VIH : une question d'avenir en Ile-de-France

Publié par jfl-seronet le 11.12.2010
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états généraux VIH en Ile-de-France
Alors succès ou pas ? La balance pèse clairement en faveur du oui. Ces premiers Etats généraux de la prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH en Ile-de-France (les 26 et 27 novembre derniers) ont réussi leur pari : mobiliser l'ensemble des acteurs de la région et réaffirmer le VIH/sida comme une des grandes priorités de santé. Seronet y était et revient sur les temps forts de la première journée de ce rassemblement inédit.
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"La réponse à une sollicitation d’un collectif d’associations inquiètes des projets de restructuration de l’AP-HP". C’est ainsi que Claude Evin, directeur général de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France, a présenté et lancé les "Premiers états généraux de la prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH en Ile-de-France", un rendez-vous inédit entre personnes concernées, militants, professionnels de santé et décideurs politiques. Evidemment, Claude Evin sait bien que cette seule entrée en matière ne peut suffire… Sauf à penser que les personnes séropositives et les associations de lutte contre le sida vont se contenter d’un grand raout de quelques heures dans le prestigieux cadre du CNIT à la Défense pour oublier les effets, très controversés, des grandes manœuvres en cours à l’AP-HP. Des grandes manœuvres qui ont suscité colère et réactions des personnes séropositives, des collectifs de patients et des associations. Alors Claude Evin replace l’événement dans le fil d'un de ses projets pour l’Agence : faire vivre la démocratie sanitaire. Il rappelle surtout que l’événement n’est pas un point de départ, ni une fin, mais une étape. Une étape qui s’inscrit dans un parcours puisqu’il y a eu, avant l’événement, de longs mois de travail avec les associations, les cinq Corevih d'Ile-de-France, les médecins cliniciens et les personnes concernées. Une étape parce que ces Etats généraux devront nécessairement se prolonger sous d'autres formes.

Pour Claude Evin, cet événement est aussi un tremplin à son grand projet de démocratie sanitaire : une sorte de répétition générale ou plus exactement de mise en pratique à grande échelle. "Je souhaite que la démocratie sanitaire ne soit pas simplement un moment, mais qu’elle s’exerce pleinement", explique t-il d’ailleurs. Pour lui, c’est un "principe d’action" qui doit être mis en œuvre dans l’ensemble des actions. "C’est un exercice exigeant", explique Claude Evin qui tient, du reste, à mettre d’emblée les choses au point… On pourrait, en effet, se mettre à rêver dans l’assemblée. "La démocratie sanitaire, ce n’est pas la démagogie sanitaire", explique le patron de l’ARS. Bien entendu, c’est la confrontation de points de vue, l’échange d’idées, mais ce n’est pas le "consensus permanent", cadre Claude Evin qui explique qu’au final : "Les décisions reviennent aux pouvoirs publics (…) A l’ARS, je dois trancher, je fais des choix et je les assume". On doit donc comprendre que l’ARS est d’accord pour écouter, éventuellement retenir des idées, mais le cadre est posé. Il s’agit d'abord d’une consultation. Une consultation qui influencera sans doute certaines parties du futur programme régional de santé sur le VIH/sida… On verra bien. "Les Etats généraux peuvent contribuer à cette politique générale et même être une référence permanente en regard de laquelle les actions retenues seront proposées", explique-t-il. Voilà pour le cadre, nous sommes bien dans un processus de démocratie participative (ici, appliquée à la santé) mais on est encore loin de la co-gestion. Ce message est certes un rappel au cadre, mais il dessine en creux une invitation au rapport de force productif. Il créé ainsi une tension entre les contraintes et les choix de l'ARS et les besoins des personnes et les revendications des associations. Ainsi, on peut supposer que l'ARS sera d'autant encline à reprendre à son compte certaines propositions que celles-ci auront été portées et opérationnalisées collectivement (par l'ensemble des acteurs : personnes, médecins, associations, Corevih…). C'est sans doute là que tout se jouera : une mobilisation réelle, un travail effectif des acteurs…. Autant d'éléments qui "contraindront" l'ARS à suivre.

C’est à une militante, Aimée Florence Bantsimba Keta, et à un médecin, François Bourdillon, président de la Société française de santé publique et vice président du Conseil national du sida, que reviennent la charge de parler de l’évolution de la prise en charge du VIH, des grands changements opérés ces dernières années. Aimée le fait dans un registre personnel à l’allure faussement décousue mêlant avec subtilité des impressions et des anecdotes personnelles, rappelant des faits en lien avec sa double expérience de femme séropositive et de militante. On sent le courage, la détermination, une ironie et un regard critique. Aimée fait face à de nombreuses maladies… Elle espère que cette année, elle n’aura rien de nouveau, côté maladies. Elle envisage même de pouvoir aller jusqu’à 80 ans et parle franchement de ses projets de vie. Aimée a choisi de dire aussi ce qu’elle  pense des relations avec le médecin. Elle les envisage comme un partenariat, presque une relation de couple, de "vieux couple". Aimée n’a, hélas pour elle, pas qu'un seul médecin… mais plusieurs qui ne communiquent pas entre eux. "Cela me demande de l’énergie pour expliquer à chacun d’eux ce qui se passe, ce que fait l’autre." En filigrane de ces rencontres, il y a bien entendu la question des restructurations qui ont cours à l’AP-HP. Aimée est contre. "Je ne vois pas pourquoi je devrais bouger de l’hôpital où je suis suivie depuis 20 ans. Vous devez faire des efforts", lâche Aimée d’autant qu’elle reconnaît être, par certains côtés, une privilégiée. Elle est soignée en confiance par un médecin qu’elle connaît bien, dans un grand hôpital. "D’autres n’ont pas cette facilité, reconnaît-elle. Par exemple, je travaille au sein d’un hôpital, celui de Gonesse, où je constate, faute de postes nécessaires, que les médecins passent une grande partie de leur activité à s’occuper des problèmes sociaux. J’espère que les choses vont s’améliorer dans l’avenir. Les médicaments ne font pas tout… c’est l’être humain qui est au centre."

C’est sur un autre registre que se situe François Bourdillon. Le médecin rappelle les grandes étapes de la construction de la politique publique de lutte contre le VIH, la première étape de la démocratie sanitaire à la française avec la loi de 2002 sur le droit des malades. Mais son sujet concerne bien les nouveaux enjeux. L’un d’eux est la conséquence des récentes décisions en matière de dépistage. François Bourdillon considère qu’il y a là une "rupture", une rupture attendue depuis longtemps. Ces mesures participent de la banalisation du dépistage en tout cas elles rendent l’offre de dépistage singulièrement plus attrayante. L’objectif de cette politique est de permettre aux quelque 50 000 personnes contaminées qui ignorent leur séropositivité de la découvrir et de pourvoir être suivies. Pour François Bourdillon, c’est une évidence qu’il va falloir "s’organiser avec l’arrivée de nouveaux malades dans le système de soins. Comment faire pour que les équipes fassent face ?", demande t-il. La question est d’autant importante qu’elle s’inscrit dans un contexte de réorganisation et de regroupements des services qui prennent en charge le VIH, de probable pénurie des médecins spécialistes du VIH dans les années à venir (la spécialité n’est pas reconnue, l’activité est mal rémunérée…) et de plus grande complexité de la prise en charge avec l’intégration de la prévention positive ou de l’éducation thérapeutique. "Il faut aujourd’hui avoir une approche (des personnes) qui distingue le risque pour soi et le risque pour les autres, la prévention individuelle et la prévention collective", explique François Bourdillon pour qui, au delà des soins, il faut désormais s’occuper de la santé d’un point de vue global.

C'est sur l'anticipation des besoins qu'a travaillé le groupe de travail (co-animé par Murielle Mary-Krause, épidémiologiste à l'Inserm et Franck Barbier de AIDES) consacré à l'épidémiologie, mais une "épidémiologie prospective". Celle qui permet d'aller vers une meilleure organisation des soins en se fondant sur une bonne connaissance "de l'infection et de la maladie, des personnes qui vivent avec le VIH (leur nombre, leurs particularités), des acteurs et de structures (soignants, hôpitaux, lieux de prise en charge…) et des modalités de prise en charge. Comme l'explique Franck Barbier responsable Santé à AIDES lors de la présentation des travaux de ce groupe : "Il faut que l'offre de soins soit en adéquation avec les réalités de l'épidémie". Pour cela des outils existent ou sont en cours d'élaboration. C'est le cas de l'estimation de l'incidence du VIH en Ile-de-France ou d'une estimation de la prévalence en fonction du stade de l'infection, etc. Mais il s'agit aussi, outre cette connaissance fine de l'épidémie, d'anticiper. "Cette anticipation de l'offre de soins doit tenir compte du contexte, explique Franck Barbier. La qualité de l'offre de soins sera fonction des acteurs de la prise en charge. D'un point de vue quantitatif avec le nombre de "VIHologues", d'infirmières, de soignants. D'un point de vue qualitatif, avec l'éducation thérapeutique, les soutiens non "soignants", les personnes coordonnant le suivi global, le temps suffisant de consultation, etc. Et enfin, du point de vue de la coordination pour assurer un vrai suivi global, le lien entre la ville et l'hôpital etc." Tout comme François Bourdillon, le groupe se demande aussi de quoi sera fait l'avenir. Pour faire simple, les personnes touchées vivent, grâce aux traitements, plus longtemps et c'est une très bonne nouvelle, le dépistage généralisé doit permettre à plus de personnes d'être diagnostiquées et prises en charge… Les files actives devraient donc, logiquement, compter plus de personnes. Or, en parallèle, il y a moins de médecins spécialistes du VIH (certains partent à la retraite, les jeunes médecins sont souvent peu intéressés par le VIH qui n'est pas une spécialité médicale reconnue…). Par ailleurs, les restructurations à l'hôpital poussent à une concentration des services et, de plus en plus, vers une prise en charge en ville. Or pour le moment, de nombreuses questions se posent sur ce passage vers une prise en charge en ville en complément d'une prise en charge hospitalière. Qui est concerné ? Combien de personnes souhaitent-elles être prise en charge en ville plutôt qu'à l'hôpital ? Quels médecins de ville peuvent assurer un suivi VIH de qualité ? Quelles sont leurs compétences ? Comment leurs pratiques s'articulent-elles avec l'hôpital ? Et surtout, comment garder les personnes malades en bonne santé ? Autant de questions qui doivent être étudiées comme le recommande d'ailleurs le groupe de travail.

En amont des Etats généraux, cinq groupes de travail ont été constitués. Ils ont réuni des spécialistes, médecins, militants, travailleurs sociaux qui ont planché sur cinq grands thèmes (offre de soins, accès aux soins, prévention positive lieux de vie, épidémiologie). A l’évidence, en voyant les présentations des constats et des propositions répertoriées groupe par groupe le travail a été aussi sérieux que productif. Les enjeux sont clairement identifiés, les propositions souvent pertinentes et devraient alimenter la réflexion de l’équipe de l’ARS sur son programme sur le VIH. Le problème, c'est qu'après la matinée où se sont exprimés les orateurs et ont été présentés les travaux des commissions, le travail en groupe prévu dans l'après midi, a donné le sentiment que tout avait déjà été dit et on se demandait à quoi pouvaient bien servir ces temps d’ateliers. Celui sur les lieux de vie, pour n’en citer qu’un, ne permettra pas d’aller plus loin que les propositions, solides et argumentées, présentées le matin sur le même sujet. Et ce d’autant que la forme retenue pour le travail des groupes en atelier est d’une grande rigidité et permet mal le débat entre les participants. La qualité des interventions n’est pas à remettre en cause, mais on a assez vite le sentiment que les ateliers ont été faits pour assurer un vernis "authentique", "vraie vie" à l’ensemble. Ce qui peut également surprendre voire gêner, c’est que le pari d’une présence massive des personnes touchées (qui ne soient pas des militants investis dans les associations) ne semble pas avoir été complètement réussi. C'est sans doute lié à un intitulé trop technique et à un cadre des Etats généraux trop intimidant pour des personnes "hors du milieu de la lutte contre le sida". Cela s'explique aussi par un calendrier serré qui n'a pas permis de complètement mobiliser les personnes en dehors des associations. A contrario, les témoignages des personnes touchées lus et entendus lors de l'événement montrent l'incroyable pertinence des parcours personnels à faire émerger derrière les besoins individuels des revendications collectives. Intéressants à bien des égards, ces premiers Etats généraux sont, malgré les limites d'un cadre un peu trop rigide et technocratique, une réussite. Une réussite parce qu'ils font du VIH/sida une priorité politique de l'Agence régionale de santé, qu'ils ouvrent de nombreuses pistes de réflexion et de mobilisation et le démarrage d'un débat public entre tous les acteurs. Il restera à voir comment chacun de ces acteurs le fera vivre.
Plus d'infos sur les Etats généraux, dont la synthèse des ateliers sur le site de l'ARS.

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