La pensée éparpillée par la toile

Publié par saraconor le 28.04.2009
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"Dave, arrête. Arrête, s'il te plaît. Arrête Dave. Vas-tu t'arrêter, Dave ?" Ainsi le super-ordinateur HAL suppliait l'implacable astronaute Dave Bowman dans une scène célèbre et singulièrement poignante à la fin du film de Stanley Kubrick 2001, l'odyssée de l'espace. Bowman, qui avait failli être envoyé à la mort, au fin fond de l'espace, par la machine détraquée, est en train de déconnecter calmement et froidement les circuits mémoires qui contrôlent son "cerveau" électronique. "Dave, mon esprit est en train de disparaître", dit HAL, désespérément. "Je le sens. Je le sens."

Moi aussi, je le sens. Ces dernières années, j'ai eu la désagréable impression que quelqu'un, ou quelque chose, bricolait mon cerveau, en reconnectait les circuits neuronaux, reprogrammait ma mémoire. Mon esprit ne disparaît pas, je n'irai pas jusque là, mais il est en train de changer. Je ne pense plus de la même façon qu'avant. C'est quand je lis que ça devient le plus flagrant. Auparavant, me plonger dans un livre ou dans un long article ne me posait aucun problème. Mon esprit était happé par la narration ou par la construction de l'argumentation, et je passais des heures à me laisser porter par de longs morceaux de prose. Ce n'est plus que rarement le cas. Désormais, ma concentration commence à s'effilocher au bout de deux ou trois pages. Je m'agite, je perds le fil, je cherche autre chose à faire. J'ai l'impression d'être toujours en train de forcer mon cerveau rétif à revenir au texte. La lecture profonde, qui était auparavant naturelle, est devenue une lutte.

Bruce Friedman, qui bloggue régulièrement sur l'utilisation des ordinateurs en médecine, décrit également la façon dont Internet a transformé ses habitudes intellectuelles. "J'ai désormais perdu presque totalement la capacité de lire et d'absorber un long article, qu'il soit sur le Web ou imprimé", écrivait-il plus tôt cette année. Friedman, un pathologiste qui a longtemps été professeur l'école à de médecine du Michigan, a développé son commentaire lors d'une conversation téléphonique avec moi. Ses pensées, dit-il, ont acquis un style "staccato", à l'image de la façon dont il scanne rapidement de petits passages de texte provenant de multiples sources en ligne. "Je ne peux plus lire Guerre et Paix", admet-il. "J'ai perdu la capacité de le faire. Même un billet de blog de plus de trois ou quatre paragraphes est trop long pour que je l'absorbe. Je l'effleure à peine."../...

Les anecdotes par elles-mêmes ne prouvent pas grand chose. Et nous attendons encore des expériences neurologiques et psychologiques sur le long terme, qui nous fourniraient une image définitive sur la façon dont Internet affecte nos capacités cognitives. Mais une étude publiée récemment (.pdf) sur les habitudes de recherches en ligne, conduite par des spécialistes de l'université de Londres, suggère ../...

"Il est évident que les utilisateurs ne lisent pas en ligne dans le sens traditionnel. En effet, des signes montrent que de nouvelles formes de "lecture" apparaissent lorsque les utilisateurs "super-naviguent" horizontalement de par les titres, les contenus des pages et les résumés pour parvenir à des résultats rapides. Il semblerait presque qu'ils vont en ligne pour éviter de lire de manière traditionnelle."

En 1882, Friedrich Nietzsche acheta une machine à écrire, une "Malling-Hansen Writing Ball" pour être précis. Sa vue était en train de baisser, et rester concentré longtemps sur une page était devenu exténuant et douloureux, source de maux de têtes fréquents et douloureux. Il fut forcé de moins écrire, et il eut peur de bientôt devoir abandonner. La machine à écrire l'a sauvé, au moins pour un temps. Une fois qu'il eut maîtrisé la frappe, il fut capable d'écrire les yeux fermés, utilisant uniquement le bout de ses doigts. Les mots pouvaient de nouveau couler de son esprit à la page.

Mais la machine eut un effet plus subtil sur son travail. Un des amis de Nietzsche, un compositeur, remarqua un changement dans son style d'écriture. Sa prose, déjà laconique, devint encore plus concise, plus télégraphique. "Peut-être que, grâce à ce nouvel instrument, tu vas même obtenir un nouveau langage", lui écrivit cet ami dans une lettre, notant que dans son propre travail ses "pensées sur la musique et le langage dépendaient souvent de la qualité de son stylo et du papier".
"Tu as raison", répondit Nietzsche , "nos outils d'écriture participent à l'éclosion de nos pensées". Sous l'emprise de la machine, écrit le spécialiste allemand des médias Friedrich A. Kittler, la prose de Nietzsche "est passée des arguments aux aphorismes, des pensées aux jeux de mots, de la rhétorique au style télégraphique".

http://www.internetactu.net/2009/01/23/nicolas-carr-est-ce-que-google-nous-rend-idiot/

Commentaires

Portrait de micheltlse

Ou l'étions-nous déjà avant ?

Sept ans après avoir acheté sa machine à écrire, Nietsche sombrait donc dans la folie...

Entre la Tour et le fou, il est vrai que ni ma raison, ni mon coeur ne balance.

Merci saraconor, en tous cas, pour l'illustration d'une mutation de ces fameuses "structures mentales" et la description éclairante de différentes formes d'expression qui "cohabitent" toujours sur "notre" site : arguments, aphorismes, pensées et jeux de mots, rhétoriques et style télégraphique, sans compter les formes tout récemment inventées par certains...

Resterait maintenant à disserter sur la compréhension "entoilée"...

Au fait, ôtes-moi d'un doute, Nietsche et sa folie, c'était la syphilis ou la machine à écrire ?

Biz

Portrait de nathan

Si la contestation du dogme catholique (par les Hussites par exemple, 1414-1430) existait bien avant l'invention de l'imprimerie par Gutenberg (1466), c'est bien l'imprimerie qui permit la diffusion de la contestation du dogme catholique et des idées réformistes (excommunication de Luther, 1521) jusqu'à scinder la chrétienté catholique romaine en deux.
Portrait de Osmin

ton blog fort intéressant par ailleurs ! Et pourtant beaucoup plus court que les interventions de Ecceomo ou Kaaphar sur le forum Caisse de solidarité qui a eu raison de mes capacités et auquel j'ai réagi avec les conséquences d'une volée de bois vert de la part de 2 séronautes totalement Hors Sujet ! (mais c'est une autre histoire!)

Bon à part ça était-il vraiment indispensable de citer la marque de la machine à écrire de Nietzsche ? Penses-tu vraiment que s'il avait tapé sur une Remington portative en fumant des gauloises comme Serge Gainsbourg il aurait accouché de " ElaeudanslatéItéIA " au lieu de

" Also sprach Zarathoustra !" et ainsi la musique d'ouverture du film de Kubrick eut été tout autre ! Car Richard Strauss....

J'imagine le vide intersidéral avec en fond sonore la chanson Gainsbourg !!! Tu me donnes envie d'essayer !

Et c'est ainsi que Buddha est grand ! 

Portrait de saraconor

http://www.ammppu.org/litterature/nietzsche/syndr_nietzsche.htm

personnellement je n'ai toujours aps réussi à me faire une idée tranchée.

Portrait de Osmin

à la question de Michel ni à la mienne ! Et heureusement que tu es sur ton blog sinon tu aurais déjà été censurée par cette chère Sophie pour Hors Sujet. Puisque le sujet que tu nous a proposé était le lien entre l'outil utilisé et le développement de la pensée !

Je peux t'apporter un témoignage quasi inverse pour ce qui est de la lecture de livres

car je suis venu à l'utilisation personnelle et domestique de l'ordinateur et d'internet

que très tard. Au début de cette année donc 58 ans passé ! En revanche j'ai connu des périodes d'incapacité de concentration suffisante pour la lecture d'un livre dans des périodes de traitements pour différentes affections. Ces difficultés étaient plutôt le résultat d'une fatigue de mon organisme. A une période (près d'un an) je ne pouvais ni lire , ni écouter de musique, ni regarder la télé) donc pas d'ordinateur en vue non plus ! 

Actuellement je suis dans une phase que je qualifierais d'apprentissage et donc je passe plus de temps à lire sur l'écran et à écrire en même temps ce qui est trés nou-

eau pour moi et c'est le temps qui me manque pour lire des livres. Mais je suis impatient d'y retourner à la lecture de livres ! Je verrais si je peux m'y absorber autant qu'auparavant. Il me semble qu'on attribue un peu trop vite une cause et une seule à une évolution qui est due à de multiples facteurs : prise de médicaments,

état mental et on l'oublie trop souvent vieillissement ! 

Jakob Le cHAT du Rabbin + RFTJ 

Portrait de domilito

      @+  Be zoo  ompeuti Fushia Raleurs   Salu Sara Mychel Nathan Osmin et...       vAIMENT SUPER SUJET!!!  Mais je n'ai pas toute cette kulture & pour moi,poster ces 2 lignes avek 2 doigts,VREMEN,c long & ch...!!!   Cecy dy 1 new language n'est ny FORCE & ment creatyf ny le myen ne se poze en 1 + de KOMPREHENçYON!!! c JUST 1 "manyere" de m'exprymer!!!   Cecy etan dy, MERCY poor Eux!!!