Dans le pétrin

Publié par Ferdy le 03.11.2011
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Profitant d'une insomnie qui ne paraît pas décidée à me lâcher de si tôt, je me dis que j'ai de la chance. C'est un constat un peu sommaire, j'en conviens. Mais, disons que la situation pourrait être pire, largement pire. 

En écoutant les infos au milieu de la nuit, la situation ne semble guère réjouissante. L'Union européenne, qui se résume pour le moment au duo franco-allemand, annonce que l'aide financière accordée au plan de sauvetage de la Grèce est suspendue jusqu'à l'issue du référendum qui devrait avoir lieu le mois prochain. En vain, j'appelle mon imagination au secours. Car s'il y a bien un sujet auquel je ne veux rien comprendre, c'est leur crise. Effacement d'une partie de la dette, renflouement des banques et sortie de l'euro, j'ai beau tenter de faire mine de m'intéresser mollement à ce problème majeur qui menace l'équilibre mondial, je dois bien avouer que ce n'est pas ce qui m'empêche de dormir.

En fait, hier soir, je me suis couché de bonne heure. Et quand j'écris de bonne heure, ce n'est pas pour me la jouer A la recherche du temps perdu, la seule première phrase que connaissent encore les candidats au baccalauréat, mais juste un peu après le début du téléfilm de Josée Dayan, sur France 2. Il n'était pas 21 heures. Alors, évidemment, dans ces conditions, il ne saurait non plus être véritablement question d'insomnie, puisque j'ai dormi peut-être ce que dort un homme de mon âge, par exemple, un boulanger qui retourne vers le pétrin. Il en existe encore.

Aussi, entre la crise financière qui agite la planète et le paisible pétrin qui se remet en route, mon existence au milieu s'illustre par tout ce qu'elle a d'ordinaire. D'ailleurs, ce réveil au milieu de la nuit était en quelque sorte programmé, attendu, prévisible. En effet, si j'avais bien préparé mon petit cachet qui prétend me maintenir en vie, il était resté dans sa petite soucoupe de porcelaine (même malade, je m'en tiens à une vaisselle fine), attendant que je fasse un geste en sa direction. C'est ainsi qu'à mon réveil, j'avais eu sinon le plaisir, du moins la surprise de voir que mon attention charitable, anticipant l'oubli, me rappelait à une stricte observance de carmélite. Et j'avalais mon comprimé avant de vaquer à toute autre occupation, avec le sentiment de la mission accomplie. C'est bien de penser à soi, surtout lorsqu'il n'y a personne d'autre que soi pour vous le rappeler ou vous y contraindre. Serait-ce encore une forme de liberté, la contrainte à toute heure ?

Que se serait-il passé si je l'avais totalement négligé ? rien probablement, mais par la suite, si je m'en étais souvenu dans la journée, j'en aurai peut-être éprouvé une petite culpabilité, une certaine gêne. A l'idée d'être passé à côté d'un médicament gracieusement offert par la sécurité sociale, prescrit par mon médecin qui a toutes les raisons de me faire confiance, car je suis un type assez bizarre mais qui se maintient bon an mal an au seuil d'une charge virale indétectable, qu'à la fin je ne sais plus si je respecte mon protocole pour mon seul bien-être ou pour lui être agréable, enfin, la chose est actuellement en train de se dissoudre dans mon corps.

Hier après-midi, en croisant mon visage émacié dans le miroir et faisant une grimace, puis tirant sur la peau autour des joues, j'ai pensé qu'il serait temps de passer par une cure de New Fill. Ça sent le creux là-dedans. Je m'y suis tellement habitué maintenant à cette tête de rescapé, j'aurais tendance à considérer ça comme un moindre mal, une fatalité peu flatteuse mais banale. On aurait tort cependant de se laisser aller, même si cette intervention m'a-t-on dit n'offre des bénéfices visibles que provisoires.

C'est la seule chose à notre portée, les médocs, le New Fill, parfois du Clinutren HP, des jeans un peu larges pour ne pas laisser apparaître la disparition des fesses, des cuisses, du reste. Mourir un jour, peut-être, mais en pleines formes. Faut pas rêver non plus. Je dois être le seul dans mon entourage à ne pas m'être aperçu que j'avais un aspect décharné, et ma consommation de cigarettes n'aide pas à la préservation d'une peau étincelante. Ce n'est pas que je m'en désintéresse, mais il n'existe aucun cosmétique pour régénérer cette usure (à mon âge, je ne saurai dire précoce mais disons) accélérée.

J'en reviens à notre G-20. Cannes 2011. J'ai signé dans la nuit la dernière pétition du mouvement Avaaz.org réclamant le départ des sponsors bancaires de cette petite réunion entre amis, et l'ouverture du débat aux citoyens interdits de Croisette. Sans trop d'illusion. Pourtant, je ne peux m'empêcher de faire le parallèle, si l'économie mondiale s'écroule (version Sarkozy, la semaine dernière, sauveur d'on ne sait quoi), qu'elle s'écroule. A quoi bon lui apporter une rustine. Le Premier ministre grec s'en remet à la sagesse populaire, à la démocratie, à travers ce référendum. L'humiliation des peuples, contraints à la misère (un autre nom pour les plans d'austérité), face à l'arrogante puissance des établissements bancaires soutenus par nos gouvernements et le FMI. 

Si préserver la zone euro, c'est tenter d'afficher une bonne tenue de façade, lorsque tout le corps (le peuple) se trouve dépossédé de ses espoirs, de ses aspirations légitimes à un meilleur partage des ressources liées à son travail et à ses connaissances, autant tirer un trait sur cette illusion démocratique. 

La dictature de la finance mondiale, franchement, j'ai pas envie.

Bonne journée.