Ruptures d'antirétroviraux : le décret passe à côté

Publié par jfl-seronet le 29.10.2012
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Thérapeutiquerupture de stockmédicaments

Il aura fallu plus d’un an de mobilisation des associations, de travail des agences officielles pour qu’enfin paraisse le décret tant attendu relatif à l’approvisionnement en médicaments à usage humain. Un décret dont l’objectif principal devrait être de prévenir les ruptures de fourniture notamment celles affectant les antirétroviraux en pharmacies. Problème, ce nouveau décret est très loin de tout résoudre comme le dénoncent les associations.

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"Le circuit de distribution des médicaments souffre régulièrement de dysfonctionnements qui entraînent des ruptures d’approvisionnement en médicaments humains". De qui ce constat ? Des pouvoirs publics eux-mêmes puisqu’ils l’écrivent dans le texte du décret publié le 28 septembre dernier au "Journal officiel". Pourtant, ce ne sont pas eux qui, les premiers, ont identifié le problème… il y a maintenant près de trois ans. Ce sont les personnes qui les consommaient, notamment celles prenant des médicaments anti-VIH, qui ont subi les effets de ces ruptures de stock, des ruptures provoquant parfois des interruptions de traitement. Un premier cas, puis un second, d’autres qui s’accumulent et sont signalés aux associations, dont AIDES, conduisent ces dernières à monter au front. Ce sera le TRT-5 qui traitera le dossier. Il décide, pour donner une image juste de l’ampleur du problème et de l’impact de ces ruptures sur la vie des personnes, de créer un observatoire des ruptures d’approvisionnement que subissent les personnes vivant avec le VIH. Les données ainsi recueillies serviront aux associations pour mobiliser les autorités de santé sur ce sujet.

Que dit le nouveau décret ?
Le décret s’adresse aux laboratoires pharmaceutiques, aux exploitants se livrant à l’activité de grossistes-répartiteurs (ceux qui livrent les pharmacies), aux pharmacies hospitalières et aux officines de ville, soit toute la chaine de commercialisation et de diffusion du médicament en France. L’objectif est de prévenir les ruptures d’approvisionnement en médicament. Pour cela, le décret stipule que "tous les exploitants doivent approvisionner tous (…) les grossistes-répartiteurs afin de leur permettre de remplir leur obligation de service public de manière à couvrir les besoins des patients en France". Il instaure des centres d’appel d’urgence (mis en place par les laboratoires) qui permettent aux pharmaciens (hôpitaux comme ville) et aux grossistes-répartiteurs de signaler les problèmes d’approvisionnement… mais ils existent déjà. Chaque recours d’un professionnel à un de ces centres d’urgence doit être signalé à l’Agence régionale de santé (ARS). Le décret définit aussi concrètement ce qu’est une rupture d’approvisionnement. C’est "l’incapacité pour une pharmacie (…) de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures. Ce délai peut être réduit à l’initiative du pharmacien en fonction de la compatibilité avec la poursuite optimale du traitement du patient". Heureusement, car ce délai de 72 heures n’est pas compatible avec la prise de médicaments anti-VIH qui nécessite une régularité.
Pour cela, le décret oblige les centres d’appel d’urgence à s’organiser "de manière à prendre en charge à tout moment les ruptures d’approvisionnement et à permettre la dispensation effective de la spécialité manquante".


Les associations mécontentes

Le 4 octobre, Le TRT-5 publie un communiqué : "Ruptures de stocks de médicaments : les malades toujours seuls face à la pénurie". Le collectif interassociatif sur les traitements et la recherche thérapeutique dans le domaine du VIH/sida a la dent dure. Il parle d’un "déchainement d’intérêts corporatistes", qui débouche sur "un décret sans aucun impact sur les situations génératrices de ruptures d’approvisionnement dans les pharmacies de ville". Pour le TRT-5,  ce décret n’apporte rien de neuf. Il est, selon le collectif, un "simple rappel de la loi existante – qui a montré ses nombreuses lacunes" et témoigne "de l’impuissance des pouvoirs publics à agir pour protéger les malades, au plus grand bénéfice des industries du circuit du médicament (firmes pharmaceutiques, grossistes répartiteurs)". Pour le TRT-5, le principal problème du nouveau texte réglementaire est qu’il ne crée pas un statut particulier à une liste restreinte de médicaments à intérêt thérapeutique majeur (pour lesquels l’observance est importante), non substituables (antirétroviraux VIH, traitements contre les hépatites B et C, anticancéreux, cardiotoniques, immunosuppresseurs) pour limiter leur exportation hors du territoire national. La colère est d’autant plus forte que cette proposition est défendue de longue date et semblait, selon le Collectif, "largement partagée avec les autorités sanitaires".  Ce sont, en effet, notamment les exportations (faites par les grossistes-répartiteurs) hors de France, mais limitées à l’Union européenne, qui créent des tensions dans l’approvisionnement et de plus en plus souvent des ruptures sur certaines spécialités. Le dispositif défendu par le TRT-5 aurait permis, par exemple, de sécuriser des stocks de médicaments et d’encadrer plus sérieusement les exportations. Pas d’exportations à l’étranger pour des raisons purement financières et spéculatives si cela fragilise l’approvisionnement national. Bref, la santé publique avant les profits commerciaux.


La ministre interpellée
Le TRT-5 a interpellé la ministre de la Santé, Marisol Touraine et lui demande de s’engager publiquement à compléter et corriger rapidement le dispositif législatif pour répondre aux demandes des malades. Selon l’APM (Agence de presse médicale), la ministre s'est engagée, début octobre, à "sécuriser l'approvisionnement des médicaments indispensables", promettant "d'aller encore plus loin en passant par la loi" et de mettre en place un comité de surveillance ad hoc. La colère des associations rejoint le scepticisme des représentants de syndicats de pharmaciens. Interrogés par l'APM, ils se montrent prudents sur la capacité du décret à mettre fin aux ruptures constatées en officine. C’est le cas de Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (Uspo), intervenu à de nombreuses reprises sur le sujet et dont le syndicat a créé, lui aussi, un observatoire des ruptures d'approvisionnement constatées par les professionnels. L’Etat doit être le garant que le cadre existant bénéficie d’abord aux malades avant l’intérêt financier.