L’exceptionnalisme du sida va t'il vers sa fin ?
L''exceptionnalisme du sida, mis en place dans les années 80, constituait une rupture "avec les stratégies interventionnistes traditionnelles en santé publique, en faveur d’une prévention basée sur la responsabilisation individuelle, plus respectueuse donc des libertés individuelles que ne le sont les techniques classiques du contrôle sanitaire des maladies infectieuses" comme l'a résumé la chercheuse Mélanie Heard dans un article de 2006*. L'exceptionnalisme du sida venait du fait de la stigmatisation des populations directement concernées et de l’absence de traitement efficace. Il tenait également à la mobilisation et à l’autonomisation (empowerment) des groupes concernés qui a notamment débouché sur une refonte complète des relations patients/médecins. Jonathan Mann a été le pionnier de cette école de pensée, en associant la prise en compte des droits humains et les impératifs de santé publique et en posant les questions d’éthique révélées par l'épidémie de VIH/sida : la responsabilité individuelle face à celle du groupe, l'affirmation de la séropositivité, etc. A ce moment, les politiques de dépistage volontaire avec conseil et le respect de la confidentialité se sont mis en place.
L’exceptionnalisme est désormais remis en cause sur deux points. Tout d'abord du fait de l'augmentation du nombre de procès pour transmission du VIH et la mise en place dans de nombreux pays (dont plusieurs pays d'Afrique) de lois criminalisant l'exposition au VIH et sa transmission et d'autre part, du fait de l’arrivée de traitements très puissants qui ont un impact sur l’épidémie.
Côté procès, Edwin Cameron, magistrat Sud-Africain, militant des droits des personnes séropositives et séropositif lui-même, s'est clairement prononcé contre l'exceptionnalisme. Il l'argumente ainsi :"Si les militants de la cause des séropositifs utilisent toute leur crédibilité politique pour nier que les poursuites criminelles ne soient jamais pertinentes (…) ils perdront l'appui de la population lors de batailles plus importantes contre l'injustice (…) ils alimenteront l’exceptionnalisme du sida, qui fait partie de ce qui perpétue les stigmates..."** C'est donc une nouvelle version de l'exceptionnalisme qu'évoque Cameron, mais cette fois-ci qui pourrait être préjudiciable aux séropositifs. En effet, le fait de continuer à "défendre ce qui n'est pas défendable" mettrait la question du VIH dans une spécificité en matière de justice et pour Cameron renforcerait la stigmatisation.
Depuis, les réflexions autour du traitement comme outil de prévention relancent la discussion. En 2006, l'Organisation mondiale de la Santé a proposé de "routiniser" le test du VIH sans conseil ou préparation avant et après le test (counseling). Cependant cette proposition est critiquée. Le consensus a été obtenu par l’incitation au dépistage précoce, pour renforcer l’accès au dépistage, et sur la proposition systématique du test avec possibilité de le refuser. La question de la prévention de la mère à l'enfant a également réinterrogé l’exceptionnalisme de la question du dépistage.
Les associations de défense de droits humains sont assez opposées au fait de rendre routinier le test, à cause du risque de stigmatisation contre certains groupes. Cependant, si l’objectif en vue d'éradiquer le sida est le traitement universel (pour tous), l’exceptionnalisme du test, basé sur le volontariat, peut devenir un obstacle. A suivre.
* Mélanie Heard, "Dépistage du VIH : en finir avec l'exceptionnalisme ?", VIH.org, juin 2006
** Edwin Cameron, "La criminalisation de l’exposition au sida et de sa
transmission", 2009.
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Commentaires
Le début de la fin ou la fin du début?