Heineken et Fonds mondial : éthique et toc !

Publié par jfl-seronet le 14.02.2018
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C’était à Davos, le brasseur néerlandais Heineken annonçait qu’il avait décidé d’investir dans un grand programme de santé, programme qui permettrait de distribuer des médicaments et du matériel de soins sur le continent africain, tout spécialement dans les régions les plus reculées ; celles justement où soins et médicaments sont le moins accessibles.

Ce partenariat, le brasseur le réalise avec le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Tout semblait aller bien dans le meilleur des mondes. D’un côté, un domaine où l’argent fait toujours défaut et les enjeux sont majeurs. De l’autre, un grand groupe qui a énormément d’argent et entend s’engager dans l’accès à la santé des personnes les plus précaires. C’est, sur le papier, le mariage idéal entre la juste cause et la grande entreprise qui affirme sa responsabilité sociale…

Mais voilà, cet engagement n’a pas plu à tout le monde, notamment celles et ceux qui y voient un problème d’éthique ou, à tout le moins, un conflit d’intérêt.

Des alliances d’organisations non gouvernementales sont montées au créneau. "Nous comprenons la nécessité de chercher de nouveaux mécanismes de financement pour la santé mondiale", expliquent-elles, mais "nous attirons respectueusement l'attention sur les dangers inhérents à des partenariats avec les producteurs et promoteurs de produits dangereux tels que l’alcool". Ce sont précisément des organisations non gouvernementales engagées dans la lutte contre les effets de l’alcool qui ont dénoncé ce partenariat.  Elles y voient un paradoxe à ce que la santé soit financée par une industrie dont l’activité pose un problème de santé publique. IOGT international (prévention contre l'alcool et les drogues), NCD Alliance et Global Alcohol Policy Alliance ont donc appelé le Fonds à "mettre fin immédiatement" à ce partenariat. Pour ces ONG, les "partenariats avec l'industrie des boissons alcoolisés sont intrinsèquement chargés de conflits d'intérêt".

Du côté du Fonds mondial, on ne semble pas comprendre le problème et on loue le partenariat. Le site du Fonds mondial défend d’ailleurs farouchement la "puissance des partenariats public-privé". "Ces partenariats illustrent de surcroît le rôle central qui revient au secteur privé dans la promotion de la santé mondiale pour protéger les populations contre les maladies infectieuses et enrayer les nouvelles menaces qui pèsent sur la santé", explique d’ailleurs Christoph Benn, directeur des relations extérieures du Fonds mondial dans un billet publié sur le site du Fonds mondial. Et Christoph Benn d’expliquer : "Dans le cadre de cette association, Heineken mettra à disposition ses compétences en matière de logistique et de communication pour aider le Fonds mondial à mieux atteindre certaines populations spécifiques qui sont davantage exposées au risque de VIH, de tuberculose et de paludisme. Heineken enverra ses spécialistes en chaîne d’approvisionnement faire équipe avec les logisticiens du Fonds mondial afin de mettre en commun leurs compétences en matière de prévision de la demande et de contrôle de la qualité en cours d’expédition. A l’échelon local, Heineken appuiera les efforts déployés dans les pays d’Afrique où la société est implantée afin d’améliorer l’efficacité de la distribution capillaire, qui vise à faire en sorte que les établissements de soins de santé et les patients des zones reculées puissent obtenir les bons produits. C’est déjà ce qui se passe en République démocratique du Congo, en Afrique du Sud et au Nigeria".

Ce qui est surprenant dans cette histoire, c’est que le Fonds mondial ne semble jamais se poser lui-même la question posée par les ONG, un peu comme si cela lui passait au dessus de la tête, comme si ce partenariat ne posait aucune question d’éthique, comme s’il s’agissait d’un faux problème. Sans doute, le brasseur est-il sincère dans son engagement en faveur de la santé, mais ne pas penser que cet engagement dans ce domaine si particulier est aussi une stratégie de la marque, ne pas le dire, ni le souligner fait plus que surprendre. Le Fonds mondial donne le sentiment d’être trop content de la bonne aubaine d’avoir un partenaire si fortuné, si bien équipé, si bien armé dans son réseau en Afrique… un réseau qui vend de l’alcool. Dans leur interpellation, les ONG avancent qu’elles ont d’autant plus réagi que des études médicales ont montré que l'alcool était un facteur de risque important pour la tuberculose et le VIH/sida… Le Fonds mondial n’en dit rien.