Drogues : dépénalisons la consommation

Publié par jfl-seronet le 03.07.2023
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Produitsdroguedépanalisation

Un collectif d’associations, le CNPD, est à l’origine d’une nouvelle initiative pour une autre politique des drogues en France. Il s’agit d’une pétition lancée sur la plateforme des pétitions de l’Assemblée nationale le 26 juin qui vise à obtenir un débat dans l’hémicycle sur la dépénalisation de l’usage de stupéfiants. L’objectif est, dans ce domaine, rien moins que « redonner la priorité à la santé sur la répression ». Seronet fait le point sur cette initiative citoyenne qui mise sur le temps long pour changer la donner. Questions/réponses.

Quelle est la situation en France ?

Actuellement, la simple consommation de substances classées sur la liste des stupéfiants est passible de lourdes sanctions prévues par l’article L.3421-1 du code de la santé publique : un an de prison et 3 750 € d’amende, rappelle le texte du CNPD. Le texte de la pétition reconnaît que la « consommation de drogues comporte effectivement des risques », et avance que « la répression du simple usage de drogues, délit sans victime, constitue un non-sens ». Pourquoi ? Parce qu’elle est «  inefficace pour réduire la consommation : 45 % des Français-es ont déjà expérimenté le cannabis (taux le plus élevé en Europe), 22 % en ont consommé récemment (deuxième chiffre le plus élevé d’Europe), la consommation de cocaïne concerne 600 000 personnes en France et est en hausse constante depuis vingt ans, la consommation de cocaïne et d’ecstasy/MDMA y est supérieure à la moyenne européenne… ». Autre élément, son coût. La politique actuellement conduite est « extrêmement coûteuse : 1,72 milliards d’euros sont dédiés à la répression en 2023, soit 83,8 % du budget total de l’État consacré à la « politique de lutte contre les drogues et les conduites addictives ». Par ailleurs, contrairement aux objectifs affichés par le gouvernement, elle n’a pas d’incidence sur la lutte contre les trafics : dans les faits, 80 % des interpellations de la police pour infraction à la législation sur les stupéfiants ne concernent que l’usage simple. Enfin, elle éloigne les personnes consommatrices du soin. « Renvoyer les usages de drogues aux marges de la loi, c’est rendre plus complexe pour les personnes en difficulté (notamment en raison de leur addiction ou désocialisation) l’accès à des professionnels-les de santé. En cas de problème grave, tel que l’overdose, les personnes sont réticentes à appeler les secours par peur de la sanction », souligne la pétition.

Que défend la pétition ?

Son titre « Supprimons les sanctions pénales pour la simple consommation de drogues » donne le ton… et l’objectif. Les auteurs-rices de la pétition demandent « à ce que le code de la santé publique soit réformé ». Ils-elles exigent un texte de loi qui mette fin aux « sanctions pénales pour simple consommation de drogues ». Cette réforme permettra :

  • aux personnes consommatrices de chercher sans crainte un accompagnement par les associations et professionnels-les de la réduction des risques et du soin ;
  • de développer les actions d’information, de prévention et de réduction des risques qui ne seraient alors plus en contradiction avec la loi : il s’agit de protéger la santé des personnes et réduire le coût sanitaire et social des drogues qui pèse sur la collectivité ;
  • de réinvestir l’argent public ainsi économisé, par exemple, dans des actions de prévention, de réduction des risques et des dommages, et de soin ;
  • de libérer des moyens et du temps pour les services de police et de justice afin de recentrer leur mission sur la protection des personnes, notamment les plus vulnérables socialement.


La pétition entend aussi contrer les arguments faciles, voire les caricatures des opposants-es à toute réforme de la loi de 70. « Supprimer les sanctions pour le simple usage de drogues ne revient en aucun cas à en faire la promotion ou à en faciliter la consommation, énonce ainsi le texte. « Ce n’est pas une « légalisation » des stupéfiants, pas plus qu’une permissivité accordée aux comportements mettant en danger les personnes sous emprise de produits et des tiers (conduite routière, manœuvre d’engins, etc.) qui demeurent répréhensibles au même titre que pour l’alcool », cadre bien le texte. Les auteurs-rices rappellent que la « suppression des sanctions pour simple consommation de drogues est conforme aux recommandations des instances internationales » ; ainsi l’ONU et l’organisation mondiale de la santé (OMS) recommandent « la dépénalisation de la possession de drogue pour usage personnel ». Elle est d’ailleurs déjà mise en œuvre dans plus de 50 pays, dont l’exemple le plus proche est le Portugal ; mais pas chez nous. La population française a également conscience de la nécessité du changement, note le CNPD : 66 % des personnes interrogées dans un sondage CSA en 2020 jugeaient que « la pénalisation pour usage n’est pas efficace pour lutter contre la consommation de drogue ». Enfin, cette réforme est soutenue par de nombreuses organisations et associations de policiers-ères, magistrats-es, usagers-ères, professionnels-les de l’addictologie, associations de défense des droits humains.

Quel serait le contenu de la loi proposée en lien avec la pétition ?

Pour supprimer les sanctions pour consommation de drogues, il est proposé la suivante :

  • son article premier supprime le délit d’usage de stupéfiants prévu par le code de santé publique ;
  • le reste du chapitre premier modifie les articles du code de santé publique qui mentionnent le délit supprimé tout en maintenant les sanctions pour les usages de produits psychoactifs susceptibles de mettre en danger la sécurité d’autrui (par exemple, la conduite) ;
  • le chapitre II corrige les dispositions légales qui citent l’article modifié par l’article 1.


Comment fonctionne la plateforme des pétitions de l’Assemblée nationale ?

La plateforme des pétitions de l'Assemblée nationale permet aux citoyens-nes d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale et de signer des pétitions déjà déposées, explique le site. Chaque pétition est attribuée à l'une des huit commissions permanentes de l'Assemblée nationale, en fonction de la thématique qu'elle aborde. Les pétitions ayant recueilli au moins 100 000 signatures sont mises en ligne sur le site de l'Assemblée nationale pour plus de visibilité. Après attribution de la pétition à une commission, les députés-es de la commission désignent un-e député-e-rapporteur-rice qui propose ensuite :

  • soit d'examiner le texte au cours d'un débat faisant l'objet d'un rapport parlementaire ;
  • soit de classer la pétition.


La Conférence des présidents de l'Assemblée nationale est l’instance qui fixe l’ordre du jour des textes débattus dans l’hémicycle. Elle peut également décider d'organiser un débat en séance publique sur une pétition ayant recueilli au moins 500 000 signatures, issues d'au moins trente départements ou collectivités d'outre-mer. Dans cet objectif, il faut prévoir du temps pour collecter le nombre de signatures requis. Concernant cette pétition, la date limite de recueil des signatures a été fixée au 15 juin 2027.

Qu’est-ce que le CNPD et qui en fait partie ?

Créé en 2019, le Collectif pour une nouvelle politique des drogues (CNPD) réunit des organisations et associations de policiers, magistrats, usagers, acteurs de la santé et de la réduction des risques, professionnels de l’addictologie et de défense des droits humains engagées pour un changement des politiques des drogues en France : l’Association guyanaise de réduction des risques (AGRRR), AIDES, ASUD, Cannabis sans frontières, Collectif Police Contre la Prohibition (PCP), Ligue des droits de l’Homme (LDH), Fédération Addiction, Groupe de recherche et d’études cliniques sur les cannabinoïdes (GRECC), Médecins du monde, Observatoire internationale des prisons, SAFE, SOS Addictions, le Syndicat de la magistrature.


Signer la pétition.

 

C’est et ce n’est pas !
Supprimer les sanctions pénales pour la simple consommation de drogues c’est :
- Mettre fin à une politique qui prétend réduire la consommation de drogues sans y parvenir, bien au contraire ;
- Permettre l’accès à la prévention, aux soins et à la réduction des risques pour les consommateurs-rices ;
- Lutter contre les inégalités en santé et les injustices sociales ;
- Désengorger les services de police et de justice ;
- Économiser 1,72 milliards d’euros qui pourront être réinvestis dans la prévention et la santé ;
- Aller dans le sens des organisations internationales de santé et des droits humains.
Supprimer les sanctions pénales pour la simple consommation de drogues, ce n’est pas :
- Autoriser les trafics de drogues ;
- Autoriser les comportements sous emprise de produits qui mettent en danger autrui : ils deviennent répréhensibles au même titre que l’alcool ;
- Affirmer que les drogues sont sans risque : au contraire, c’est se donner les moyens d’informer sur les drogues et de réduire réellement les risques ;
- Aller contre l’opinion : les sondages montrent que les Français-es soutiennent cette réforme.

 

Mettre fin à une politique qui met en danger la santé des personnes
On la savait inefficace à réduire les consommations, la répression de l’usage de drogues a des conséquences néfastes sur la santé des personnes. « En rejetant les consommateurs-rices de drogues aux marges de la loi, la France entrave leur accès aux services de santé. Concrètement, de nombreuses personnes qui rencontrent des problèmes dans leur consommation et souhaitent se faire aider par des professionnels-les de santé sont freinées dans leurs démarches par la peur de la sanction et la stigmatisation liées à l’interdit pénal. Pire, les personnes qui ont besoin de soin en urgence — suite à une overdose notamment — sont trop souvent réticentes à appeler les secours. Parallèlement, les sanctions pénales sont un obstacle important au déploiement des actions de prévention et de réduction des risques des acteurs de terrain : comment s’adresser aux personnes pratiquant quelque chose censé être interdit ? Trop souvent, les associations et professionnels-les sont accusés d’« inciter » à la consommation et voient bloquée leur capacité à intervenir auprès des personnes qui en ont besoin. Par ailleurs l’efficacité démontrée des campagnes centrées sur l’information et la motivation au sujet de la consommation de drogues licites tels que l’alcool (campagne du Dry January) ou le tabac (campagne du Mois sans tabac) prouve l’inadéquation de recourir à la peur et à l’interdit pour réduire les risques et faire réfléchir à sa consommation ; la prévention par l’abstinence comme seule perspective n’en est pas une. Bien loin de protéger, la pénalisation de la consommation est en réalité un frein à l’accès à la prévention, au soin et à la réduction des risques : son impact sur les parcours de soin de toute la population doit conduire à sa remise en cause au profit d’un cadre légal adapté et centré sur l’accès à la santé », souligne le CNPD.

 

Mettre fin à des pratiques stigmatisantes
La loi pénale actuelle est source d’arbitraire : un fait largement démontré par de récentes études de terrain, souligne le CNPD. « Discrimination sociale d’abord : les personnes en situation de grande précarité (gagnant moins de 300 € par mois) ont 3,3 fois plus de risque que la moyenne de faire de la prison ferme pour infractions à la législation sur les stupéfiants. Discrimination raciste aussi : les personnes racisées sont surreprésentées parmi les mis en cause pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS), les interpellations et arrestations se focalisant de manière disproportionnés sur les jeunes hommes racisés. Les statistiques des personnes mises en cause appuient ces conclusions : 91 % sont des hommes, 74 % ont moins de 30 ans — des chiffres sans aucune mesure avec la population générale ou la démographie des consommateurs. Par ailleurs, le risque de détention provisoire pour simple usage de drogues est 5 fois plus élevé pour les personnes étrangères. Le choix fait d’élargir l’amende forfaitaire délictuelle au délit de consommation de stupéfiants est en lui-même porteur d’arbitraire, comme le révèle la Défenseure des droits dans sa décision récente qui souligne « le risque de développer des pratiques discriminatoires ». L’aveu du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin le 5 avril 2023, qu’il s’agit d’« un outil de police, [qui] permet de faire les contrôles d’identité » vient confirmer que la politique pénale en matière de drogues n’a que peu à voir avec la santé et la protection des populations. « Mettre fin aux sanctions pénales pour consommation de drogues, c’est aussi mettre fin à ces pratiques discriminatoires », défend le CNPD.