Colère noire !

Publié par jfl-seronet le 30.03.2010
843 lectures
Notez l'article : 
0
 
Ni pauvre Ni soumis
En mars 2008, le collectif Ni pauvre, Ni soumis organisait une grande manifestation à Paris (35 000 personnes) pour réclamer des avancées notamment financières pour les personnes en situation de handicap ou atteintes d'une maladie invalidante. Le 27 mars, plusieurs manifestations en France ont rappelé le gouvernement à ses obligations. Car depuis deux ans, ce dernier n'a rien fait. Seronet était à la manifestation parisienne.
NI_PAUVRE_NI_SOUMIS_27_MARS_2010_N_8_JPG.jpg

Il y a pas mal de vent. Il ne fait vraiment pas chaud. Le ciel est gris et il y a même un peu de pluie… Tout cela n'empêche pas Thierry de manifester ce samedi 27 mars à l'appel du mouvement  Ni pauvre, Ni soumis. Il y a deux ans, Thierry n'avait pas participé à la grande manifestation à Paris. Cette fois, il est présent, en fauteuil, avec plusieurs milliers de personnes sur le parvis des droits de l'Homme à Paris. Pourquoi ? "C'est simple. Je perçois 623 euros par mois de pension d'invalidité. Je n'ai pas de quoi subvenir à mes besoins. Je n'ai pas d'AAH et pas non plus d'aide à une tierce personne. Je n'ai pas non plus d'aide au logement", explique Thierry qui est en situation de handicap depuis dix ans. Alors comment fait-il ? "Je n'ai pas de loisirs. Si je sors, c'est entre amis à la délégation de l'association des paralysés de France [APF]. J'ai la chance d'avoir beaucoup de soutien familial. Ma famille m'aide financièrement. Je ne sais pas comment cela se passerait si je ne pouvais pas compter sur elle", indique Thierry qui demande à ce que l'AAH et la pension d'invalidité soient alignées sur le SMIC. C'est une des principales revendications de Ni pauvre, Ni soumis. Une revendication qui est désormais ancienne, elle était déjà portée il y a deux ans. Une revendication qui est restée lettre morte tout comme les demandes de rendez-vous adressées à Nicolas Sarkozy par le Collectif Ni pauvre, Ni soumis.


"C'est évident que les gens au gouvernement ne sont pas tellement concernés. On voit bien qu'ils n'ont pas un proche dans une situation de handicap qui se débat dans les mêmes difficultés que nous… Ils ne se rendent pas compte des problèmes qu'on a pour vivre, je dirai même pour survivre, assène Thierry. Notre rassemblement d'aujourd'hui est nécessaire. Il y a tant de choses à obtenir. Pourquoi la Sécurité sociale rembourse si mal les équipements ? Un fauteuil roulant compte près de 2 500 euros et la Sécurité sociale n'en rembourse que 560 !"

 

Thierry est en colère et il n'est pas le seul. Maude [son prénom a été modifié] est venue en famille avec son mari et ses trois enfants dont l'un est atteint d'un très lourd handicap. La famille est souriante, mais soucieuse, en colère aussi. Maude a participé à la marche de 2008 comme sympathisante, maintenant elle et son mari s'investissent plus… car, hélas, rien n'a bougé.


"En tant que parent d'un enfant handicapé, la vie tient parfois du chemin de croix. Nous sommes là aujourd'hui car nous voulons travailler au futur de notre fils. On se bat pour que sa vie soit meilleure dans 20 ans. C'est maintenant qu'il faut manifester, faire changer les choses pour qu'il ait, comme d'autres, des chances d'avoir des revenus, d'être plus autonome, qu'il ne soit pas, malgré sa grande dépendance, dépendant de ses sœurs. On se bat aujourd'hui parce que nous voulons lui assurer le meilleur avenir possible surtout lorsque nous ne saurons plus là", explique Maude. Mère de famille et militante, elle est critique sur le manque de volonté du gouvernement. "Des villes, des départements, des régions font des choses en matière de handicap. Si l'Etat le voulait vraiment, il permettrait qu'il y ait des avancées. Et que voit-on ? Des reculs sur la loi de 2005 sur le handicap. En fait, tant que les politiques ne seront pas eux-mêmes concernés directement par le handicap, ils ne se bougeront pas. Ils n'arrivent pas à se mettre dans la tête des gens concernés. Sur cette question, on a cinquante ans de retard sur les pays anglo-saxons. C'est incroyable et insupportable de voir comment on traite les personnes en situation de handicap. Alors que beaucoup de personnes concernées sont jeunes, qu'elles veulent faire des choses, participer à la vie et avoir une vie la plus standard possible… rien n'est fait pour les y aider."

 

Lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s'était engagé à revaloriser l'AAH (allocation aux adultes handicapés) de 25 % sur cinq ans. Cette prestation perçue par environ 850 000 personnes a effectivement augmenté ces dernières années, mais pas au rythme attendu. Plutôt contents d'eux, le nouveau ministre du Travail Eric Woerth et la secrétaire d'Etat à la Famille Nadine Morano ont affirmé (27 mars) que la promesse serait tenue. Concrètement, l'AAH devrait être portée à 696,63 euros par mois au 1er avril 2010, puis 711,95 euros au 1er septembre 2010, mais les deux ministres ne parlent pas de la pension d'invalidité qui, elle, a augmenté moins que le taux d'inflation. Les ministres ne disent pas non plus que malgré cette augmentation de l'AAH : les bénéficiaires restent sous le seuil de pauvreté. Il est vrai qu'il n'y a pas de quoi être fiers. Du côté de Ni pauvre, Ni soumis, on ne se satisfait pas de cette aumône. Les associations membres de ce collectif demandent la "mise en place d'un véritable revenu d'existence [au moins égal au SMIC] pour les personnes qui ne peuvent pas ou plus travailler". Président de l'Association des paralysés de France (APF), Jean-Marie Barbier n'est pas dupe des maigres annonces gouvernementales : "Il faut que chacun soit bien conscient que sans cette incroyable mobilisation [la manifestation de 2008], la promesse d'une augmentation de 25 % de l'AAH sur cinq ans n'aurait pas été tenue. Il faudrait tout de même se souvenir que la même allocation avait perdu 25 % de sa valeur par rapport au SMIC pendant les vingt-cinq années précédentes." "Notre volonté est de voir créer un véritable revenu d'existence indépendant des ressources du conjoint, rappelle Jean-Marie barbier. Ce n'est pas une nécessité, c'est une condition de la citoyenneté. C'est donc une exigence légitime".

Rappel à l'ordre, les manifestations du 27 mars de Ni pauvre, Ni soumis (dans une vingtaine de villes en France) le sont aussi. Et Jean-Marie Barbier de dénoncer "l'extrême pauvreté des personnes en situation de handicap ou de maladie qui ne peuvent pas ou plus travailler du fait de cette situation" et de crier "au scandale de la dégradation des conditions de vie déjà précaires [de ces personnes] à cause de mesures antisociales telles que la hausse du forfait hospitalier, les franchises médicales, la fiscalisation des indemnités des accidents du travail, les déremboursements de certains médicaments, la hausse des mutuelles…). Pour le président de l'APF : "la santé n'est pas une marchandise". C'est donc avec une grande méfiance qu'il note l'arrivée d'Eric Woerth au ministère du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique. "Notre nouveau ministre, rappelons-le est l'ancien ministre du Budget qui, dans ses anciennes fonctions à classer sans suite budgétaire nombre de sujets concernant le handicap laminant ainsi jusqu'aux principes fondateurs de la loi de 2005 sur le handicap. Difficile de ne pas y voir le symbole d'une approche financière et budgétaire des affaires sociales lorsque nous parlons d'humains."


A l'applaudimètre, les ministres n'ont pas fait un tabac et Nicolas Sarkozy pas davantage. Les manifestants, à pied, en fauteuil, ont tourné sur le parvis des droits de l'Homme sous un ciel aussi noir que leur colère, façon de montrer que le Collectif Ni pauvre, Ni soumis est en mouvement et qu'il ne tolère pas le statu quo actuel.

Photos : JFL