Dans l’os !

Publié par Sophie-seronet le 16.04.2019
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Dans certains pays, on pratique des tests anaux au prétexte qu’ils permettraient aux autorités de déterminer, à coup sûr, qu’une personne est homosexuelle. Cela établirait la preuve dont la justice (sans ironie !) a besoin pour engager des poursuites.

Eh oui, dans les pays où on pratique cela (la Tunisie, par exemple), on poursuit les homosexuels pour la seule raison qu’ils sont homosexuels. Un motif manifestement suffisant ! L’idée est d’un autre âge, contrevient à des traités internationaux que ces dits-pays ont pourtant ratifiés ; mais elle sévit toujours, s’appuyant sur une pratique, celle des tests anaux, rangée dans la catégorie tortures et sévices… mais toujours appliquée.

Dans certains pays, on pratique les tests osseux sur les jeunes personnes migrantes pour déterminer leur âge et du coup décider du traitement qui leur sera réservé en matière d’immigration et de droit au séjour. C’est le cas de la France (dont on peut, incidemment, rappeler qu’elle se prévaut toujours d’être la patrie des droits humains).

Depuis longtemps, des organisations de la société civile qui défendent les droits des personnes étrangères demandent la suppression de ces tests qu’elles estiment moralement condamnables et très contestables d’un point de vue scientifique. Elles avancent aussi que cette pratique est « attentatoire aux droits de l’enfant ». Certains-es critiquent les tests en tant que tels ; d’autres estiment que ce n’est pas tant les tests en eux-mêmes qui sont scandaleux « que l’usage et l’interprétation qui en sont faits, notamment par les magistrats ». En Tunisie, c’est un avis médical sur un anus dont se servent les juges pour poursuivre et condamner ; en France, c’est un résultat médical sur les os dont se servent les juges pour statuer et expulser.

Il y a quelques mois, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par un jeune Guinéen qui déclarait avoir 15 ans lors de son arrivée en France. Les autorités françaises (toujours soupçonneuses, c’est presque une seconde nature) avaient exigé un examen osseux, qu’il avait refusé. Il avait alors été considéré comme majeur. Contestant cette décision, il avait finalement réalisé le test qui lui avait donné entre 20 et 30 ans (une fourchette assez large, comme on voit). Il avait alors contesté la méthode et le résultat. Rapidement, différentes organisations non gouvernementales, dont Médecins du Monde, avaient, à leur tour, dénoncé « cette absence de pertinence scientifique et éthique ». Le test osseux consiste en une radio de la main et du poignet (mais parfois on fait aussi les clavicules ou les molaires), radios qui sont ensuite comparées à celles d'un atlas médical assez vieux. Le Quotidien du Médecin nous apprend (12 mars) que cet atlas dit de « Greulich et Pyle » (du nom de ses inventeurs) est une compilation de radios prises entre 1931 et 1942 ( !) sur des enfants américains de milieux aisés. Si le test osseux n’est pas physiquement douloureux, il l’est sans doute psychologiquement et même symboliquement. La France, se souvenant parfois qu’elle se prévaut d’être la patrie des droits humains, a choisi d’encadrer juridiquement cette pratique. Les conclusions de ces examens doivent préciser la marge d’erreur. Elles ne peuvent, à elles seules, permettre de déterminer si la personne intéressée est mineure. Et le doute est censé profiter à l’intéressé-e. Cette question de la pertinence scientifique d’une telle méthode a fait l’objet de débats ces dernières années. Le Quotidien du Médecin nous rappelle ainsi que l’Académie de médecine estimait, en 2007, que cette méthode permettait d’apprécier avec une « bonne approximation » (sic) l’âge en dessous de 16 ans ; mais cela devenait nettement plus compliqué voire impossible entre 16 et 18 ans. Or, chez nous, à moins de 18 ans, on est mineur, légalement parlant.

Le Conseil constitutionnel était donc invité à se prononcer sur la légalité de cette pratique un peu hors d’âge, s’appuyant sur une méthode datée, moralement contestable et scientifiquement controversée. Ajoutons que plusieurs autorités administratives indépendantes comme le Défenseur des droits ou la Commission nationale consultative des droits de l’homme ont également contesté l’utilisation de ces tests osseux. Lors des audiences, les associations parties prenantes à la procédure, ont montré de très grandes disparités d’une région à une autre, selon que les tests étaient réalisés par des instituts médico-judiciaires ou des cabinets de ville. Certains avis ne mentionnaient aucune marge d’erreur, comme l’a souligné le Défenseur des droits. Il faut lire sur ce sujet l’excellent article de Mathilde Mathieu paru sur Médiapart le 12 mars dernier : « Devant les Sages, le procès des tests osseux pratiqués comme détecteurs de mensonge sur des mineurs étrangers ». A priori, les opposants-es aux tests osseux ne manquaient pas d’arguments… et pourtant le 21 mars, le Conseil constitutionnel a déclaré « conformes à la Constitution » les examens radiologiques utilisés pour évaluer la minorité des jeunes sollicitant une protection en tant que mineur-e-s isolé-e-s, rejetant ainsi les arguments des neuf organisations (1) soutenant cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Dans un communiqué (21 mars), ces structures affichent colère et inquiétude concernant cette décision « qui porte gravement atteinte à la protection et aux droits fondamentaux de ces enfants et adolescents-es vulnérables ». « En jugeant cette disposition conforme à la Constitution, le Conseil constitutionnel légitime l’utilisation d’examens médicaux critiqués par nos organisations, mais aussi et surtout par les hautes instances scientifiques et médicales ainsi que par le Défenseur des Droits, qui dénoncent le détournement de l’utilisation de ces examens en dehors de toute considération de santé. Ces examens radiologiques sont régulièrement instrumentalisés au profit d’arbitrages migratoires. Ils représentent un obstacle majeur à l’accès aux droits et aux soins de ces jeunes isolés-es et renforcent considérablement leur fragilité ». Et les associations parties prenantes d’insister sur les conséquences de cette pratique. « L’utilisation des tests osseux a de lourdes conséquences sur les conditions de vie, la santé et les droits des mineurs-es non accompagnés-es. Ces enfants et adolescents-es, particulièrement vulnérables en raison de leur âge, leur parcours migratoire et les traumatismes qu’ils-elles ont vécus, risquent, sur la base de tests non fiables, de se retrouver exclus-es de toute protection, à la rue, sans accompagnement social, sans scolarisation et être exposés-es aux violences induites par cet environnement précaire et dangereux ». On l’aura compris, là où les opposants-es aux tests voit dans le maintien de cette pratique une « atteinte grave aux droits fondamentaux de l’enfant, les mettant consciemment en danger », le Conseil constitutionnel ne voit aucun problème.

En Tunisie, les autorités ne voient pas non plus où est le problème avec la pratique des tests anaux. En France, même son de cloche donc. Dans l’os !

(1) : Anafé, Avocats sans frontières, Gisti, La Cimade, Ligue des droits de l’Homme, Médecins du Monde, Secours catholique/Caritas France, Saf (Syndicat des avocats de France) et le Syndicat de la magistrature.