Immigration : clameur de haro !

Publié par jfl-seronet le 08.05.2023
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Politiqueimmigration

Ces dernières semaines, le gouvernement est revenu à la charge avec un nouveau texte sur l’immigration et l’asile. Un texte dont il promet qu’il sera équilibré entre « rigueur » et « humanité », mais qui penche toujours vers plus de rigueur, avec ou sans pression de la droite, d’ailleurs. À l’occasion de cette annonce, se profilent de nouvelles restrictions des droits pour les étrangers-ères et de potentielles nouvelles attaques contre l’AME. À l’étranger aussi se manifestent des craintes quant aux droits des réfugiés-es.

De report en report, le projet de loi sur l’immigration demandé par Emmanuel Macron et défendu par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur… semble s’éloigner. Reste que les craintes demeurent, notamment du côté de la société civile ; celle qui est attachée à la défense des droits des étrangers-ères. Pour le moment, nous en sommes encore au stade des chicayas politiciennes et de la stratégie du billard à trois bandes…

Borne renonce à une loi immigration

On verra plus tard… La Première ministre, Élisabeth Borne, a présenté mercredi 26 avril sa feuille de route pour les « cent jours d’apaisement » et « d’actions » décrétés par Emmanuel Macron. La cheffe de gouvernement a présenté un large éventail de mesures « concrètes », mais pas de projet de loi sur l’immigration. Elle a donc annoncé que le projet de loi sur l’immigration, voulu par Emmanuel Macron, ne serait finalement pas présenté dans l’immédiat, faute de majorité à l’Assemblée Nationale pour l’adopter. Cela repousse donc à l’automne un hypothétique texte aux contours vagues. « Aujourd’hui, il n’existe pas de majorité pour voter un tel texte, comme j’ai pu le vérifier hier en m’entretenant avec les responsables des Républicains », dont l’apport est indispensable au gouvernement qui ne dispose à l’Assemblée nationale que d’une majorité relative, a-t-elle reconnu. Pour montrer que l’exécutif agit sur cette « priorité » sans attendre une loi, elle a annoncé la mobilisation « dès la semaine prochaine » de « 150 policiers et gendarmes supplémentaires dans les Alpes-Maritimes » pour faire « face à une pression migratoire accrue à la frontière italienne ». Sur l’immigration, « si nous ne pouvons pas trouver d’accord global, nous présenterons en tout état de cause, un texte à l’automne, avec comme seule boussole, l’efficacité », a-t-elle indiqué.

LR fait sa loi

Colère. Les Républicains refusent d’endosser la responsabilité du report de la loi immigration… ce qu’explique la Première ministre dans ses interviews. Ils vont déposer leur propre texte sur le sujet, a annoncé le patron du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix. « Nous avons décidé, avec Éric Ciotti (président de LR) et Bruno Retailleau (patron du groupe sénatorial LR, majoritaire), de déposer une proposition de loi commune portée par Les Républicains », a assuré Olivier Marleix, cité par l’AFP. « Nous ne voulons pas d’un texte pour faire semblant. Une majorité écrasante de Français attend que ça change », a-t-il ajouté. « La division est dans son camp ! » a expliqué Olivier Marleix, en assurant que « sur ce sujet-là nous n’avons aucun état d’âme (sic !). Et surtout pas entre les groupes LR du Sénat et l’Assemblée ». « Le gouvernement est piégé par l’aile gauche de sa majorité », a-t-il martelé. Éric Ciotti a estimé dans un communiqué que « l’absence de majorité sur cette question est la conséquence des profondes divisions qui traversent la coalition présidentielle ». « Mais elle est aussi la conséquence de l’obstination du gouvernement à vouloir imposer une énième vague de régularisation des clandestins », a-t-il ajouté, estimant que « le recours au référendum est désormais la seule solution ». De son côté Bruno Retailleau a interpellé la Première ministre sur Twitter : « trop facile Élisabeth Borne de vous défausser sur LR », a-t-il lancé, en déplorant une « manœuvre grossière » masquant des « divisions » au sein de la majorité.

Véran tacle les Républicains

Invité de RTL mercredi 26 avril, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a raillé les députés-es LR qui doivent « se mettre d'accord pour savoir eux-mêmes ce qu'ils veulent proposer ». Il commentait ainsi le refus des élus-es LR de soutenir le texte envisagé par le gouvernement sur cette question. Le 26 avril (voir plus haut), la Première ministre a  annoncé un nouveau report du texte à cet automne. « Aujourd'hui, il n'existe pas de majorité pour voter un tel texte, comme j'ai pu le vérifier hier [25 avril, ndlr] en m'entretenant avec les responsables des Républicains », a justifié la cheffe du gouvernement. La droite, notamment au Sénat, a déjà fait passer ses critiques sur le texte du gouvernement, notamment sur les titres de séjours pour des personnes sans papiers qui travailleraient dans des métiers en tension, côté recrutement. De son côté, Olivier Véran a choisi de dénoncer : « Ceux qui veulent nous bloquer dans la rue (et) ceux qui veulent nous freiner au Parlement ».  « On propose de redéposer le texte et Les Républicains nous disent : « Attendez, il faut déjà qu'on se mette d'accord entre nous », c'est-à-dire entre Les Républicains de l'Assemblée nationale et du Sénat, a critiqué le porte-parole. On sait que c'est important qu'ils se mettent d'accord, parce qu'on a vu sur la réforme des retraites que là où les sénateurs Républicains étaient favorables, les députés LR ne l'étaient pas». Alors que va faire l’exécutif à propos du projet qui sera déposé par les LR ? « On va regarder évidemment ce texte. On va se donner un petit peu de temps de discuter, concerter, chercher un accord, l'étudier, et, à l'automne, nous présenterons un projet de loi », a-t-il expliqué. Et de reconnaître que le gouvernement n'a finalement pas beaucoup de marges de manœuvre : « Nous ne pouvons pas faire adopter de texte de loi avec notre seul groupe parlementaire. On a besoin de la gauche ou de la droite. [Sur] ce texte, la gauche nous a dit d'emblée non, donc on regarde du côté de la droite ».

Un sondage à gauche

Le 11 avril dernier, la Fondation Jean Jaurès et l’institut BVA publient les résultats d’une étude : « L’immigration, ce grand tabou (de la gauche) ». L’objet de l’étude est d’interroger le rapport des Français-es à l’immigration, et l’évolution de celui-ci au cours des dernières années, afin de mieux comprendre le contexte actuel au moment où l’exécutif relance les « débats » sur le sujet.
Cette question, pointe l’étude, suscite « des réactions spontanées très négatives » chez les personnes sondées « entre fantasmes et peurs autour de quatre grands registres » : l’idée selon laquelle il y a tout simplement « trop d’immigrés » en France ; l’idée selon laquelle la France n’a pas les moyens d’accueillir des immigrés-es ; le sentiment que l’immigration est la source de nombreux maux (violence, insécurité…) ; le sentiment que les immigrés-es jouissent de (trop) nombreux droits, laissant entrevoir un sentiment de « grand déclassement », plus que de « grand remplacement » avec des verbatim évoquant surtout les notions d’assistanat, d’injustice et d’abandon par l’État de certains-es citoyens-es.

L’étude explique que l’immigration reste un « marqueur fort du clivage entre la gauche et la droite ». Cette question reste un élément clé de différenciation entre la gauche et la droite, note l’étude. Les sympathisants-es de gauche sont plus nombreux-ses à reconnaître les difficultés, discriminations et injustices qui peuvent être subies par les personnes migrantes ou immigrés-es. Ainsi, 81 % des sympathisants-es de la gauche ont le sentiment qu’il existe des différences de traitement envers les réfugiés-es en France selon leur pays d’origine ou leur religion, ce n’est le cas que de 47 % des sympathisants-es de Reconquête ! (extrême droite) et de 57 % des sympathisants-es du Rassemblement national (extrême droite). Par ailleurs, 83 % des sympathisants-es de la gauche estiment que les immigrés-es sont victimes de discriminations en France, contre 54 % des sympathisants-es Les Républicains et surtout 29 % des sympathisants-es du Rassemblement national et 23 % des sympathisants-es de Reconquête ! L’étude rappelle qu’en 2018, 52 % des Français-es estimaient que les demandeurs-ses d’asile ou migrants-es vivaient dans des conditions inacceptables, désormais, une majorité de Français-es pensent au contraire que leurs conditions de vie sont acceptables (57 % ; +9 points en cinq ans). De plus, 69 % adhèrent à l’idée selon laquelle « il y a trop d’immigrés en France aujourd’hui » (63 % en 2018). Si ce sentiment est toujours beaucoup plus marqué à droite, il est loin d’être totalement absent chez les sympathisants de la gauche (48 % ; +21 points depuis 2018). Par ailleurs, 39 % seulement des Français-es se déclarent d’accord avec l’idée selon laquelle, « de manière générale, les immigrés sont bien intégrés en France ». Le sentiment d’une mauvaise intégration des immigrés-es est plus prégnant à droite, mais existe aussi à gauche.

L’étude a aussi interrogé sur la première version du projet de loi envisagé. L’approbation la plus élevée concerne la mesure sur le durcissement des amendes à l’encontre des « marchands de sommeil » (93 % des Français-es y sont favorables), devant l’augmentation des amendes à l’encontre des passeurs-ses (89 %). Des mesures qui rencontrent le soutien des sympathisants de la gauche comme de la droite, note l’étude. Les mesures relatives à l’intégration et aux titres de séjour reçoivent, elles aussi, un accueil très majoritairement favorable : 83 % des Français-es sont favorables au fait de conditionner l’obtention et le maintien d’un titre de séjour au respect des valeurs de la République. Bien sûr, certaines mesures « dessinent des lignes de clivage un peu plus fortes », même si elles suscitent une « adhésion majoritaire ». Initialement prévue dans le projet de loi, la facilitation de la délivrance et de l’exécution des OQTF (obligations à quitter le territoire français) en cas de menace grave pour l’ordre public, est approuvée par 80 % des Français-es mais « seulement » 54 % des sympathisants-es de LFI. Face à la pénurie de main-d’œuvre rencontrée par certains secteurs économiques, le projet de loi envisageait de créer un titre de séjour spécial pour les métiers en tension. Près des trois quarts des Français-es sont favorables à cette disposition (74 %, 79 % chez les sympathisants-es de gauche, mais seulement 46 % chez les sympathisants-es de Reconquête !). Près des trois quarts des Français-es (73 %) sont favorables à ce que l’on sanctionne d’une amende de 4 000 euros l’emploi d’une personne en situation irrégulière.

CRA : rapport accablant

Chute libre. Les directives du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur les placements d’étrangers-ères en situation irrégulière en centres de rétention administrative (CRA) ont provoqué une recrudescence des enfermements après une peine de prison, ont expliqué (26 avril) des associations de défense des migrants-es, dans un rapport commun. Le rapport annuel de ces cinq associations, dont La Cimade et France terre d’asile, indique qu’en 2022, près d’un quart des étrangers-ères (26,6 %) en CRA ont été placés-es en rétention directement à leur sortie de prison dans les 25 CRA que compte la France (dont quatre en Outre-Mer).  Cette proportion s’est accrue sur l’année en raison des directives du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. L’expulsion des personnes délinquantes étrangères constitue l’une des priorités d’un projet de loi du gouvernement sur l’immigration qui a pourtant été retiré de l’ordre du jour du Parlement, faute d’avoir une majorité pour l’adopter. Les défenseurs-ses des migrants-es déplorent depuis « un recours banalisé à la rétention, de manière trop souvent abusive et parfois dans des conditions indignes ». Les CRA recensent davantage de personnes qui auraient pu se prévaloir d’un droit de séjour sur le territoire français, enfermées pour des motifs parfois « dérisoires », tels que des regards « suspicieux » autour de soi ou un crachat sur le trottoir, listent les associations dans leur rapport.  « Pour à peu près tout et n’importe quoi, on va désormais justifier un placement en rétention pour une prétendue menace à l’ordre public », une notion qui reste floue, commente auprès de l’AFP Dalia Frantz, responsable de la rétention à La Cimade. Et de préciser que cette tendance « se poursuit » depuis début 2023. Les associations dénoncent une politique venant souvent « occulter » la situation personnelle de la personne concernée, et nourrir des « amalgames abusifs » entre immigration et délinquance. En 2022, 43 565 personnes sans-papiers ont été placées en rétention dans l’attente de leur expulsion. Un chiffre toujours inférieur à ceux enregistrés avant la pandémie en 2019 (53 273). Par rapport à 2021, le nombre d’étrangers-ères en CRA reste stable à Mayotte (26 020) mais augmente de 8,3 % dans l’Hexagone (15 922). Ce recours à l’enfermement est jugé « inutile » par les défenseurs-ses des migrants-es : sur l’ensemble des immigrés-es en situation irrégulière enfermés-es en 2022, la moitié d’entre eux-elles a été libérée, notamment du fait d’irrégularités de procédure. Autre point d’alerte pour les ONG : la durée moyenne de rétention est désormais de 23 jours en France métropolitaine, les étrangers-es ne pouvant être détenus-es plus de trois mois. Elle a quasiment été multipliée par deux depuis 2017 alors que les expulsions se font encore lors des premiers jours de l’enfermement, relèvent les associations.

Pays-Bas : pas de renvoi en Italie

Question de confiance. Le gouvernement néerlandais ne peut renvoyer des demandeurs-ses d’asile en Italie, où ils-elles risquent de se retrouver dans une « situation de maltraitance matérielle », en violation des droits humains, a jugé, mercredi 26 avril, le Conseil d’État aux Pays-Bas. « Les autorités italiennes elles-mêmes ont indiqué (...) que les transferts vers l’Italie ne sont pas possibles en raison du manque de structures d’accueil », a déclaré la juridiction, en référence à une lettre circulaire de Rome datant de décembre 2022. Le gouvernement de la Première ministre d’extrême droite Giorgia Meloni y avait annoncé une « suspension temporaire » des « transferts Dublin », c’est-à-dire des renvois vers l’Italie des demandeurs-ses d’asile entrés-es dans l’Union européenne viace pays méditerranéen. Au vu des circonstances, la plus haute juridiction administrative néerlandaise a qualifié d’illégales deux décisions des Pays-Bas de ne pas traiter des demandes d’asile, justifiées par le fait que l’Italie est responsable en vertu du règlement de Dublin. Ce dernier prévoit que les pays de première arrivée des migrants-es sont responsables du traitement de leur demande d’asile. « Il existe un risque réel que les ressortissants étrangers, au-delà de leur volonté et de leur choix, se retrouvent dans une situation de maltraitance matérielle de très grande ampleur lors du transfert vers l’Italie » a estimé la juridiction. Les plaignants-es pourraient se retrouver dans une situation « qui les empêche de subvenir à leurs besoins fondamentaux tels que le logement, la nourriture et l’eau courante », a-t-elle poursuivi. La décision « n’aide vraiment pas », a réagi Éric van der Burg, secrétaire d’État néerlandais à l’Asile et la Migration. « L’Italie est bien sûr un pays important, où beaucoup de gens entrent », a-t-il ajouté, cité par la radiodiffusion publique NOS. Plusieurs pays européens, dont les Pays-Bas, ont demandé en mars à l’Italie de respecter le règlement de Dublin.

Lituanie : légalisation du refoulements des migrants-es

Le parlement lituanien a adopté mardi 25 avril une loi qui légalise les refoulements des demandeurs-ses d’asile, une mesure supplémentaire pour lutter contre l’afflux de migrants-es arrivant dans ce pays via la frontière bélarusse. Le pays balte, membre de l’Union européenne, applique les refoulements depuis 2021, l’année où des milliers de migrants-es et de réfugiés-es — principalement du Moyen-Orient et d’Afrique — ont commencé à tenter d’entrer dans l’UE via la Lituanie, la Lettonie et la Pologne. L’UE a fait valoir que cet afflux était une « attaque hybride » orchestrée par le régime bélarusse en représailles aux sanctions internationales contre Minsk. Selon la ministre lituanienne de l’Intérieur, Agne Bilotaite, le Bélarus serait en train de négocier de nouvelles liaisons aériennes directes vers Minsk depuis l’Iran et l’Irak, ce qui pourrait suggérer « de nouveaux flux (de migrants-es) possibles ».  La semaine dernière, Amnesty International a critiqué le projet lituanien. L’année dernière, la Lituanie a achevé la construction d’une clôture de fil barbelé de quatre mètres le long de la frontière avec le Bélarus. Elle s’étend sur environ 550 kilomètres. La Pologne voisine recourt aussi régulièrement à des refoulements à sa frontière avec le Bélarus.  Cette mesure controversée a été autorisée par un décret du ministère de l’Intérieur et une loi sur les étrangers — même si, dans deux cas distincts, les tribunaux ont conclu qu’elle viole les droits des réfugiés-es.