Copier / cogner

Publié par Ferdy le 29.09.2009
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A l'époque lointaine de ma scolarité obligatoire, laïque et chèrement payée, nos instit's veillaient à ce qu'on ne lance jamais un oeil torve sur la copie du voisin. Chaque tentative avérée pouvait ainsi être sanctionnée d'un zéro, éventuellement assortie d'une punition laissée à l'appréciation de l'enseignant. Le délit constituait alors, en plus de la petite escroquerie, une trahison morale dont le coupable ressortait accablé, honteux, pittoyable. L'événement, quand il survenait, pouvait être l'occasion pour l'instit d'un développement édifiant pour toutes nos petites consciences en formation. On découvrait que le piratage intellectuel, même et peut-être surtout à cette échelle dérisoire de l'acquisition des connaissances, représentait dans son état embryonnaire une imposture qui, si elle n'était pas corrigée à temps, menaçait à la fois l'équité du système d'évaluation mais, plus largement encore, sapait toute la valeur que l'on accordait alors à l'effort individuel.

Il nous était ainsi régulièrement rappelé que ce n'était pas le maître ou la maîtresse qui se trouvait ainsi "trompé" (provisoirement), mais l'imprudent paresseux qui engageait son existence sur une voie viciée, funeste et lourdement handicapante pour son développement ultérieur. L'imposture nuirait à sa vie affective, familiale, professionnelle et le conduirait inexorablement vers la chute, le malheur, la solitude et l'échec. La prison pour perspective, à l'époque ça faisait froid dans le dos.

Voler un oeuf n'était que la première étape d'un engrenage qui conduisait immanquablement à d'autres larcins plus volumineux encore et dont l'aboutissement édifiant serait le boeuf, quoique pour les petits citadins privilégiés que nous étions, le ruminant ainsi désigné n'incarnait qu'une forme assez vague et lointaine, pour ne pas dire complètement abstraite, dont on avait du mal à saisir la pertinence de la convoitise.

Quelques décennies plus tard, la révolution numérique a radicalement modifié notre perception de l'effort requis dans l'apprentissage du savoir. On préfèrera à la mémorisation archaïque privilégier les capacités de mise en relation de données, créer des passerelles, promouvoir des aptitudes créatrices dont on appréciera le degré de pertinence et d'adéquation en rapport au problème posé ; l'accent sera mis sur ce qui fait la spécifité du cerveau humain : malléable, astucieux, en perpétuel devenir, etc.

Le petit d'homme se trouvera libéré d'un travail d'indexation peu gratifiant, pour développer - à l'infini - ce qui fait de chacun un être unique, au sein d'un réseau dont le flux permanent n'aura de cesse de lui soumettre des occasions providentielles pour se surpasser.

A l'ère du copier/coller, l'apprentissage consistera peut-être à développer des zones du cerveau encore en jachère.

Je vous le dis, en vérité, ça va cogner !

Commentaires

Portrait de HumblePenguin

Sommes-nous mêmes autre chose qu'un vaste collage, une polyphonie de voie étrangères,  un ramassis de sagesse archaïque et familliale, un patchwork d'odeur et de sensations, une exposition coloniale où le seul exposant est aussi le visiteur.
Portrait de Ferdy

En tant que produit culturel manufacturé, nous avons aussi le pouvoir de modifier la vision et la perception de l'héritage, d'ajouter ou de retrancher des ingrédients dont nous n'avons pas l'usage, et d'adapter la recette à notre goût, quitte à en bouleverser l'équilibre et l'aspect.

Quant à l'image, très pertinente, du seul exposant/visiteur de l'exposition coloniale, elle devrait m'inviter à une plus grande modestie. J'en apprécie le réalisme plutôt désabusé qui en fait aussi tout le charme, HumbleP.