Nos existences sont difficiles mais très belles

Publié par Rédacteur-seronet le 29.01.2023
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Interview

Artiste performeuse, actrice, metteuse en scène, activiste, DJ, femme trans, séropositive et bisexuelle. Nina Champs est tout cela à la fois et bien plus encore. De passage à Paris fin septembre, la jeune femme de 25 ans, originaire de Liège (Belgique), s’est prêtée à l’exercice de l’interview et de la séance photo. Rencontre.

Vous avez découvert votre séropositivité en janvier 2018, avant votre transition, et vous avez déclaré par la suite : « Il y a une partie de moi qui savait que j’allais l’avoir ». D’où venait ce pressentiment ?

Nina Champs : C’est lié à l’expérience d’une personne queer. Un enfant queer qui grandit dans une société hétéronormée et qui arrive à l’âge adulte avec une mauvaise estime de soi. Je viens d’une famille très judéo chrétienne et on m’a toujours dit : « Fais attention au sida ! » comme si les hétéros n’étaient pas concernés par le VIH. Concernant la transidentité, j’ai ouvert les yeux grâce au collectif, dont je fais partie, qui s’appelle Les Bastards. Un jour, Gigi, une de mes sœurs dans le collectif, m’a dit : « Soyons honnêtes, tu n’es pas un mec ! »

Comment avez-vous vécu le double défi de commencer une transition tout en devant respecter le protocole de soin du VIH ?

J’ai été diagnostiquée séropositive à l’âge de 20 ans. À l’époque, je m’identifiais encore comme un garçon cisgenre et je m’étais rapprochée du milieu associatif VIH gay. Je me suis rasé les cheveux et j’avais même commencé la musculation, mais je n’ai pas trouvé ma place dans ce milieu. Trois ans plus tard, j’ai commencé ma transition. J’ai prévenu mon infectiologue qui a changé mon traitement VIH pour éviter des interactions avec le traitement hormonal. J’ai commencé une approche hormonale par le gel pendant un an [Oestrogel est un gel qui contient comme principe actif l'hormone estradiol, laquelle est identique à l'hormone naturelle, ndlr] et, en complément, je prenais un bloqueur de testostérone. Puis, je suis passée aux injections. La chance que j’ai eue, c’est que mon infectiologue et mon endocrinologue travaillent dans le même hôpital et elles se sont concertées pour organiser ma prise en charge.

De votre histoire personnelle, vous avez élaboré la pièce de théâtre Hurler à la mer en tant que récit autobiographique. Pourquoi ce titre et que raconte cette pièce ?

Quelques jours après mon diagnostic VIH, je suis partie à la mer avec mon groupe d’amis-es de l’époque. Ma psy m’avait conseillé d’extérioriser ma souffrance en criant un bon coup, alors j’ai littéralement hurlé à la mer ! Il y a deux versions de la pièce, écrites avant et après ma transition. La première version raconte l’histoire de Jules, un jeune gay qui apprend sa séropositivité et l’annonce à sa mère et sa meilleure amie. Il y a une phrase qui revient plusieurs fois dans la pièce : « Personne ne me voit ; personne ne m’entend ; personne ne me ressent ». La seconde version raconte l’histoire d’une femme trans séropositive qui n’a pas encore fait sa transition. En faisant sa transition, la femme trans va perdre son emploi, subir la transphobie et commencer le travail du sexe. C’est mon histoire que je joue sur scène. Je ne sais pas si je rejouerai cette pièce. J’ai été très fatiguée du blocage des institutions sur ce projet. J’ai remué ciel et terre pour être programmée et avoir de l’aide, en vain. Mais pour moi, Hurler à la mer est une pièce intemporelle qui peut être adaptée et jouée par d’autres personnes.

En 2021, vous avez témoigné à plusieurs reprises, à visage découvert dans les médias et vous avez fait partie de la campagne de AIDES du 1er décembre 2021. Pourquoi est-ce important pour vous d’être visible ?

Quand j’ai accepté de faire la campagne de AIDES du 1er décembre, je n’avais pas conscience que j’étais la première femme trans à apparaitre dans une campagne nationale sur le VIH, placardée de partout. Mon visage en gros plan est passé à la télé et sur des affiches dans les stations de métro. J’ai accepté car je ne voyais pas de femmes trans dans les campagnes VIH. Autour de cette campagne, j’ai donné de nombreuses interviews. J’ai reçu énormément d’amour et ça m’a fait du bien, mais à la même période je traversais des moments très difficiles avec ma famille. J’ai passé Noël et le nouvel an toute seule.

Comment avez-vous vécu cette exposition médiatique ?

J’ai vécu des moments compliqués financièrement car j'exerçais le travail du sexe et certains clients m’ont reconnue. Le travail du sexe était mon safe space car je me sentais en contrôle de la situation, alors ça m’a beaucoup déstabilisée d’être discriminée à cet endroit-là. Cette exposition médiatique a fait de moi un symbole. Je n’étais plus Nina, j’étais la femme trans séropositive qu’on voit sur les réseaux. Suite à ça, je me suis éloignée du militantisme. J’ai réalisé que le milieu militant était dur avec les personnes militantes elles-mêmes. On exige une forme de pureté militante et on n’a pas le droit à l’erreur. J’ai ressenti de la pression de la part du milieu militant et je me suis sentie abandonnée. Tout ceci a mené à une tentative de suicide. J’en parle aujourd’hui car je vais mieux et j’ai fait un travail sur moi. Ma transidentité et le VIH ne me définissent pas. Pendant longtemps, je me suis dit : « Je mérite d’avoir une voix, je mérite de parler ». Maintenant, j’apprends aussi à me dire que je mérite de me taire à certains moments, de ne pas parler et juste d’exister.

Dans vos interviews, vous avez dénoncé la sérophobie médicale que vous avez vécue, parfois doublée d’une transphobie. Où en êtes-vous aujourd’hui avec le corps médical ?

Je l’évite ! Je n’ai plus confiance et j’ai peur de certaines réactions. Par exemple, il y a deux ans, je me suis déchiré le ménisque de la jambe droite. J’ai parlé de ma séropositivité avec l’anesthésiste qui était très à l’écoute, mais le jour de l’opération, il n’était pas là, et visiblement l’info n’a pas été transmise à l’équipe médicale. Au réveil de mon anesthésie générale, je me suis fait engueuler par le chirurgien qui m’a dit : « Il y a eu un risque de contamination, vous auriez pu le dire ! » J’étais très en colère. Il n’était même pas informé du « Indétectable = Intransmissible ».  J’ai aussi connu des discriminations dans des centres de santé LGBT, en tant que femme trans.

Quels sont vos projets aujourd’hui ?

Je me sens super bien. Je vais bientôt déménager à Bruxelles. Je vais monter un nouveau projet artistique qui s’appelle Praise ; qui va parler de la place des femmes trans dans l’espace public et l’histoire de la visibilité via l’histoire de l’art. Ça sera une performance musicale et visuelle, avec aussi des collaborations avec des artistes trans. J’ai eu des subventions de l’État belge pour ce projet et j’ai même rencontré le Premier ministre. Praise est conçu par et pour les personnes queer et trans, mais il est aussi fait pour être vu par les personnes cis. C’est ce public qu’il faut sensibiliser. Je vais aussi faire des formations à l’inclusivité destinées aux personnes cis qui ne connaissent pas grand-chose aux transidentités.

Quel est votre message pour les personnes trans vivant avec le VIH qui vont vous lire ?

Nos existences sont difficiles, mais elles sont aussi très belles. Nous sommes une communauté propice au suicide, à l’infection à VIH, aux discriminations, aux violences physiques, aux violences morales, aux violences systémiques. Mais il y a toute une communauté qui est là pour nous soutenir. Il faut identifier des personnes ressources autour de vous et créer des chaines de solidarité entre personnes trans. Moi, par exemple, j’ai quatre amies trans sur Paris et on se soutient mutuellement via un groupe Whatsapp. Ces personnes comprennent et trouvent les bons mots pour me rassurer. J’ai envie de dire : protégez-vous de toutes ces violences, dites quand ça ne va pas, prenez soin de votre santé mentale, aimez-vous et soyez folles !

Propos recueillis par Fred Lebreton

Commentaires

Portrait de jl06

Merci fred pour cette tranche de vie qui résume toute la difficulté de notre époque que l ont crois si libres .....Mais qui ne l,ai pas du tout,je dirais même quelle rétréci .....

Malgré un tout petit effort fait sur une chaîne (canal 14 Cultubox a 20h30 ) qui parle régulièrement des trans ,de leur spectacle ,