas suffi à comprendre les liens ultra-rapides entre toutes les réactions immunologiques… Grosso modo, il faut pousser les recherches vers les cellules souche mémoires des lymphocytes T4, pour réduire l’avidité du VIH pour les CD8. Il faut initier le traitement le plus rapidement possible, et l’étude VISCONTI est très prometteuse, avec des personnes traitées en primo-infection, avec plus de 10% de contrôleurs spontanés de la charge virale après arrêt de traitement contre 1% de Natural Controllers. En gros... c'était des médecins chercheurs qui parlaient à leurs pairs… un charabia assommant pour un militant lambda ! D’ailleurs, le Québécois qui était devant moi s’est mis à ronfler bruyamment pendant quelques minutes au milieu d’une intervention ! C’était le côté drôle de la séance. J’aurais bien mieux fait d’aller assister à la séance avec laquelle j’avais hésité… celle sur "Dicibilité et visibilité" avec la super présentation de Cynthia Benkhoucha (une collègue de AIDES) sur les Femmes séropositives en action et une autre présentation faite par Renaud Persiaux (lui, aussi, un collègue de AIDES). En plus d’avoir été visiblement très intéressant, cet atelier a aussi eu un instant comique, avec un militant suisse demandant à Renaud si à AIDES on "faisait aussi des actions pour nous les gays ?" après que Cynthia et Renaud aient fait deux présentations mettant en avant des actions avec des femmes !

Des coalitions pour agir contre le sida
Enfin, la dernière séance à laquelle j’ai participé, portait sur "VIH : Religion et Croyances". Les différentes interventions étaient plutôt longues (dépassant les horaires définis par les montres suisses) et assez redondantes, au final. Beaucoup en fait relataient les différents cultes dans leur pays en Afrique, et la manière dont les instances religieuses avaient pu créer des coalitions pour agir contre le sida, avec plus ou moins de réussite, et plus ou moins d’ouverture et de tolérance sur la sexualité et l’homosexualité. Au Burkina-Faso, par exemple, les évangélistes, les catholiques et les musulmans se sont rejoints pour parler de santé en faisant fi de la religion dans leurs réunions, pour créer des documents en direction de leurs communautés respectives. Cependant, la capote est "autorisée" uniquement dans le cadre de couples séro-différents, et la question de l’homosexualité n’a pas encore été abordée… "peut-être plus tard", paraît-il.


En revanche, au Burundi, une approche "conciliante" entre les croyances et la réalité du VIH a été adoptée. Elle est plutôt intéressante à mon goût. Les croyances locales promeuvent "qu’aucune maladie n’est incurable devant la puissance divine, et que seules les prières guérissent de cette punition divine qu’est le sida". Les militants présentant leur action interviennent en leur disant du genre : "Ok, fais tes prières, mais seul un test te dira si tu es vraiment guéri du sida… si t’es guéri c’est tant mieux, mais si le test est positif, alors il faut initier un traitement anti-VIH". Je pense que cela peut être une bonne technique pour ne pas froisser les esprits et permettre d’avancer dans la lutte contre le VIH.

Lire les épisodes 1, 3 et 4.