Cet inégalable parfum d'homme...

Publié par nathan le 10.11.2010
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Pour imiter cette odeur humaine (de façon fort imparfaite, il le savait lui-même mais assez habilement tout de même pour abuser les autres), Grenouille chercha dans l'atelier de Runel les ingrédients les plus insolites.

Derrière le seuil de la porte qui donnait dans la cour, il trouva, relativement fraîche encore, une crotte de chat. Il en préleva la moitié d'une petite cuillère, qu'il mit dans la bouteille à mélanger, en même temps que quelques gouttes de vinaigre et que du sel fin. Sous la paillasse du laboratoire, il découvrit une miette de fromage, grosse comme l'ongle du pouce et proveneant manifestement d'un casse-croûte de Runel. elle était déjà assez ancienne, commençait à se décomposer et dégageait une odeur aigre et forte. Sur le couvercle d'une caque de sardines qui se trouvait derrière l'arrière boutique, il détacha une raclure indéfinissable sentant le poisson rance, qu'il mélangea avec de l'oeuf pourri et du castoréum, de l'ammoniaque, de la muscade, de la corne râpée et de la couenne de porc, brûlée et finement émiettée. Il ajouta une assez forte dose de civette, étendit d'alcool ces horribles composants, laissa reposer et filtra dans une seconde bouteille. Cette mixture avait une odeur épouvantable. Elle puait comme un égout, comme une charogne, et lorqu'on diluait ces effluves d'un coup d'éventail avec un peu d'air pur, on se croyait à Paris, au coin de la rue aux fers et de la rue de la lingerie, là où se rencontraient les odeurs des halles, du cimetière des innocents et des immeubles surpeuplés.

Sur cette base affreuse, qui sentait moins l'homme que le cadavre, Grenouille mit une couche de senteurs d'huiles fraîches: menthe poivrée, lavande, térébenthine, citron vert, eucalyptus, lesquelles à leur tour il réfréna et en même temps déguisa plaisamment sous un bouquet de subtiles huiles florales comme le géranium, la rose, la fleur d'oranger et le jasmin. Une fois étendu de nouveau avec de l'alcool et une pointe de vinaigre, ce mélange avait perdu l'odeur répugnante qui en était la base. Grâce à la fraîcheur des ingrédients ainsi rajoutés la puanteur latente s'était perdue jusqu'à être imperceptible, le parfum des fleurs avait enjolivé l'exhalaison fétide, la rendant quasi intéressante, et curieusement rien, plus rien ne rappelait l'odeur de la  décomposition. Au contraire, le parfum paraissait dégager une allègre et vigoureuse senteur de vie.

Grenouille le répartit en deux flacons, qu'il boucha et mit dans ses poches. puis il rinça les bouteilles, le mortier, l'entonnoir et la cuillère, fort soigneusement, les frotta à l'huile d'amande amère, pour effacer toute trace d'odeur, et prit une seconde bouteille à mélanger. Il composa rapidement un deuxième parfum, sorte de copie du premier, fait comme lui d'essences fraîches et florales, mais sur une base qui n'avait rien d'un brouet de sorcière: c'était fort banalement, un peu de musc, de l'ambre, un tout petit peu de civette, et de l'huile de bois de cèdre. En lui-même, ce parfum avait une odeur toute diffférente du premier : plus plate, plus innocente, moins virulente ; car il était dépourvu de ce qui constitue l'odeur humaine. Mais si un être humain normal s'en était mis, le mêlant à sa propre odeur cela n'aurait pas fait de différence avec ce que Grenouille avait fabriqué à son usage exclusif.

Après avoir rempli deux autres flacons de ce second parfum, il se déshabilla entièrement et aspergea ses vêtements avec le premier. Puisil s'en humecta les aisselles, s'en mit entre les orteils, sur le sexe, sur la poitrine, dans le cou, derrière les oreilles et dans les cheveux, se rhabilla et quitta l'atelier.

                                                                                          Peter Süsskind, Le parfum

Commentaires

Portrait de Meliah

 l'excellence jamais satisfaits . A la recherche de l'inaccessible . C'est un des livres qui m'a bien plu et dont l'adaptation pour la télé fut moyenne ,bien que le héros principal

 ait été celui (j'ai oublié son nom ) qui joua divinement bien le jeune Hannibal Lecter.

     Rien n'est plus difficile que de décrire un parfum ,quel qu'il soit .  On parle bien du parfum de la mort.

"La république n'est que le vase, c'est la liberté qui est le parfum", "La République et la Liberté", 1870 ...Paul Lacombe.
              Not so bad ,isn't it ?
 bises