Pride to be putes !

Publié par jfl-seronet le 19.12.2011
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Le 17 décembre, le STRASS (Syndicat du travail du sexe) et des associations de lutte contre le sida dont AIDES, Arcat, Act Up-Paris ont organisé une manifestation à Paris contre la pénalisation des clients. Le 6 décembre, une première manifestation devant l’Assemblée Nationale avait déjà eu lieu pour dénoncer le vote d’une résolution sur l’abolition… Seronet y était.
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Une centaine de personnes, dont un grand nombre de travailleuses et travailleurs du sexe, des militants, des activistes et sans doute quelques clients… ont défilé samedi 17 décembre à Paris à l’appel du STRASS (Syndicat du travail sexuel) et de plusieurs associations de lutte contre le sida. Le NPA (Nouveau parti anticapitaliste) avait, lui aussi, appelé à la manifestation. Cette manifestation organisée à l’occasion de la Journée internationale contre les violences faites aux travailleuses du sexe a revêtu en France un caractère particulier. En effet, le 7 décembre dernier, une proposition de loi visant à pénaliser les clients a été déposée à l’Assemblée Nationale. Elle fait suite au vote, le 6 décembre, d’une résolution visant à réaffirmer la position abolitionniste de la France en matière de prostitution. Ce jour-là, des travailleuses et travailleurs du sexe, des militants, des activistes avaient également manifesté.


C’était le cas d’Alice, travailleuse du sexe et militante au STRASS. "Il n’y aura pas d’abolition, ironise alors Alice. Le discours des abolitionnistes, c’est d’aller vers une suppression complète du travail sexuel, mais ça c’est complètement illusoire et c’est ce qu’on voit en Suède. Non seulement cela se passe sur des sites Internet qui sont trustés par des groupes mafieux internationaux… mais cela peut se passer aussi off shore. C’est-à-dire en dehors des lois suédoises sur des ferrys qui croisent sur des eaux internationales avec des navettes qui amènent les clients à bord et qui les ramènent… On ne sait pas dans quelles conditions les filles qui sont sur ces bateaux travaillent, mais on a lieu de s’inquiéter pour elles. Le travail du sexe s’est aussi beaucoup développé aux frontières du pays. Les chiffres qui sont annoncés par la Suède et qui sont très séduisants pour les abolitionnistes sont faux. Pour moi, l’abolition n’est pas possible. En revanche, ce que l’on voit notamment avec la loi sur la, sécurité intérieure, c’est la répression… Et la répression n’a jamais aidé les travailleurs et travailleuses du sexe… cela nous précarise, nous fragilise, alourdit le stigmate…" Un avis que partage Marie-Sarah Maffesoli, juriste pour le STRASS : "Cela n’est pas par la répression du travail du sexe qu’on va lutter contre la traite et l’exploitation des êtres humains… Je constate d’ailleurs qu’on ne réprime pas tous les secteurs d’activité dans lesquels il y a de l’exploitation et de la traite humain… On lutte contre la traite et l’exploitation et pas contre l’activité en elle-même. Pour lutter contre cela, il existe déjà un arsenal législatif qui est très peu mis en œuvre. Il faut travailler avec les personnes qui sont le plus au contact d’éventuelles victimes. C'est-à-dire les travailleurs du sexe eux-mêmes, en luttant contre les indépendants on va rompre complètement la collaboration avec eux…"

Ce qui semble avoir surpris certaines travailleuses du sexe, c’est la rapidité de l’enchaînement entre la publication du rapport de la mission parlementaire sur la prostitution, puis le vote de la résolution et finalement le dépôt de la proposition de loi. "Cela a été très vite", note Cloé Navarro, travailleuse du sexe, étudiante et militante au STRASS, qui dénonce, outre l’emballement, un débat de parti-pris et l’attitude de la gauche. "C’est très facile d’aller dans un même sens lorsqu’on n’a pas eu les argumentaires de l’opposition, quand ce sont des personnes qui se congratulent entre elles…  Très clairement, on a été lâché par la gauche sur ce coup-là… c’est quand même le PS qui a créé ce texte de pénalisation… Quand la gauche s’attaque aux libertés individuelles… on a du souci à se faire. Je constate aussi que certains parlementaires savent bien où venir nous chercher pour nos services sexuels, mais, en revanche, pour nous soutenir il n’y a plus personne. C’est assez hypocrite". "Non, ce n’est pas une surprise, avance de son côté Alice. Je pourrais être déçue éventuellement. Cela aurait pu tourner moins mal, mais le rouleau compresseur sécuritaire qu’on voit avancer actuellement, réduire les libertés de tout le monde et sur tous les terrains… est trop fort. C’est la même chose que les caméras de surveillance, la prolifération policière, les flash-Ball, etc. Tout ça forme un ensemble… Dans la répression, il faut des gens à désigner, ceux sur qui taper pour justifier le sécuritarisme. Cela concerne toutes les marges et comme le travail du sexe est à la marge et qu’il est très stigmatisé… il fait partie des cibles potentielles… Le Français moyen voit plutôt d’un bon œil qu’on tape sur les marges surtout lorsqu’il n’en fait pas partie… Moi, ce que je peux dire… c’est que je travaille dans de bien meilleures conditions depuis que je suis pute que lorsque j’étais petite employée de commerce".

L’opposition à la pénalisation des clients porte sur différents points. "Cela donnerait aux clients un pouvoir plus important de chantage puisqu’eux-mêmes prendraient des risques et sinon il est probable que certaines travailleuses du sexe décideraient de recourir à des intermédiaires pour pouvoir travailler en sécurité puisque la pénalisation des clients ferait qu’elles risqueraient de ne plus être en sécurité parce que notamment on leur demanderait de dénoncer leurs clients ce qui dans un rapport commercial est toujours compliqué", avance Marie-Sarah Maffesoli. "Si les clients sont pénalisés, les filles devront se cacher un peu plus, donc elles seront encore plus isolées et en danger car elles devront accepter des pratiques qu’elles n’acceptent pas aujourd’hui", a expliqué Cloé Navarro lors de la marche du 17 décembre à l’AFP. Elle avance aussi que : "Les lieux de la prostitution sont aujourd’hui connus de la police, des usagers et des associations de prévention, ils ne le seront plus", craint-elle.

Bien que les arguments de santé publique soient mis en avant, il faut bien constater que les députés et partis politiques ne semblent pas en tenir compte. Lorsqu’on lui demande pourquoi Cloé Navarro n’a pas d’explications, mais elle indique que "tous les gens qui sont autour du STRASS sont importants et surtout les associations contre le sida vu la préoccupante pandémie qui se prépare si la pénalisation du client est adoptée". Même constat pour Alice qui note qu’il n’est jamais question de santé et que le climat actuel ne fait qu’entretenir la violence. "Plus les politiques, c’est régulier ces temps-ci, multiplient les déclarations contre la prostitution plus les collègues qui travaillent sur la rue se font agressées : jets de cannettes depuis les voitures, injures, menaces…, explique-t-elle. C’est-à-dire que le mépris et le rejet de la prostitution qui sont affichés rejaillissent sur les travailleurs et travailleuses du sexe". Ce refus de prendre en compte les questions de santé publique, la manifestation du 17 l’a pointé, dans la banderole qui ouvrait le cortège : "Répression = contamination", et dans des slogans tels : "Sida Client-e-s pénalisé-e-s = Putes assassiné-e-s" ou "L'abus de la morale nuit gravement à la santé".
Pour Cloé Navarro, il y a bien une autre explication à cette volonté de sanctionner sans réfléchir aux conséquences y compris sanitaires. "Les travailleuses du sexe commencent à se mobiliser pour demander des droits, elles s’organisent. C’était sur qu’à un moment ou un autre, cela allait se retourner contre nous, note Cloé. Quand une partie de la population était sans voix et commence à vouloir la prendre… cela suscite toujours une réaction." Et pourtant pour la militante, il y a péril en la demeure : "Nous en sommes aujourd’hui à un point où c’est la santé des Français qui est en jeu, il faut bien en prendre conscience et leur liberté individuelle parce que cette pénalisation des clients, c’est aussi une ingérence dans les lits et la sexualité".