L,arrivée de l,ennuie sur la terre ....

Publié par jl06 le 15.07.2018
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Pas de sexe, merci : les nouveaux rapports platoniques

A l’heure où les relations amoureuses balancent entre réel et virtuel, Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale », nous invite à reconsidérer le périmètre de nos sexualités. Et d’y inclure ces pratiques ou pensées platoniques zèbrant nos quotidiens.

M le magazine du Monde | 15.07.2018 à 06h35 |Par Maïa Mazaurette

 A en croire les oiseaux de mauvais augure, nous serions toutes et tous devenus des obsédés sexuels, errant dans une société sur-sexuée, condamnés à ne penser qu’à « ça ». Très bien. Mais pendant que nous rejouons le mur des lamentations, les relations platoniques non seulement subsistent, mais prolifèrent, sous des formes anciennes et modernes.

La première population concernée est évidemment celle des asexuels : dans cette catégorie, qui rassemblerait tout de même 1 % des Français, on ne ressent jamais de désir envers quiconque. Ce qui ne signifie pas qu’on n’ait pas envie de belles histoires d’amour (dans le cas contraire, on serait aromantique), ou qu’on ne connaisse aucune libido (les asexuels ont droit à la masturbation comme tout le monde). Les asexuels ont leurs sites de rencontre, leurs relations, leurs trajectoires… mais platoniques. C’est donc non seulement possible, mais plus acceptable que par le passé.

Viennent ensuite les couples non-asexuels ayant glissé sur la peau de banane du long-terme. Il existe des mariages sans sexe, parmi lesquels on peut inclure les mariages « presque » sans sexe : les chiffres varient selon les études, mais tournent autour de 15 % à 20 % d’unions concernées. Cette situation est rarement volontaire. On évoque l’ennui, la lassitude, la mauvaise entente, les dysfonctions éventuellement liées à l’âge, la maladie, les médicaments… Ou le report de l’intérêt pour le sexe sur des partenaires extraconjugaux.

Platonisme sur la durée ou pour un temps

D’autres choisissent de jeter l’éponge pour des raisons personnelles, pragmatiques, religieuses. Parce que ça ne les intéresse pas, ou plus, ou pas pour le moment. La plupart des groupes passeront par des étapes platoniques autour des périodes de grossesse, et s’en remettront (pire encore, ils se reproduiront !). Sans même parler des moments de séparation, plus ou moins prolongés, ponctués de rapports intermédiaires mi-virtuels mi-réels, allant du sexto érotique à l’amour via webcam.

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A cela, nous devons également ajouter les amours logistiquement irréalisables. Selon une récente étude Zava sur les « parcours sexuels »62 % des sondés ont connu leurs premiers émois en fantasmant sur un acteur ou une actrice, tandis que 9 % ont fondu pour un personnage de dessin animé. Ce dont on pourrait déduire que sauf énorme coup de chance lors du Festival de Cannes, nous commençons quasiment tous notre vie érotique via des relations platoniques – chanteurs, athlètes, profs, héros de romans, mannequins.

La tendance ne risque pas de ralentir, puisqu’à l’ère des fanfictions, nous pouvons nous plonger dans ces amours sur la durée ! Et via les jeux de rôles, nous pouvons nous-mêmes devenir d’inaccessibles objets du désir, pour mieux jouir du haut de notre piédestal.

Pas question d’en rester aux premiers soupirs ? D’accord. Parmi les rapports platoniques non seulement choisis mais préféréscitons les rapports BDSM sans pénétrations ni contacts, les flirts, les coups de cœur sans lendemain, ou les aventures impossibles dans le milieu professionnel. La frustration peut alors se transformer en alliée, qui pimente le couple sans le menacer.

L’« orbiting », ou le désir mis sur orbite

Certaines relations sont d’ailleurs vouées à l’évitement d’une sexualité charnelle, et de manière assumée. C’est le cas des infidélités émotionnelles. On expliquera ainsi certaines statistiques du site de rencontres extraconjugales Gleeden : quatre femmes sur dix se contentent volontiers de relations virtuelles pour briser leur routine (mais seulement 14 % des hommes). Une sur quatre ne compte absolument pas passer à l’acte. Et une sur cinq s’est inscrite seulement pour discuter.

Ce retour en grâce des relations distanciées télescope la pratique de l’« orbiting », un néologisme décrivant la mise en orbite de la personne désirée dont on suit virtuellement les tribulations, en se faisant remarquercomme spectateur ou en la suivant sur les réseaux sociaux. Mais sans jamais passer au contact réel.

Les relations platoniques peuvent aussi être choisies par arrogance ou par ennui. Selon une étude Yougov/Happn, 39 % des Français draguent pour le plaisir, ou pour jouer. Et 6 % considèrent la séduction comme un loisir (en attendant le championnat du monde ?). Une personne sur cinq flirte volontiers pour tester son pouvoir d’attraction, et une personne sur dix pour flatter son ego. Toujours selon cette enquête, 22 % d’entre nous seraient même capables de draguer une personne qui ne leur plaît pas !

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Ce mélange des genres se retrouve dans les rapports purement amicaux entre hommes et femmes : au royaume des relations désintéressées, les zones de trouble affleurent. Les hommes, d’ailleurs, ont plus tendance à être attirés par leurs amies femmes, que les femmes par leurs amis hommes.

Enfin, une part croissante de nos vies sentimentales ou sexuelles esquive le face-à-face : non seulement nous trouvons nos amants en ligne, mais même quand nous les rencontrons à des soirées, nous les recontactons d’abord virtuellement – du coup, nous commençons à flirter bien avant le premier rendez-vous officiel.

Quand virtuel et réel se confondent

Selon une étude portant sur 1 500 célibataires britanniques, la moitié des sondés n’ont jamais demandé de rendez-vous de visu, de même que la moitié n’ont jamais quitté quelqu’un « en direct » ! Cet évitement des rapports IRL (« in real life ») provoque un glissement de ce que nous appelons un rapport platonique.

Ainsi, la moitié des étudiants américains estiment que « s’attacher émotionnellement » à quelqu’un relève de l’infidélité, de même que s’asseoir sur ses genoux. Pour plus d’un tiers, se raconter des secrets, c’est déjà tromper !

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A ce titre, de même que nous abandonnons progressivement les concepts de réel et virtuel, il sera bientôt absurde de séparer relations platoniques et relations charnelles – les deux s’interpénètrent volontiers. Si une femme se masturbe avec une courgette bio en pensant à son comptable, est-ce vraiment virtuel ? Bof.

Par ailleurs, en réincorporant dans le champ du désir « légitime » toutes ces sexualités parallèles, on limiterait les frustrations. Plus nous incorporons de possibilités platoniques à notre perception de la sexualité, plus nous étendons notre terrain de jeu : nous sortons d’une vision limitante et étroite de ce qui constitue un acte sexuel, pour y intégrer plus de fluidité… et plus de partenaires. Le platonique et l’érotique font l’amour, pas la guerre !