Joseph : "Eduquer les gens à la différence"

Publié par jfl-seronet le 26.04.2011
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LGBTafricain
Militant de longue date à AIDES où il est chargé de mission Migrants, Joseph Situ assure également la coordination du RAAC-Sida. Lorsqu'on lui demande si son association prend en compte les homos, les bis et les lesbiennes. Il répond : "Oui et non". Paradoxe ? Pas si sûr.
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Quels sont les principaux obstacles à la prévention, l'incitation au dépistage, les échanges sur la sexualité concernant les gays, les bis et les lesbiennes au sein des communautés africaines en France ?
La double identité (migrant et homosexuel) souvent vécue comme une double peine ne facilite pas toujours les choses, surtout lorsque les conditions ne sont pas réunies pour exprimer cette différence-là. Et pourtant une association communautaire comme AIDES qui offre un espace d’expression sécurisé fonctionne malgré tout de manière assez cloisonnée, à mon sens. Il n'y a pas assez de transversalité entre les différents groupes. Et pourtant toute ambivalence est une richesse puisqu'elle permet à chaque personne de faire appel à l'association sur des registres multiples et ainsi de pouvoir se ressourcer pleinement selon qu’elle est migrante, hétéro, homo, migrante et gay, etc. Mais il faudrait davantage de vigilance collective. Par exemple, ce n'est pas parce qu'on participe à un groupe Migrants qu'on est obligatoirement hétéro. Et on ne doit pas oublier non plus qu'une même personne (gay et migrant) peut aussi choisir de mettre une de ses identités en avant selon ses besoins : être migrant quand il s'agit de questions de droits et gay sur la santé sexuelle.

Quelles sont les actions conduites dans ce domaine ?
Les rencontres dites conviviales, par exemple. Mais encore une fois, ça se passe à l’intérieur d’un groupe qui pratique l'auto soutien identitaire (les membres d'une même communauté se soutiennent lors de regroupements) soit femmes, soit migrants ou gays et donc il n'y a toujours pas de transversalité. Et pourtant dans certains de ces groupes chez les migrants cohabitent hétéros et homos, mais la parole sur la sexualité peine à se libérer. Lorsque c’est le cas, on est trop souvent dans un discours convenu, trop bordé. Mais hors de ce contexte, l’acceptation, le soutien et la défense des droits des minorités, sont-ils assumés ?

Un des éléments importants en matière de prévention surtout lorsqu'on parle de sexualité, de réduction des risques est la confiance. Qu'avez-vous mis en place sur ce point ?
A AIDES, nous avons initié au niveau de nos rencontres nationales une réunion mixte "Gays/Migrants". Une des régions de AIDES va organiser d'ici quelques temps une manifestation similaire. L'idée, c'est que ces prémices de transversalité se traduisent dans les accueils dans les délégations de AIDES et plus généralement dans nos actions, là où c'est pertinent ; par exemple dans la défense de revendications sur les droits de l'homme et des minorités. C'est un pari car on peut supposer que la sexualité des uns n’intéresse pas forcément les autres… ce sont des sujets toujours sensibles. Et pourtant dans le cadre de nos actions, si on n'en parle pas, ce n’est sûrement pas les toubibs qui vont le faire. Il faudrait qu’on brise la glace de temps à autre pour comprendre ce qui nous unit et en discuter, même si le besoin existe aussi de se retrouver entre personnes d’identité commune. C'est cette double demande que j'ai perçue lors cette fameuse rencontre entre gays et migrants.

Très souvent, le lien est fait entre l'existence de droits et la capacité à se protéger, à "investir" pour sa santé. Etes-vous d'accord avec cela ?
Ça va de soi. Quand on parle de droits, on est bien dans le domaine de la politique. Notre Etat de droit montre des failles d’où l’existence des communautés qui se créent pour interpeller le système démocratique et revendiquer une prise en compte des besoins de tous. C'est aussi notre boulot de travailler à défendre et conforter les droits des personnes qu'il s'agisse des droits des étrangers ou de ceux des minorités sexuelles. L'absence de droits équivaut à une absence d’accès effectif à la santé. On parle de ça lorsqu'on défend la santé globale. On peut entendre cette notion comme la complémentarité entre l'existence de droits et l'estime de soi dont le fondement est l'égalité de tous. Autrement dit : je ne peux prendre soin de moi que si je suis égal aux autres. La première piste est donc d’"éduquer" les gens à la différence… C'est-à-dire lutter contre les préjugés qui alimentent l’homophobie qui entretient les inégalités. Il faut aussi sensibiliser le milieu soignant à la prise en charge des problèmes de santé spécifiques aux minorités sexuelles, par exemple en travaillant avec le conseil de l’ordre des médecins.