Drogues : histoire d’un débat shooté à la morale

Publié par Mathieu Brancourt le 13.06.2011
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C’est une guerre de près d’un demi-siècle. La lutte contre la drogue a été l’une des rares où l’ensemble des gouvernants de la planète tombait d’accord. Il fallait se structurer pour traquer, réprimer, éradiquer. Le débat sur les salles de consommation supervisée en France a ainsi cristallisé les peurs irrationnelles des politiques. Mais aujourd’hui, des voix s’élèvent partout dans le monde, pour extirper cette lutte des convictions moralisatrices.
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Depuis près de 50 ans, la guerre contre la drogue est déclarée. Les moyens jusqu’ici mis en œuvre n’ont pas permis d’éradiquer ce qui est considéré comme une épidémie. Les politiques de répression et de criminalisation des pratiques (consommation, fabrication) n’ont quasiment pas réduit le trafic mondial. Il serait pourtant nécessaire de s’interroger sur l’efficacité réelle des politiques mises en place. Pourtant, l’évocation de nouvelles stratégies de lutte a toujours été balayée par les gouvernants, qui s’obstinent à rejeter de manière idéologique toute perspective de libéralisation du marché de la drogue ou de mise en place de structures novatrices, au grand dam des associatifs et des scientifiques. De ce fait, la plupart des usagers de drogues se retrouvent rejetés, précarisés et discriminés. Ces derniers sont déconsidérés dans leur consommation, avec le refus de prise en compte de leur addiction d’un point de vue sociétal ou sanitaire.
Pourtant, il existe des pays "pilote" dans la prise en charge des personnes usagères de drogues. La Suisse, les Pays-Bas ou encore le Canada ont dépénalisé certaines substances, sans que cela fasse le jeu des dealers, ou que le nombre de personnes utilisant des produits psycho-actifs augmente. Se fondant sur des études montrant l’efficacité de structures, comme celles sur les salles de consommation supervisée, ils ont cherché à inclure les usagers de drogues dans un système de santé globale, avec des structures permettant un accès à la prévention et au matériel d’injection propre, afin d’améliorer l’accès aux soins des personnes les plus vulnérables. Cette démarche alternative n’est certainement pas parfaite, mais elle se fonde sur des éléments scientifiques jusque là ignorés.
Pourtant en 2010, le mouvement intitulé "la Déclaration de Vienne", lancé par des chercheurs de lutte contre le sida. Ces derniers avaient demandé aux gouvernants, lors de la Conférence internationale sur le sida, de fonder les stratégies de lutte contre les drogues sur les preuves scientifiques, plutôt que sur la morale. Sans résultat. L’exemple de la France est significatif d’une politique strictement axée sur la répression de la consommation de produits stupéfiants. Lors du débat d’avril 2010 sur les salles d’injections, la majorité en place, par l’intermédiaire du Premier ministre François Fillon, a refusé toute possibilité de "participer au commerce de la drogue". Méprisant ainsi une étude faite en 2003 à Vancouver, qui avait montré une réduction de 35% des overdoses mortelles, grâce à la mise en place d’une salle dédiée à l’injection. Méprisant également le rapport officiel de 2010 de l’Inserm (Institut National de la santé de la recherche médicale), favorable à l’expérimentation des salles de consommation.
Dès 1998, un appel avait été lancé (et ignoré) dans le "New York Times", pour un véritable débat sur le problème de la drogue. Il vient d’être renouvelé par des personnalités politiques et publiques de tous horizons, à l’occasion du cinquantenaire des conventions de l’ONU (Organisation des nations unies) sur les drogues. Il demande un véritable changement de stratégie(s) parce que "la guerre globale a échoué, avec des conséquences dévastatrices pour les individus et les sociétés à travers le monde". Il demande instamment aux politiques d’accepter le constat d’échec (qu’ils confessent en privé) des stratégies répressives et qu’elles n’ont jamais été et ne seront jamais victorieuses dans cette bataille. "Mettre fin à la criminalisation, la stigmatisation et la marginalisation des gens qui consomment des drogues sans pour autant nuire à autrui". Ainsi, cet appel plaide pour une dépénalisation du cannabis et des expériences de réduction des risques (salles de shoot, traitements de substitution…) ou encore la révision du système de classification des drogues. Il demande aussi que "l’application de la loi ne porte pas sur la réduction du marché en lui-même, mais sur la réduction des problèmes qu’il cause aux individus, aux communautés et à la sécurité nationale". Un appel signé par près de 600 000 personnes à travers le monde. Seule la Colombie s’est dite prête à étudier une "nouvelle orientation". Les USA et le Mexique, quant à eux, ont dénoncé un rapport "mal informé et qui va dans une mauvaise direction". Une réponse qui pourrait également s’appliquer à leurs stratégies actuelles.