Générations positives : Serge et Samuel

Publié par Rédacteur-seronet le 15.02.2023
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Serge a 70 ans. Il vit avec le VIH depuis 1989. Samuel en a 40. Il vit avec le VIH depuis 2013. Ils ne se connaissent pas et ne se sont jamais parlé. Aujourd’hui, ils participent à un entretien croisé.

Dans quelles circonstances avez-vous découvert votre séropositivité et quelles ont été les répercussions sur votre vie ?

Serge : J’étais donneur de sang deux fois par an dans le cadre de mon entreprise. En 1989, quelques temps après un don du sang, je reçois une lettre du Centre national de transfusion sanguine (CNTS), m’indiquant qu’il y a une anomalie et que je dois me présenter au CNTS pour faire des analyses. J’ai compris tout de suite que c’était le VIH et cette annonce n’a pas vraiment été une surprise pour moi, car à l’époque je ne prenais pas toujours de précautions lors de rapports sexuels. À ce moment-là, je fréquentais un étudiant étranger et je lui ai dit que je comprendrais s’il ne voulait pas rester avec moi. Il m’a répondu : « Séropositif ou séronégatif, je reste ! » La « chance » que j’ai eue, c’est d’avoir un très bon infectiologue qui faisait partie de l’AMG, l’Association des médecins gays. Et puis assez rapidement, j’ai décidé de m’engager dans la vie associative. Je suis devenu volontaire à AIDES Paris ; une aventure qui a duré 15 ans. Je me suis investi sur de nombreuses actions : le groupe juridique, la prévention en milieu scolaire, la ligne téléphonique de Sida Info Service...
Samuel : En janvier 2013, j’ai repéré une tache sur mon cou, comme si je m’étais fait piquer. J’ai consulté la médecin du travail qui m’a dit : « Vous avez des ganglions, c’est votre corps qui réagit à une attaque ». Cette phrase a fait tilt dans ma tête et j’ai pensé directement au VIH. Je me suis souvenu que, pendant l’été 2012, je m’étais un peu relâché sur le port du préservatif qui, par ailleurs, me posait des problèmes d’érection. Je suis allé faire un test VIH au Checkpoint, et le test s’est avéré positif. Ma première réaction a été de pleurer un bon coup. Je pensais que j’allais mourir et je me souviens même avoir demandé quelle était mon espérance de vie. Mais très vite, les soignants m’ont rassuré et je suis très reconnaissant des premiers mots des personnes que j’ai rencontrées. La médecin à l’hôpital m’a rassuré en m’expliquant qu’on n’était plus à l’époque de Philadelphia et que j’aurais une espérance de vie normale. Une fois le choc passé, j’ai commencé à en parler autour de moi et j’ai découvert que plusieurs de mes amis gays étaient, eux aussi, séropositifs. Les représentations datées que j’avais des séropos marqués physiquement par le VIH, ont volé en éclat. Un ami m’a parlé d’une association pour rencontrer d’autres séropos, les Séropotes. J’y suis allé et ça m’a tellement fait du bien que je m’y suis engagé en tant que bénévole. J’y suis encore aujourd’hui, dix ans après.

Qu’est-ce que le VIH vous a appris sur vous-même ?

Serge : Je me suis découvert une fibre militante avec mon engagement associatif. Dans mon parcours chez AIDES, j’ai rencontré des personnes que je n’aurais jamais rencontrées ailleurs : des personnes trans, travailleuses du sexe, usagères de drogues… et des ministres ! J’ai eu la chance de parler avec Simone Veil, une femme formidable, qui visitait des malades en stade sida à l’hôpital George Pompidou.
Samuel : Comme toi, le VIH m’a permis de faire des rencontres fantastiques et improbables. Le VIH a presque été une « bénédiction » dans ma vie car j’ai réussi à transformer une épreuve en une force. En 2008, j’ai fait un AVC avec une paralysie faciale pendant six mois et cette épreuve m’a fait prendre conscience de la puissance du mental. « Ce qui ne tue pas rend plus fort », a pris tout son sens et j’ai appliqué cette façon de penser au VIH.

Avez-vous connu la sérophobie dans votre parcours de vie avec le VIH ?

Serge : J’ai connu l’homophobie parfois dans ma vie professionnelle, mais pas la sérophobie. Il s’est passé une chose exceptionnelle quand j’ai rencontré l’homme qui est devenu mon mari, il y a presque vingt ans. Je lui ai annoncé ma séropositivité le premier soir et il m’a répondu : « Tu es un acteur de prévention donc j’ai toute confiance en toi ».
Samuel : Personnellement, j’ai été confronté surtout à de l’ignorance et de la peur. Je me souviens, au tout début, d’un plan à trois avec un couple de garçons qui m’a marqué. Dans le feu de l’action, on n’avait pas utilisé de préservatif et je n’étais pas tranquille avec ce qui s’était passé, alors je leur ai parlé de ma séropositivité et éventuellement d’aller faire un traitement d’urgence. Ils m’ont littéralement traité de « salaud » alors que j’estimais que la responsabilité était partagée. Quand j’ai contracté le VIH, je n’ai jamais fait porter la responsabilité sur la personne qui me l’a transmis. Après cette mauvaise expérience, j’ai toujours annoncé mon statut sérologique avant d’avoir un rapport sexuel.
Serge : Je te rejoins sur la responsabilité partagée. Le garçon qui m’a transmis le VIH m’avait prévenu qu’il était séropositif. C’est moi qui lui ai dit un jour que je ne voulais plus du préservatif. Il m’a mis en garde sur les risques que je prenais et j’ai répondu que je ne lui en voudrais pas si je contractais le VIH parce que j’étais adulte, consentant et responsable de ma prévention.
Samuel : Il y a aussi le terme clean  que je trouve épouvantable et qui est encore très courant sur les applis de rencontres. Je réponds avec humour que : « Oui, je me lave » et que les séropos ne sont pas sales. Mais moi aussi, j’ai fait l’erreur d’utiliser ce terme quand j’étais séronégatif, alors j’essaie d’être dans la pédagogie.

Quelle place prend votre traitement VIH dans votre vie ?

Serge : J’ai connu beaucoup de traitements différents et j’ai développé des résistances à certaines molécules. Aujourd’hui, tout va bien, je suis en allègement thérapeutique avec quatre comprimés par semaine. Le plus compliqué pour moi, ce sont les traitements  liés à d’autres problèmes de santé comme le cholestérol, la tension artérielle, l’hépatite B ainsi qu’un traitement contre les crises d’épilepsie. Dans le fond, j’ignore si ces soucis de santé sont liés directement au VIH ou au vieillissement naturel de tout un chacun.
Samuel : Au début j’étais flippé et je mettais une alarme tous les jours pour le prendre ; aujourd’hui, je n’y pense même plus. Je me dis que c’est comme une sorte de vitamine à prendre pour rester en bonne santé. Je n’ai pas forcément envie de changer et de passer au traitement injectable, j’aurais l’impression de traiter une syphilis tous les deux mois !

Comment avez-vous découvert la notion I = I (Indétectable = Intransmissible) et qu’est-ce que cela a changé dans votre vie ?

Samuel : Je l’ai appris grâce à l’association des Séropotes et ce fut presque une libération dans le sens où je pouvais retrouver une sexualité sans cette peur de transmettre le virus. C’est aussi un message de santé publique qu’il faut sans cesse répéter.
Serge : Quand j’ai entendu parler de la Prep, je me suis dit que si un traitement antirétroviral permettait d’empêcher la transmission du VIH en préventif, nos traitements VIH devraient avoir le même effet. Ce sont les publications Twitter d’un certain Fred Colby [pseudo de Fred Lebreton qui mène cet entretien, ndlr] qui ont confirmé mon intuition. Une fois l’information digérée, j’ai dit à mon mari : « Je t’envoie un lien, regarde tout ça, ça va peut-être changer notre vie ». Et effectivement, ça a changé notre vie, on a balancé la capote aux orties !
Samuel : C’est écologique, on abandonne le plastique [rires de Serge et Samuel, ndlr] ! Plus sérieusement, je pense aussi que la Prep a aidé les personnes séronégatives à comprendre le message « I = I ».

Comment renouer le dialogue parfois compliqué entre la génération « I = I » et celle des personnes qui vivent avec le VIH depuis les années 80/90 ?

Serge : Je ne le vois pas rompu, ce dialogue et je n’en veux absolument pas à Samuel et à ceux de sa génération de ne pas avoir subi tous les affres que les gens de ma génération ont subis. Je suis ravi d’avoir fait partie de la lutte contre le sida dans les années 90 aux côtés des médecins notamment.
Samuel : C’est une question sociétale qui dépasse le VIH je pense. Il y a des ponts à reconstruire. Il y a un culte de la jeunesse et de la santé, véhiculé par la société qui peut créer une cassure générationnelle entre les plus anciens et les plus jeunes. Il faudrait plus de visibilité des séniors dans les associations VIH et LGBT. Vu les temps qu’on est en train de traverser, on a intérêt à avoir une solidarité intergénérationnelle.

Propos recueillis par Fred Lebreton.

 

La rubrique Générations Positives propose une rencontre entre deux personnes vivant avec le VIH de deux générations différentes et qui ne se connaissent pas. Comment renouer le dialogue parfois compliqué entre ces générations ? Comment les plus anciens-nes peuvent-ils-elles transmettre l’histoire de la lutte contre le VIH tout en acceptant l’optimisme et le vécu de la génération I = I ? Quels sont les points de convergences de ces générations ? Si vous voulez participer à un entretien croisé, n’hésitez pas à envoyer un mail à Fred Lebreton (flebreton "@" aides.org).