Travail du sexe et sexualité personnelle

Publié par Rédacteur-seronet le 18.08.2023
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Sexualitésexualitétravail du sexe

Médecin sexologue hospitalier en maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Pitié-Salpêtrière et à l’hôpital Bichat (AP-HP, Paris), le Dr Patrick Papazian partage les questions qu’on lui pose le plus souvent en consultation, les pistes de réflexion et solutions qu’il a préconisées.

Un rappel et une anecdote

Être travailleur ou travailleuse du sexe, c’est avoir une activité dans le domaine du sexe en échange d’une rémunération : par exemple, jouer dans un film pornographique, ou avoir des rapports sexuels avec une personne qui vous donne, pour ce service, de l’argent. C’est une activité professionnelle autorisée en France, mais tout est fait pour compliquer la tâche des travailleurs et travailleuses du sexe.

À présent l’anecdote : une patiente travailleuse du sexe, venue faire des tests de dépistage d’infections sexuellement transmissibles, qui me dit : « En ce moment, le travail me prend un peu la tête, trop de trucs autour du sexe, je n’arrive pas à être disponible mentalement pour mon compagnon dans notre vie intime ». Je lui ai répondu que j’aurais pu formuler la même plainte, et nous avons bien ri ensemble.

En effet, le travail du sexe, c’est avant tout du travail. Avec son stress, son risque de surmenage, ses jours avec et ses jours sans. Et des horaires parfois hachés, envahissant le quotidien. Du travail au contact de l’humain, nécessitant une bonne compréhension des besoins de l’autre et des capacités d’adaptation aiguisées. Premier conseil, donc : sans même parler de sexe, ce travail expose à un risque de fatigue, morale et physique, qui nuira à votre sexualité personnelle (comme le travail de sexologue, par exemple !). Sachez identifier les signaux classiques (irritabilité, troubles du sommeil, ruminations mentales...) d’épuisement ou de lassitude professionnelle avant le point de non-retour, pour lever le pied, si possible. Rappelons que ce conseil n’est pas toujours facile à appliquer, car pas d’arrêt de travail rémunéré du fait de la précarité du statut social de travailleur ou travailleuse du sexe.

De plus, dans le travail du sexe, l’utilisation du corps et des fonctions sexuelles, sans pouvoir généralement interroger son désir ou son plaisir, peuvent compliquer la vie intime par risque de confusion des genres entre activité professionnelle et vie personnelle. En vérité, cette situation est surtout soulignée par les personnes débutant dans le travail du sexe. L’expérience permettant précisément de mieux délimiter les choses. Afin de parer ce risque, le cadre, au sens large, de l’activité professionnelle, doit être clairement défini : si possible horaires, lieux, ensemble des pratiques. Afin de favoriser la frontière entre « vie pro » et « vie perso ». Pour que ce « cadre » soit encore plus marqué, un patient me disait, par exemple, qu’il ne dit jamais à un client ce qu’il aime. Il ne souhaite pas qu’un client puisse se comporter comme un amant, et chercher à tout prix à lui donner du plaisir : il souhaite rester professionnel. Mais chacun trouve ses stratégies d’adaptation : à l’inverse, une patiente me racontait prendre beaucoup de plaisir en tournage de vidéos, et s’inspirer de ce plaisir dans sa vie personnelle pour pimenter ses rapports avec ses partenaires choisis. L’important, c’est de toujours distinguer les choses : un « break » mental, type petite séance de méditation, moment pour soi, petite marche dehors pour marquer, symboliquement, la fin de la session de travail peuvent aider à se recentrer sur son monde intérieur et sa sexualité personnelle.

Enfin, quelques mots sur les infections sexuellement transmissibles : évidemment, des dépistages doivent être réalisés régulièrement pour ne pas prendre le risque d’apporter dans sa vie personnelle une infection contractée professionnellement et inversement. Mais rien de spécifique dans ce domaine : le côté professionnel ne change rien à l’affaire. Au contraire, les travailleurs et travailleuses du sexe montrent plutôt l’exemple au reste de la population dans le domaine des dépistages, et des modèles de réduction des risques s’appuient dans différents pays sur leur expertise, pour faire passer les bons messages, notamment aux clients-es.