"Et la réponse est : bienvenue au club"

Publié par Gisep Bazell le 01.12.2012
3 532 lectures

Le diagnostic à 23 ans : séropositif. Et maintenant ? Comment ce diagnostic est-il vécu par un homme jeune, les deux pieds bien dans la vie ? Que signifie-t-il pour son avenir ? Quelles sont ses expériences ? Gisep Bazzell parle de la vie avec le VIH trois ans après avoir contracté le VIH : retour en arrière et perspectives.

Donner la parole aux personnes séropositives, et pas seulement aux experts, c’est ce qu’a souhaité faire l’Aide Suisse contre le Sida à l’occasion du 1er décembre 2012, Journée mondiale contre le sida. C’est ce que l’association suisse a proposé à Gisep Bazell, 26 ans, gardien d’animaux, séropositif depuis 3 ans, qui "adopte une attitude très ouverte face à sa séropositivité".

Quels sont vos vœux ou vos objectifs pour l’avenir ?
Je suis dans l’heureuse situation d’exercer le métier que je souhaitais depuis mon enfance. C’est déjà un bon point pour se lever avec le sourire aux lèvres lundi matin. En ce moment, j’apprécie les petits plaisirs de la vie. L’hiver dernier, j’ai commencé à faire du snow, et j’aimerais continuer cette année. Avant, je pensais que les choses exceptionnelles se vivent seulement pendant les vacances. A part cela, il faut travailler, travailler, travailler. J’aimerais maintenant intégrer des moments de villégiature dans mon quotidien. La semaine prochaine par exemple, je suis un cours de planche à voile. J’ai pour but de vivre de tels moments au quotidien ; un dîner spécial, du sport ou simplement une excursion à vélo avec mon partenaire.
 
Vous êtes gardien d’animaux. Parlez nous de votre parcours.
Les animaux m’ont toujours fasciné. J’ai grandi parmi les chiens et les chevaux. J’ai eu des serpents, des hamsters, des cochons d’Inde, des dègues [des rongeurs qui viennent du Chili, ndlr], des gerbilles comme animaux domestiques. Enfant, j’ai trouvé un jour une chauve-souris blessée lorsque notre maison était rénovée. Je l’ai prise chez moi, l’ai soignée, puis l’ai relâchée. Lorsque j’avais douze ans, je passais chaque minute de mon temps libre au Zoo de Zurich et y travaillait comme volontaire. Pour moi, c’était clair : je travaillerai avec des animaux. Et je suis devenu gardien  d’animaux.
 
Préférez-vous certains animaux à d’autres ?
Non, je trouve tous les animaux beaux à leur façon. Pour moi, aucun n’animal n’est laid. Je trouve quand même les félins et les reptiles particulièrement beaux et élégants. Je m’intéresse beaucoup aux reptiles et trouve que ces animaux jouissent à tort d’une mauvaise réputation sous nos latitudes. Ils semblent très distants par rapport à un chien ou à un chat, mais ce sont des êtres très sensibles. En Asie, ils occupent une toute autre place que dans notre monde occidental.
 
Vous ne vivez pas seul. Les enfants sont-ils à l’ordre du jour ?
Non, pas d’enfant envisagé. Je crois que le chien serait le seul enfant pour moi. Je ne me vois pas comme parent à l’heure actuelle, mais cela changera peut-être avec l’âge. En plus, j’avais des rapports difficiles avec mon père et je remarque que je réagis parfois comme lui – et ce n’est pas l’attitude que j’aimerais avoir vis-à-vis d’un enfant.
 
Qu’avez-vous pensé lorsque le médecin vous a dit que vous étiez séropositif ?
A ce moment, j’ai été simplement envahi d’une profonde tristesse et pensé : "Merde !" J’étais en fait bien informé et me suis menti à moi-même. J’ai fait semblant de croire que la personne en question ne pouvait pas être séropositive – mais ce n’était pas le cas.
 
N’avez-vous jamais pensé que votre vie était finie alors ?
Non, jamais. J’ai toujours su que la vie continue. Comme je l’ai dit, le diagnostic m’a déstabilisé un moment. Or, ce diagnostic n’a rien à voir avec une jambe cassée. On ne remarque ni ne voit rien dans l’immédiat – on se sent en forme et en bonne santé comme d’habitude. On sait simplement que l’on est désormais séropositif. Mais physiquement rien ne change.
 
Qui a appris le premier que vous étiez séropositif ?
Ce fut mon beau-père, et par hasard. Il travaille comme agent d’assurance et il me fallait je ne sais plus quelle nouvelle assurance, pilier 3a [une assurance en Suisse, ndlr] ou quelque chose du genre. Soudain, en remplissant la police, nous sommes arrivés aux questions sur la santé. A la question sur le VIH, j’ai avalé ma salive et mon cœur s’est mis à battre la chamade. Il l’a tout de suite remarqué. Et j’ai su que je devais le dire, parce l’on n’a pas le droit de mentir dans ces situations. C’était difficile, pour lui comme pour moi. Sur le moment, il a réagi de manière souveraine, avec calme, même si je crois qu’il était très nerveux intérieurement.

Comment a réagi votre entourage, lorsque vous l’avez informé de votre infection ?
Autour de moi, mes connaissances l’ont relativement bien pris. Je dis toujours aux gens : "Demandez tout ce que vous voulez savoir ; il n’y a pas de question bête à ce sujet". De la sorte, je peux atténuer les craintes, les préjugés et corriger les demi-vérités. C’est important pour moi de bien expliquer les choses, car le virus fait partie de moi dorénavant, et pour le restant de mes jours. De plus, ce que j’explique est répété ailleurs, et j’apporte ainsi ma modeste contribution à l’information et à la compréhension. Parfois, je remarque que les gens sont plutôt choqués, à cause de mon ouverture d’esprit et non de mon statut séropositif.

Y a-t-il eu des réactions négatives aussi ?
Oui, lors de contacts sexuels. J’ai toujours tenu à jouer cartes sur table. Une fois au courant, mes partenaires sexuels ne veulent souvent même pas de rapports sexuels protégés avec moi – alors que la charge virale est inférieure au seuil de détection et que l’on aurait utilisé le préservatif de toute façon. Même si les gens sont mieux informés qu’autrefois, on constate encore la présence de peurs considérables. L’aspect émotionnel prend le dessus à ce moment. Même si beaucoup disent ne pas y voir de problème en théorie – c’est soudain très différent dans la pratique. Naturellement, j’accepte et je comprends, mais parfois je me suis dit : "Shit !" Nous sommes en 2012, et les gens ne sont pas vraiment informés.

Pensez-vous chaque jour que vous êtes séropositif ?
Non, mais on me le rappelle chaque jour. Je dois prendre quatre cachets quotidiens pour endiguer la prolifération virale. Cela me rappelle chaque jour que je suis séropositif. Et en plus, je ne dois pas oublier de prendre les cachets.
 
La société traite-t-elle les personnes séropositives sur un pied d’égalité ?
Non. Cela me dérange par exemple que les séropositifs ne puissent souscrire d’assurances complémentaires. Je trouve cela disproportionné. Car je n’ai rien qui puisse donner à qui que ce soit le droit de m’exclure. Comment se distingue une pathologie d’une autre ? J’ai certes une maladie chronique, mais dispose d’une capacité de travail entière et ne suis nullement limité. Si je prends mes médicaments correctement, je suis l’égal d’une "personne en bonne santé". Je trouve aussi la législation caractéristique. En cas de contamination nouvelle, seule la personne qui en est à l’origine est coupable. La personne qui a contracté l’infection peut même la poursuivre pour lésions corporelles graves et propagation d’une épidémie – avec de possibles lourdes conséquences pénales. Je trouve que l’on ne peut pas condamner les gens simplement parce qu’ils ne peuvent pas rendre publique leur infection. Certains ne trouvent pas les mots et refoulent l’infection à tel point qu’ils l’oublient de fait, en raison de l’énorme stress psychique dont ils souffrent. Depuis que je suis séropositif et que j’en ai parlé autour de moi, la réponse était fréquemment : "Bienvenue au club". Certains se sont même ouverts à moi seulement après que je m’étais ouvert à eux. Cela m’a aussi montré qu’une attitude ouverte par rapport à l’infection est la bonne voie.

Propos recueillis par Marc Cohn
Illustrations: © Aide Suisse contre le Sida/Eva Kläui.
Cette interview a été publiée pour la première fois (novembre 2012) par l’Aide Suisse contre le Sida dans son dossier de presse à l’occasion de la Journée mondiale contre le sida 2012.
Avec nos remerciements pour leur accord de ce témoignage sur Seronet.

L'Aide Suisse contre le Sida (ASS) est l'organisation faîtière de 21 antennes cantonales et régionales ainsi que de 41 autres organisations actives ou engagées dans le domaine du VIH/sida. L'ASS a été fondée en 1985. Elle réalise, en partie sur mandat de l'Office fédéral de la santé publique, différents projets de prévention, notamment auprès de groupes de population particulièrement exposés au VIH.

Commentaires

Portrait de jeuneseropo31

je trouve votre perception des choses interessante, j'ai pris plaisir à lire votre interview,votre point de vue est interessant. et le fait que vous assumiez pleinement votre situation serologique est un belle preuve de courage. Le sujet est beaucoup trop tabou et l'acceptation publique de la maladie bien trop rare (même si c'est difficile voir impossible pour beaucoup et ça se comprend). vous avez du cran, et je pense que même si c'est pas evident avec tous les prejugés, ça joue en votre faveur. le dialogue c'est peut etre une des solutions...