Mardi 3 mars

Publié par moajdi le 03.03.2009
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Mais vous ai-je parlé de moi ?

 

J’ai bien dû, ça et là, vous ouvrir quelques trappes sur un le lent courant de ma mémoire... quelques meurtrières sur le fatras carné qui me supporte, que j’anime... quelques jalousies sur ceux que j’estime ou dont je déplore l’être...

 

Soyons rationnels, usons de l’ordre pour transmettre ce qui est voué à l’oubli, utilisons la causalité pour faire revivre l’illusion, mesurons-nous au temps pour rendre intelligible le chemin, procédons par étapes.

 

7 janvier 1966, à 5 heures 55 du matin, je commis mon premier suicide : je naquis. D’autres se sont chargés de l’espoir de me voir jouir de l’existence, et, débile nourrisson, je ne pus leur opposer que ma volonté, ma matière leur appartenant. J’ai été reconnu comme part de cette race éternelle dans sa quête qui s’appelle « homme », rendu indifférent par le cocon dont j’étais nanti à cette communauté que la peur cimente bien plus que l’espoir et qui ne perdure que par l’inertie des autres.

 

Je grandis donc, chemin dont tous se souviennent assez pour en imposer la logique, quoique suffisamment peu pour chercher à en retrouver le courage aux portes du trépas. Ceux en charge de mon éducation firent preuve de conscience, réfléchissant à mes besoins futurs ou agissant par atavisme, n’essayant de ne me livrer que le plus digne, ne percevant pas qu’ils ne me transmettaient ainsi que les murs les plus infranchissables de leurs prisons : leurs rêves. J’appris de ces moments là la valeur de la règle grâce à un tapis (en sortir était interdit, la réprimande immédiate) ; dans leur rationalité il oublièrent que tous les tapis sont volants, celui-ci en prime étant docile. Je le revois parfois, il servit la même règle au profit de la génération suivante (neveux et nièces), et semble vouloir continuer son chemin au travers du temps...

 

Des rayons d’une bibliothèque soigneusement épurée, je tombais tôt sur le Te, et sur l’approche du Tao, sur le vide exprimé avec grâce, sur l’ineffable fait de boue. Avais-je les moyens de l’analyser ? Qu’importe, puisque j’avais l’âge de me les concilier. Leur règle me séduit encore...

 

Puis vint ce moment où l’on s’essaye à dire « je ». Celui-là ne m’intéressait pas, trop futile, trop indéfini, trop esclave d’endorphines, trop adepte de Cronos. Je m’y accoutumais donc, face aux pires ennemis : les autres supputés issus de la solitude ; à l’aide des plus improbables alliés : mes géniteurs. Le monde déjà ne se limitait qu’à quelques uns.

 

J’y reçu en récompense des épreuves franchies les diktats de la sagesse commune, qui consiste à condamner ce que l’on ne peut affronter. Mon dégoût vient de là. « Point d’excès, une vie réglée, un esprit sain dans un corps sain, tu seras un homme... ». Lorsque, candide, je demandais aux « grands » qui me transmettaient ainsi leur idéaux le récit des expériences qui leur permettait de trancher ; la réponse invariable fut « je l’ai pas fait, mais c’est connu ! ». Les mêmes usent de trémolos vocaux lorsqu’il parlent de « liberté , gloire, raison... » et autres gros mots. Panurge...

 

L’heure était encore trop matinale pour laissait fleurir le venin de l’expérience, je vivais avec mes parents, et l’apparence de ma conformation à l’ordre établi était volontairement conçu pour ne pas leur nuire. Leur malheur voulu qu’ils crurent à cette image. J’y tentais quelques expériences « border line », m’ingéniant à respecter ce cadeau que me fit Môman le jour où elle prononça devant moi « il n’est pas interdit de faire, il est interdit de se faire prendre. » Mal lui en prit, j’acquis grâce à cela mon existence propre.

 

Puis soudain, 17 ans, le bac, la voie toute tracée, le départ, 3000 kilomètres plus loin...
Je rongeais encore quelque peu mon frein ; le virage débutait.

 

Deuxième suicide : « Soit heureuse ma mère, toutes les femmes ont des problèmes avec leurs belles-filles, tu n’auras que des gendres » ; elle ne le fut pas. Certaine de sa possession, elle me reprochât de la blesser dans sa chair, je lui rappelai que mon devoir d’honnêteté me venait d’elle... passons.

 

Quelques temps plus tard, la capitale... le chaos... j’avais officiellement vautré mes études, raccourci les études que d’autres voulaient pour moi. Que m’importaient les choses de l’esprit puisque je voulais caresser le bois... Pôpa était à juste titre fier de participer à de grandes réalisations (barrages, mines, usines) et souhaitais que fiston poursuivre l’œuvre... alors, faire des chaises, c’est un peu mince. Et pourtant, tant que l’homme sera homme, il aura besoin de s’asseoir.

 

Le corps, trop longtemps maintenu dans les rais de l’esprit, voulu à ce moment sa revanche : je plongeais dans le tourbillon des sensations. Sexe, drogues, vie trépidante, les semaines en apesanteur, les week-end qui débutent le mercredi, les fêtes qui s’enchaînent comme les ivresses, l’absence de raisons, le déni du raisonnable... Je restais jalousement à l’intérieur des limites que je m’étais fixées : entre adultes consentants, rien d’invasif, blanc pour noir, équilibre...

 

Survint l’impromptu : une curieuse molécule, à peine quelques atomes, transportant une information qui faisaient trembler une humanité trop sûre de son pouvoir sur la nature, qui ne prenait qu’à corps défendant la conscience de son asservissement au monde qui l’entourait. Je l’adoptais. Je l’intégrais. Lui fit une place dans mon moi, la choyais, la bichonnais...

 

Rien ne changea dans le cyclone de ma vie des ces années-là, je voulais tout goûter, tout tester, tout essayer. L’heure des choix viendrait plus tard. Certes, l’on me présentait ma mort comme inéluctablement prochaine, noircissant un tableau que les médias servaient déjà comme sombre, le virus passant du statut de maladie honteuse à celui de fléau. Mais n’ayant ni espéré un jour être immortel, ni encore atteint l’état de paix nécessaire au dernier passage, je ne les crus pas. Je ne dus pas être le seul, il est dans ces lieux d’autres « dinosaures ». J’employais mon énergie à être « cobaye », signant et re-signant des protocoles d’essais thérapeutiques, afin que ce malaise qui me rongeait cesse d’être un piège pour autrui.

Commentaires

Portrait de Osmin

Lorsque tu évoques Cronos il s'agit bien du Dieu grec aux pensers fourbes qui prit en haine son père Ouranos et lui coupa les bourses. Car souvent il est confondu avec Chronos , divinité du temps plus tardive ! Cronos ou Kronos tu le sais sans doute est l'équivalent de Saturne chez les romains ! Jakob/Osmin
Portrait de moajdi

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