Mardi : les chercheurs en "pinces" pour la CROI

Publié par Renaud Persiaux le 02.03.2011
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Des ciseaux, des fils rouges, une alliance… la CROI 2011 prendrait-elle des allures d’inventaire à la Prévert ? Pas vraiment. Depuis Boston, Renaud vous dit tout ce qui se cache derrière ces mots aux allures d’énigme.
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"Serre-moi la pince !" C’est ce qu’on a envie de dire quand on rencontre un Français, tant les homards sont la mascotte de cette conférence. Ils sont brodés - figurant le T de Boston - sur les sacs de conférence ("conference-bags") avec lesquels chacun se balade parce qu’on nous les a remis avec notre badge officiel. Surtout, parce qu’ils contiennent l’ouvrage réunissant les résumés des 1 084 interventions, soit un pavé de 550 pages !
"Serre-moi la pince que je te plante un couteau dans le dos !" Accompagnée d’une photo du crustacé, ce pourrait être la "welcome-joke", la plaisanterie d’introduction, un artifice d’orateur pour capter l’attention de son public, avant de lui asséner, le plus souvent, 20 à 40 minutes de tableaux remplis de chiffres et de sigles… C’était le cas ce matin lors d’une présentation sur les interactions cellules-virus. Car le VIH, lorsqu’il rencontre une cellule dendritique, un type bien particulier de cellules immunitaires dont le rôle est de déclencher la réponse immunitaire, détourne ce système et se sert des cellules dendritiques comme de véhicules pour accéder aux CD4 qu’il va infecter. Comprendre très finement les interactions entre nos cellules et le VIH, c’est tout un champ de recherche qui s’ouvre. Et il y a de quoi faire, expliquait ce matin Jian Zhu du Brigham hospital de Boston, sur la base de ses travaux avec Abraham Brass, du Massachussets Institute of Technology. Chaque code sur ce shéma est une cible potentielle pour un nouveau traitement anti-VIH. TRIM 5 alpha, APOBEC 3G, LEDGEF… les noms de code qui émaillent bon nombre des 550 pages de programme ont quelque chose d’effrayant.

Des "ciseaux" dont tout le monde parle
Depuis leur présentation lundi matin (annoncée en conférence de presse), on parle beaucoup des résultats de thérapie génique, et cela va sans doute continuer mercredi 2 mars avec deux nouvelles présentations. Il s’agit, avec des ciseaux moléculaires de rendre le système immunitaire résistant au VIH, en supprimant les gènes codant pour les co-récepteurs CCR5 qui permettent l’entrée du VIH dans la cellule. Un premier essai clinique a été réalisé chez des personnes vivant avec le VIH sous traitement, un second va débuter. L’objectif serait d’induire un stock de cellules naturellement résistantes au virus. Pour certains, c’est un concept intéressant, pour d’autres, c’est de la "science-fiction". Depuis hier, on n’a assez peu de données sur les nouvelles molécules… Mise à part la présentation des études de dosage du nouveau représentant d’une nouvelle classe d’antirétroviraux, les inhibiteurs de l’attachement.

Fils rouges
Les PrEP (prophylaxie pré-exposition : soit la prise de médicaments anti-VIH avant une exposition à un risque d’acquérir le VIH), comme tous les jours dans cette 18e CROI, sont à l’honneur avec les résultats détaillés d’Iprex et de nombreux autres essais. Le traitement contre hépatite C fait aussi son petit effet. Certains résultats, notamment ceux qui concernent le bocéprévir, une antiprotéase efficace contre le génotype 1 combinée à la bithérapie ribavirine + interféron, indiquent une augmentation du nombre de personnes qui arrivent à guérir de l’hépatite C. Demain, deux plénières se tiendront sur ces deux sujets. Puis, l’on passera aux très attendus résultats du télaprévir, molécule concurrente de bocéprévir, chez les personnes co-infectées par le VIH et le VHC.

Alliance pour un traitement curatif
Mardi matin, les rares participants français qu’on pouvait croiser semblaient un peu moins en forme que d’habitude. L’explication ? Hier se déroulait, la soirée "France" organisée par l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites (ANRS), traditionnel moment d’échanges, à mi-conférence. Au menu, pas de homard, mais de la cuisine indienne. L’occasion pour la communauté VIH française (cliniciens, chercheurs, industriels, associatifs) de se retrouver et de discuter des résultats présentés. Les langues se délient : un chercheur me parle du lancement, trois heures plus tôt, en marge de la CROI, de l’alliance internationale pour le traitement curatif, par Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine 2008 et future présidente de la Société internationale sur le sida (IAS). Parmi les objectifs thérapeutiques : supprimer le VIH de toutes les cellules, même les plus profondes, dans lesquelles il a intégré son génome, ce qui permettrait de guérir enfin, de l’infection par le VIH, et de ne plus être obligé de prendre un traitement à vie.
"Je pense vraiment que se réunir, définir des priorités, des étapes, tous ensemble, sera d’une grande aide, mais cela ne résoudra qu’une partie du problème. Ce problème, m’explique-t-il, pour concevoir le traitement curatif, c’est qu’il y a un pré-requis : avoir de nouvelles méthodologies, des bons modèles sur l’animal, une compréhension très poussée des mécanismes, et ce n’est pas sexy. Les grandes publications scientifiques, "Lancet", "New England Journal of Medicine", "Nature", "Science", n’en veulent pas. Or, c’est dans ce genre de revues qu’il faut publier si on veut être un chercheur reconnu… et donc bien financé ! Les chercheurs dans ce domaine font un peu leur révolution conceptuelle", explique-t-il, "comme l’ont faite ceux de la recherche vaccinale en 2008 suite à l’échec retentissant du candidat vaccin préventif STEP… un vaccin qui favorisait l’infection par le VIH chez certaines personnes, au lieu de les en protéger."

IMPATIENCE CHEZ LES CLINICIENS

Quand on interroge les cliniciens et les chercheurs à mi chemin de la conférence, ils répondent qu’il s’agit "comme prévu, d’une CROI sans scoops, mais copieuse". On sent parfois une certaine frustration voire de l’impatience chez les cliniciens ; l’une d’eux, très impliquée auprès des personnes qu'elle suit, m’a avoué qu’après avoir vécue des CROI véritablement excitantes, qu'elle s’ennuyait passablement cette année. Et pourtant, ils ne savent que trop bien, dans leur travail quotidien, combien la démarche scientifique ne peut avancer que peu à peu. La 18e Croi, une conférence plus pour chercheurs que pour médecins ?