Prostitution à l’Assemblée : d’ébats, des Oh !

Publié par jfl-seronet le 15.12.2011
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Cela n’a pas traîné, tout comme le débat que l’Assemblée nationale a consacré au sujet le 6 décembre dernier. Après le vote d’une résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution, voici que sort une proposition de loi visant à pénaliser les clients… Abolition, pénalisation des clients font l’unanimité des formations politiques de l’Assemblée Nationale… mais pas chez les travailleurs et travailleuses du sexe.
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70 minutes de débat parlementaire. 9 députés à la tribune. Une ministre contente d’elle. Un seul point de vue. Un vote à main levée dans un hémicycle plus que clairsemé. Voilà, c’est ainsi que la France a réaffirmé le 6 décembre 2011 son souhait d’abolir la prostitution dans le pays. Il faudra donc voir une autre fois pour un vrai débat national et contradictoire, un débat qui permette d’entendre toutes les parties prenantes et d’arrêter une position raisonnée et raisonnable. Du point de vue des députés, ce débat aurait déjà eu lieu. Il consisterait dans le rapport (pourtant très controversé) de la mission d’information sur la prostitution (avril 2011) présidé par la députée socialiste Danielle Bousquet et dont le rapporteur est son collègue UMP Guy Geoffroy. Première oratrice à l’Assemblée nationale le 6 décembre, Danielle Bousquet rappelait que 200 personnes avaient été auditionnées à cette occasion dont 15 (!) personnes qui ont exercé ou exercent encore cette activité. Très peu, trop peu, mais manifestement cela ne choque personne. Il est difficile de se repérer dans ce débat, particulièrement complexe, qui touche aussi bien au libre choix des personnes qu’aux réseaux criminels, à la place des femmes dans la société qu’aux enjeux de santé, etc. Les sorties très stéréotypées de l’Assemblée nationale n’ont guère permis d’avancer. Voici quelques éléments du débat et surtout ce qui s’est passé le 6 décembre à l’Assemblée.

"Une société sans prostitution"
Elle n’est inscrite qu’en deuxième sur le déroulé de la séance à l’Assemblée Nationale (une erreur… sans doute). Galant, son collègue de l’UMP, Guy Geoffroy lui cède la place. C’est d’autant plus logique que la députée socialiste Danielle Bousquet a présidé la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la prostitution, qu’elle a voulu ce débat et qu’elle entend pénaliser les clients dans un avenir proche. En l’écoutant, on comprend assez vite que le but de cette résolution n’est pas seulement de faire une piqûre de rappel (après tout la France a déjà adopté il y a plusieurs années l’abolition de la prostitution), mais de réaffirmer qu’il faut aller "vers une société libérée de la prostitution". Pour Danielle Bousquet : "Nous sommes à une époque où la prostitution semble se banaliser en Europe (…) Cette position [d’abolition] est un préalable indispensable à l’adoption de mesures efficaces de lutte contre la traite de la personne humaine, le proxénétisme et les réseaux de prostitution, et contre le sexisme qui est encore largement présent dans nos sociétés". La députée socialiste indique que la résolution votée reviendra à affirmer "que notre pays refuse la réglementation de la prostitution, que nous voulons mettre l’accent sur la prévention de la prostitution et sur la réinsertion des personnes prostituées, et faire en sorte que rien ne fasse obstacle à une société libérée de la prostitution". Pour Danielle Bousquet, ce refus de la prostitution revient à dire "dans quel type de société nous voulons vivre". Evidemment, toute à cette logique, la députée ne considère qu’une partie de la prostitution : celle qui est le fruit du trafic de personnes et s’exerce donc sous la contrainte. "En France, ces trafiquants sont rarement français. Ils viennent le plus souvent des pays d’origine des victimes : les Russes fournissent des Russes et des Ukrainiennes ; les Nigérians exploitent des femmes de leur propre pays (…) La plus grande part de la prostitution – en Europe occidentale tout au moins – est le fruit de la traite des êtres humains. Le nombre de personnes prostituées en France est difficile à établir, mais on l’estime à environ 20 000, dont 85% de femmes, 90% de celles-ci étant étrangères, le plus souvent en situation irrégulière, avec des réseaux qui sont bien connus des services de police", explique Danielle Bousquet. "La prostitution est un asservissement, une violence, principalement une violence contre les femmes, et c’est ainsi qu’elle fait gravement obstacle au principe d’égalité", tranche la députée. Inutile d’en ajouter.

Artillerie lourde à l’Assemblée, volume 1
Ce n’est pas l’avis des autres intervenants de gauche comme de droite qui n’ont de cesse que de répéter (avec plus ou moins de talent oratoire… et parfois peu) le même point de vue. Rapporteur de la mission d’information sur la prostitution, le député UMP Guy Geoffroy a pour angle d’attaque d’"introduire davantage de responsabilité dans notre société". Pour lui, ce "fléau" qu’est la prostitution "risque d’autant plus de se développer que la précarité ne cesse de s’installer". Un "fléau" qui ne serait "ni une fatalité ni un mal nécessaire". L’intervention de Guy Geoffroy sert surtout à répondre aux arguments des opposants à l’abolition. Prenons-en un ! "[La prostitution] réduirait, paraît-il, le nombre de viols, avance ironiquement le député à la tribune de l’Assemblée. Au contraire, il faut en convenir, mes chers collègues, il y a plus de viols dans les comtés du Nevada qui ont réglementé, donc autorisé, la prostitution que dans les autres comtés de cet Etat américain, qui, eux, ont une position abolitionniste. A l’inverse, le nombre de viols n’a pas augmenté en Suède, où a été mise en place en 1999 une politique responsabilisante, qui menace de sanction les clients de la prostitution. L’idée selon laquelle la prostitution empêche le viol est donc une idée reçue dramatique, contre laquelle il fallait s’élever". Il tente de battre ainsi en brèche l’ensemble des arguments opposés à l’abolition.
Du côté communiste, on voit dans la prostitution, une dérive (de plus ?) du monde de l’argent. "Que la sphère de l’échange marchand se soit étendue jusqu’aux relations sexuelles, c’est un autre symptôme, une autre preuve des carences du système capitaliste, plus que jamais créateur d’aliénations. Que le fétichisme de la marchandise ait triomphé au point de faire du vivant et des organes du corps humain eux-mêmes l’objet de transactions, c’est la preuve qu’il nous faut transformer ce système", explique ainsi le député communiste Jean-Paul Lecoq. Faut-il faire peur pour convaincre ? La réponse est oui pour le député UMP Elie Aboud. "La pratique de la prostitution est-elle un long fleuve tranquille ? Evidemment non, tonne le député. Elle donne lieu, tout le monde le sait, à des violences physiques et psychiques particulièrement graves (…) Or voilà que les laudateurs de la prostitution banalisée utilisent les plus vils arguments pour la justifier. La vérité est qu’ils ont intérêt à une pratique commerciale de la sexualité, en omettant totalement les souffrances qui y sont liées – traites humaines, drogues, syndromes de stress post-traumatique", indique le député qui fait des opposants à l’abolition des souteneurs en puissance. On appréciera la caricature du propos. Détail amusant, Elie Aboud a les mêmes lectures que son collègue Guy Geoffroy puisque, lui aussi, connaît bien le cas du Nevada. "La pénalisation des clients [en Suède] a permis de lutter activement contre la prostitution sans que le taux de viols n’ait augmenté, ce qui dément toutes les théories qu’on a pu entendre. Au contraire, dans les comtés de l’Etat du Nevada où la légalisation a été adoptée, le nombre des viols s’est considérablement accru. L’observation montre qu’il n’y a donc pas de lien explicite entre la lutte contre la prostitution et l’augmentation des viols".

Artillerie lourde à l’Assemblée, volume 2
On se dit, après le passage de cinq députés entonnant le même discours, que le message semble entendu… Eh bien, non ! Il faut en ajouter encore… puisque les socialistes avaient jugé bon d’inscrire quatre orateurs pour défendre cette résolution. "Selon le dictionnaire, l’action de prostituer consiste à "avilir et dégrader quelque chose de respectable". Cette "chose respectable", en l’occurrence, n’est autre que le corps humain, que nous nous devons de protéger", rappelle la députée (PS) Laurence Dumont. Pour elle : "C’est (…) la demande des hommes qui génère la prostitution, laquelle est une forme de domination de l’homme sur la femme (…) Il est impératif de refuser la légitimation de la prostitution au motif qu’elle serait un mal prétendument nécessaire répondant à des besoins sexuels masculins irrépressibles". Armand Jung, député PS, préfère prévenir d’entrée de jeu, des fois qu’on se méprenne sur ses intentions. "Je ne suis pas connu pour être un puritain. Je ne suis animé par aucune considération philosophique ou religieuse. Mais, dans ce débat sur la conception et le sens des relations physiques et sentimentales entre les humains, les mots ont un sens et la sémantique utilisée n’est pas neutre. Dans le journal "Le Monde", récemment (…) une responsable du Syndicat du travail sexuel [le STRASS] déclare que "certaines personnes ne pourraient pas travailler dans un abattoir ou s’occuper de personnes âgées" (…) A partir d’un tel constat, primaire et simpliste, tout devient possible et acceptable, sans arrière-pensée, tout vaut mieux que de travailler en usine, sans patron et sans horaires. Quelle imposture ! À qui veut-on faire croire de telles contrevérités ? Même les milieux les plus réglementaristes que j’ai rencontrés ont reconnu que le libre choix n’était finalement qu’un leurre, une désillusion et, en fin de compte, un désespoir, un désespoir personnel, affectif et parfois physique". "Nous ne sommes ni des juges ni des censeurs de la vie sexuelle des uns et des autres, mais nous avons le droit, et même l’obligation, à moins de nous renier, de nous exprimer, d’exprimer notre désapprobation face à la marchandisation du vivant, face à l’exploitation du corps humain, que ce soit pour de la chair à canon, des ventres à reproduire ou du sexe à vendre", indique Armand Jung.

La loi du plus fort
Même si elle frappe plutôt fort… la gauche n’a pas le privilège d’une certaine outrance, le député UMP de Paris Philippe Goujon dégaine, lui aussi. Première salve : "Le constat a été unanime : la prostitution est inacceptable. Elle est, en premier lieu, une violence faite aux femmes, aux lourdes, très lourdes, conséquences physiques, psychiques et psychologiques. Elle est également une aubaine pour les réseaux criminels de traite des êtres humains qui exploitent ces victimes, du stade de l’immigration à celui de la pratique prostitutionnelle, puisque 90% des prostituées, dans notre pays, sont d’origine étrangère, contre 20% dans les années soixante, ce qui démontre la prédominance nouvelle d’une véritable "prostitution de la misère". Dans ces conditions, les femmes sont donc des victimes. Le patron de la fédération UMP de Paris doit donc en tenir compte… Eh bien, pas vraiment. Certes, il demande au "législateur de protéger les victimes de la prostitution", mais il préconise surtout d’en remettre une couche contre les victimes. Deuxième salve : "Il est à regretter qu’aujourd’hui, près de la moitié des interpellations pour racolage à Paris soient classées sans suite et que, parmi les autres, seulement 5% soient l’objet de poursuites devant le tribunal correctionnel, 89% faisant l’objet, le plus souvent, d’un simple rappel à la loi non dissuasif. Il revient au parquet de déférer davantage, car la situation se dégrade, au moins en attendant la mise en œuvre de la pénalisation du client". Voilà, tout est dit.

"La non patrimonialité du corps humain"
Il est probable, qu’en dehors des débats actuels sur la prostitution, vous n’ayez pas beaucoup entendu parler de cette notion de "non patrimonialité du corps humain"… dont le député Guy Geoffroy nous rappelle qu’elle est un "principe fondamental de notre démocratie et de notre République". Mais qu’est-ce au juste ? "Elle signifie que l’on ne peut pas faire commerce du corps, ni pour le vendre, ni pour l’acheter, ni pour le louer", explique le rapporteur UMP. Cette notion va figurer dans l’ensemble des interventions des députés. "Voter ce texte [sur l’abolition], c’est prendre un engagement fort. En effet, trois principes y sont développés. Premièrement, celui de la non patrimonialité et du refus de la marchandisation du corps, auquel nous, communistes, sommes particulièrement attachés", explique ainsi le député communiste Jean-Paul Lecoq. Même antienne avec le député (Nouveau Centre) Raymond Durand : "Selon le principe de la non patrimonialité du corps humain, inscrit dans notre code civil, aucun droit de propriété ne peut être reconnu sur le corps humain, ses éléments et ses produits. Indéniablement, la prostitution ne peut être assimilée à une activité professionnelle semblable à toutes les autres".

Contraintes par corps ou corps sans contraintes
Mal préparé, mal conçu, mal ficelé, mal mené, le débat sur la prostitution à l’Assemblée nationale aura montré au mieux la compassion attristée au pire l’incrédulité des élus devant la prostitution librement exercée. "Comment oserait-on faire croire que, parmi les 20 000 personnes prostituées en France – dont, d’ailleurs, 85% sont des femmes –, une immense majorité n’a pas été contrainte ?", lance ainsi le député UMP Elie Aboud avant de développer : "La loi, expression de la volonté générale, doit toujours être élaborée en fonction de l’intérêt commun. Si quelques personnes s’adonnent à cette pratique par choix personnel, nous devons cependant protéger toutes celles et tous ceux qui subissent des pressions, voire des agressions".
"La prostitution ne relève pas de la liberté sexuelle, dans la mesure où le libre choix n’existe pas, ou de façon marginale. Comment peut-on parler de liberté quand 80% des prostituées sont d’origine étrangère, "importées", pourrait-on dire, maltraitées, menacées, sans droits, quand toutes les prostituées sont victimes de violences ? Où est le choix ?", demande la députée (PS) Laurence Dumont. "Et quand bien même cette liberté existerait, elle trouverait ses limites dans les principes fondamentaux qui nous régissent, au premier rang desquels figurent le respect de l’intégrité du corps humain ou l’égalité hommes-femmes", estime même la députée. "La prostitution est une violence exercée à l’encontre des hommes et des femmes qui la subissent. Certes, vous trouverez toujours quelques exemples pour accréditer l’idée qu’elle est une activité librement choisie. Mais s’il existe de rares cas de prostitution libre et choisie, ils sont l’exception, et non la règle. La prostitution est le plus souvent l’aboutissement d’un parcours personnel difficile, de violences, de rupture familiale, de misère sociale. Elle est exercée sous la contrainte – contrainte physique de réseaux mafieux de prostitution, contraintes économiques et sociales de personnes vivant dans la précarité", explique Marie-Françoise Clergeau, députée PS. Et voilà… c’est fini.


70 minutes de débat parlementaire. 9 députés à la tribune. Une ministre contente d’elle. Un point de vue unique. Un vote à main levée dans un hémicycle plus que clairsemé. C’est ainsi que la France a réaffirmé le 6 décembre 2011 son souhait d’abolir la prostitution dans le pays. Mais pour quel résultat ?

Commentaires

Portrait de johnny

OK POUR DEMANTELER LA PROSTITUTION ESCLAVAGISTE MAIS LAISSONSTRANQUILLES CELLES QUI FONT CELA D'ELLES MEMES ET POUR QUI C'EST 1 COMPLEMENT DE REVENU OU POUR PAYER LEURS ETUDES ETC.. ET NE PAS FAIRE PAYER LES CLIENTS . ET MRS LES POLITIQUES ILS N'ONT JAMAIS RDZ-VS AVEC CES DAMES ???!!!