AME : craintes de sociétés médicales

4 Mai 2023
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Il n’est pas fréquent que des sociétés savantes prennent position sur des dispositifs sociaux. Pourtant à lire l’argumentaire commun de la Société de pathologie infectieuses (Spilf), de la Société de réanimation de langue française (SRLF) et de la Société française de médecine d'urgence (SFMU) concernant la suppression de l'Aide médicale d'État, on comprend vite que ces instances sont bel et bien dans leur domaine de compétence : la santé. Dans un document sur leur « positionnement » (publié le 17 avril), ces trois sociétés médicales rappellent que « l’Aide médicale de l'État (AME) est une aide sociale permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'une prise en charge de leurs soins ». L’AME a été mise en place en 2000 pour pallier l'exclusion des travailleurs-ses sans papiers ne pouvant bénéficier d'une couverture sociale de droit commun par l'assurance maladie et en remplacement de l'Aide médicale d'urgence qui préexistait. Ce qui a suscité cette montée au front, c’est l’adoption, lors des débats au Sénat en mars dernier sur le nouveau projet de loi Immigration, d’un « amendement proposant la suppression de l'Aide médicale d'État, au profit d'une aide ne couvrant uniquement que les soins urgents ». « Cet amendement contraire aux principes des droits humains garantissant un droit à la santé pour tous sur le territoire français et européen, est un non-sens d'un point de vue économique, les prises en charge tardives hospitalières des pathologies étant particulièrement coûteuses, et va limiter l'accès aux soins d'une population déjà fragilisée », estiment les signataires qui mentionnent quatre études (entre 2009 et 2020) qui le démontrent. Battu en brèche aussi, l’idée (souvent véhiculée à droite et à l’extrême droite) d’une forte « migration pour raison de santé » que l’AME alimenterait. Toutes les « études démographiques démontrent que la migration pour raison de santé est minoritaire parmi les motifs de départ des pays d'origine, que notre système de protection sociale est globalement méconnu des migrants, et que sa restriction n'aura aucun effet sur les flux migratoires », tacle le papier de positionnement. Initialement, le gouvernement avait prévu un vote du Sénat sur le projet de loi le 4 avril, puis un passage à l’Assemblée nationale autour de l’été. Ce calendrier est aujourd’hui remis en cause concernant ce texte, mais un texte différent (voire plusieurs) pourrait être proposé par le ministre Darmanin dans quelques semaines. Il plane donc encore et toujours une potentielle remise en cause des droits à la santé des personnes étrangères sans titres de séjour valides. Cette crainte est celle des trois sociétés savantes. « Cet amendement, s'il était voté à l'assemblée nationale, limiterait l'accès aux soins primaires, à la prévention, et la prise en charge des pathologies chroniques de la population visée, impactant sa santé et sa qualité de vie », préviennent les signataires. Ces derniers notent aussi « qu’au-delà des conséquences en termes de santé, loin de limiter les dépenses, cet amendement sera coûteux, entrainera par ricochet une surcharge non supportable des Permanences d'accès aux soins de santé (PASS) et des Services d'accueil et d'urgences (SAU) déjà saturés, une sur-sollicitation des ressources spécialisées (soins spécialisés, hospitalisations et recours aux soins critiques) et une augmentation des durées d'hospitalisations du fait de l'impossibilité de transférer des malades en soins de suite et de réadaptation ». Les trois instances préviennent que le « système de santé, exténué après la crise de la Covid-19, n'aura pas la capacité d'endosser les conséquences d'une politique contraire à la santé publique ». L’argument n’est pas nouveau, mais le papier de positionnement le rappelle : « le coût des soins couverts par l'Aide médicale d'État et le dispositif des soins urgents et vitaux, bien que significatif, ne représente que 0,4 % des dépenses de l'Assurance maladie en France au bénéfice d'une population surexposée aux maladies infectieuses transmissibles, aux maladies chroniques non transmissibles et à la souffrance psychique notamment en lien avec leurs conditions de migration et de vie ». De surcroît, les « travaux des économistes de la santé ne concluent pas à une surconsommation de soins inutiles par ces bénéficiaires et font, à l'inverse, le constat d'un non-recours à ce droit important (49 % selon l'enquête Premiers pas, y compris pour les personnes atteintes de maladies chroniques) ». Et de conclure, nous « affirmons que, si problème il y a, la solution ne peut être de restreindre l'accès aux soins, et appelons solennellement les députés et les sénateurs à ne pas supprimer l'Aide médicale d'État, à revenir sur les restrictions qui lui ont été adjointes (délais de carence) et à en assurer un accès effectif ».