Migrants : le CC consacre le "principe de fraternité"

11 Juillet 2018
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La fraternité était une devise, elle devient un des grands principes du droit français : le Conseil constitutionnel a affirmé vendredi 6 juillet qu'une aide désintéressée au "séjour irrégulier" des personnes étrangères ne saurait être passible de poursuites au nom de ce principe, qui s'imposera désormais au législateur. "A l'instar de la liberté et de l'égalité, qui sont les deux autres termes de la devise de notre République, la fraternité devra être respectée comme principe constitutionnel par le législateur et elle pourra être invoquée devant les juridictions", a réagi auprès l'AFP le président du Conseil, Laurent Fabius. Cette décision, qui promet de résonner comme un coup de tonnerre dans un contexte politique européen tendu sur la question migratoire, répond à une demande de Cédric Herrou, un agriculteur devenu le symbole de l'aide aux migrants-es à la frontière franco-italienne et qui réclamait l'abolition du "délit de solidarité", rappelle l’AFP. Son avocat, Patrice Spinosi, s'est aussitôt félicité d'une "immense victoire". Le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a lui aussi salué cette décision, mais en se félicitant, lui, que le Conseil constitutionnel n'ait pas étendu les exemptions existantes "à l'entrée irrégulière sur le territoire français". Le Conseil constitutionnel prévoit de maintenir les sanctions dans ce cas. Cette décision "valide la réforme du délit de solidarité" votée à l'Assemblée, se sont félicités plusieurs responsables de la majorité et de gauche. A droite, des députés Les Républicains regrettent que le Conseil constitutionnel "se substitue au législateur", et dénoncé une décision qui "affaiblit manifestement la lutte contre l’immigration de masse". Pour la première fois, le Conseil constitutionnel consacre le "principe de fraternité", rappelant que "la devise de la République est Liberté, Égalité, Fraternité" et que la loi fondamentale se réfère à cet "idéal commun". "Il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national", selon la décision du Conseil. Pour permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, le Conseil reporte au 1er décembre 2018 la date d'abrogation des dispositions contestées.  Les principes généraux du droit ont été pour la plupart fixés après la Seconde Guerre mondiale et il est rarissime que de nouveaux soient énoncés. Devant le Conseil constitutionnel, Cédric Herrou et un autre militant de la vallée de la Roya, tous deux condamnés pour aide au séjour irrégulier, avaient attaqué deux articles du Code de l'entrée et du séjour des étrangers (Ceseda). Ils visaient l'article 622-1, qui punit l'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irrégulier de cinq ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende, et l'article 622-4, qui précise que cette aide ne peut donner lieu à des poursuites lorsqu'elle est le fait de la famille ou "de toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte". Le texte précise ensuite que cette aide autorisée consiste notamment "à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux (...) ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique". Pour les défenseurs des militants, le texte est "trop vague" et permet ainsi de sanctionner l'aide humanitaire de la même façon que la criminalité organisée des filières de passeurs. "En réprimant toute aide apportée à la circulation de l'étranger en situation irrégulière", le Conseil constitutionnel estime que le législateur n'a pas respecté l'équilibre entre "principe de fraternité" et "sauvegarde de l'ordre public". Il censure donc partiellement l'article L 622-4, sortant du champ des poursuites toute aide humanitaire au "séjour" comme à la "circulation" des migrants. En revanche, "l'aide à l'entrée irrégulière" reste sanctionnée. Cette décision intervient dans un contexte politique très tendu sur la question migratoire. Au Parlement, députés et sénateurs ne sont pas parvenus, début juillet, à se mettre d'accord sur le projet de loi "Asile et Immigration": fin juin, les sénateurs avaient durci le texte adopté en avril par l'Assemblée nationale, qui avait précisément assoupli "le délit de solidarité". Au sénat, on avait fait l’inverse. Une nouvelle écriture du texte devra donc tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel, ce qui est une très bonne chose pour les personnes qui défendent le principe de fraternité et celui de solidarité.