Mon corps m'aurait-il trahi ?

Publié par Ferdy le 23.01.2010
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Je regardais un bout de mon corps tout à l'heure, les membres inférieurs pour parler sérieux, et ça m'a paru grave, de pauvres jambes en pleine déliquescence, moches, à la peau sèche, au muscle rare, je me suis dit : mon coco, ne t'étonne pas si on ne se retourne plus sur toi, comme avant,

regarde-moi ça, et en plus les pieds sont gelés, on dirait un cadavre en devenir, je me suis dit, j'ai vu le cadavre que j'allais être ou devenir, j'imaginais le bracelet que l'on place parfois au mollet du défunt, je voyais ça, avec une certaine tranquillité, comment concilier un désir d'amour avec un corps en péril ? je me demandais, je me suis alors posé la question de savoir si on pouvait encore m'aimer pour ce que je suis, mais alors ce que je suis n'est plus qu'une abstraction irréelle, un rêve de moi rêvé, je me disais, autrefois tu étais encore pas trop mal, là tu fais moche, on dirait un cadavre, enfin presque, l'odeur en moins, tu portes non plus seulement les stigmates de tes chutes à vélo, dont on perçoit très nettement les cicatrices bleuâtres, non, tu as chuté, pour de bon, si quelqu'un ou quelque chose peut encore t'apprécier ce sera, avec précaution, et sans emphase, pour ce que tu es, et je me pose donc la question de savoir qui je suis, rien : personne, un insignifiant insignifié, si seulement j'avais vieilli, si je m'étais offert ce luxe extravagant de seulement vieillir, non, il a fallu que ça accélère le mouvement, et qu'à la place de jambes normalement constituées (et possiblement désirables), mon corps avait réussi à modeler un avatar dont moi-même aurait rechigné à dormir avec, et pourtant il le faut bien, donc je regarde ça, et je me dis, c'est pas terrible, (mais ça ne sera pas mieux demain, à moins d'une révolution exceptionnelle dans le domaine de la chirurgie plastique, il semblerait qu'il y ait tout à refaire) ;

 

sans autre complaisance, je voyais mon corps mort, c'est une sensation assez étrange, mais il suffirait de si peu pour passer de la vie au trépas, je voyais cette fragilité encore active, grouillante, inutilement occupée à maintenir ce presque rien, dès lors que l'esthétique n'y est plus primordiale, seulement besogneuse et subalterne, attachée à maintenir des fonctions assez dérisoires mais encore essentielles, comme par exemple se mouvoir et occuper un jean ;

 

je revoyais, probablement, ce corps que j'avais pu occuper autrefois, presque sportif si l'on considère toutes les disciplines auxquelles je me suis dédié, dans un temps qui me paraît aussi révolu que l'existence des dinosaures, et je regardais ces pauvres cuisses en forme de baguette parisienne, (dans le meilleur des cas), et je me disais, comme ça, à part toi, mon coco, je ne vois pas qui pourrait s'intéresser à ce désastre.

 

Commentaires

Portrait de maya

je vis avec un Homme qui a ton age, qui est rongé par les lypoatrophies, il pèse moins de 50 kg pour 1.75m

à coté moi qui ne suis pourtant pas une force de la nature je fais bien portante. 

je l'aime d'autant plus fort pour tout ça, pour ses marques qui sont le reflet d'une vie, d'une époque, de traumatismes générationnels,  ça provoque en moi un tel sentiment de fraternité solidaire que l'amour n'est jamais loin. (amour au sens noble)

et cet état la il est à chaque fois que je vois un homme ou une femme dans ce cas de figure. 

donc mon coco, SI moi qui n'ait rien d' exceptionnel ai cette réaction

  d'autres aussi non ? 

bien à toi, 

Portrait de Ferdy

On perçoit dans ton commentaire un tel amour, dégagé des diktats esthétiques les plus courants, les plus banals, à l'égard de cet homme que tu aimes, c'est-à-dire dans une histoire déjà bien inscrite, et aussi, ce qui est plus rare à l'égard de celles et ceux qui ont à se coltiner un physique incertain, au hasard des rencontres dans une réelle empathie, 

mon complexe vient d'un constat un rien complaisant, sorti tout récemment d'un pénible deuil, je m'étais durant plus de deux ans prémuni de tout désir, considérant qu'il était désormais trop tard, mais évidemment Cupidon est venu frapper à ma porte, avec beaucoup de courtoisie et de curiosité, et c'est alors que j'ai réalisé l'étendue de mes négligences, volontaires ou involontaires, j'en suis à un stade où il est encore possible, me semble-t-il de réagir, sans aller jusqu'à la salle de gym, mais en tentant de réintégrer ce corps, l'occuper au moins formellement avec un peu plus d'assurance, non pas tant pour attiser la convoitise seulement charnelle, mais surtout pour tenter d'offrir à un possible autre une image moins ratatinée du péril qui me guette ;

enfin, il est vrai, et cette expérience sensorielle n'avait rien d'une anecdote de fin de banquet, que je me suis vu figuré en mort potentiel, ce n'était ni angoissant, ni contrarié par un narcissisme toujours en veille, ma peau dont je devinais l'ossature sous une masse musculaire dérisoire, et les pieds gelés (en raison d'une neuropathie périphérique assez pernicieuse), je pensais à ce désir resté intact à l'égard de la beauté physique, et je ne me voyais pas d'imposer une image aussi frêle à propos de laquelle j'aurais possiblement du mal à soutenir un désir, sur des bases aussi fragiles ;

je sais, ou crois deviner que ton message n'était pas simplement un témoignage de soutien sincère, il s'accompagne d'une tendresse que je ne m'accorde pas, et je dois bien accepter que je ne suis pas qu'une tête, à l'occasion pensante et occupée à des considérations mineures mais essentielles, mais un tout forfaitaire, liant corps et esprit dans une même petite dynamique, modeste, ambitieuse, pleine de contradictions qui veut encore me laisser croire et espérer...

bien à toi, bien à vous, F.

Portrait de Osmin

 Moi je vis avec un homme qui a dix ans de plus que toi, il est tombé en Sida il y a 15 ans

 il en a bavé des ronds de chapeaux, donné pour mort en 1996, Kaposi, tuberculose , pneumocystose j't'en passe et des meilleures (wouarrff) en 1998 désespéré, et n'ayant toujours pas fait le deuil de l'homme de sa vie, parti beaucoup trop tôt dix ans auparavant, il a tenté de mettre fin à ses jours,et c'est là qu'est entré dans sa vie un nouvel ange (enfin c'est comme ça qu'i lle perçut) un garçon au sourire désarmant, et il reprit peu à peu goût à la vie, jusqu'à ce que les chimiothérapies salvatrices apportent leur "cadeau retour" dégradant, l'insuffisance cardiaque, qui faillit lui être fatale, cela conjugué à des polypes intestinaux infernaux qui le dégradèrent jusqu'à ressembler à un rescapé d'Auschwitz, il n'osait même plus se regarder dans la glace, et pourtant près de cinq plus tard cet homme que je n'arrive pas à véritablement aimer et pourtant j'en prends soin quotidiennement, a repris forme humaine, récupéré petit à petit ses muscles atrophiés, son cheveu devenu rare a même décidé de lui offrir une nouvelle "moisson" certes un peu plus blanche,

et cet homme que parfois je hais, c'est lui,

là dans le miroir en face de...

moi

Portrait de Ferdy

que je n'avais pas ouvert un forum très réjouissant, je vous prie de bien vouloir m'en excuser, Osmin même dans la douleur il y a cette pointe d'ironie et d'intelligence qui caractérise ton propos, en fait, j'en ai chialé pendant un moment, c'est si rare, je ne viens pas ici pour pérorer ou seulement raconter des histoires viscontiennes, hors d'usage, je tente de m'approprier une vie qui s'échappe, s'évapore, sans en rajouter sur un pathos mêlé de détresse et d'abandon, ce que tu évoques me bouleverse pour de multiples raisons, n'y revenons pas, il est certain que ma date anniversaire qui approche me plombe, comme elle m'a si longtemps plombé, je fais un constat d'échec assorti de petites joies somme toute encore tangibles, mais l'état du désastre, lui, ne peut se résumer en ces quelques mots, toujours aussi maladroits, souvent puérils, j'avance sans désir d'avenir (cf. S. Royal), heureusement, je perçois la dérision de mes propos, face à la réalité de corps réellement souffrants, j'en ai connu, j'en connais, j'avance peut-être en regardant dans le rétroviseur, serait-ce la solitude (dont je parle ailleurs ?), un manque de confiance, la maladie ne saurait tout justifier, et ce corps en jachère pourra sans doute un jour se relever, kisifrotsipik avait, me semble-t-il, assez bien exprimé ce désarroi que l'on éprouve comme après avoir vécu un désastre, nous ne serons jamais les mêmes, quel que soit le sentiment de mieux-être, ou comme le disait différemment Guy Debord, on ne s'en sortira pas vivants, je me maintiens dans un parcours, toujours semé d'embûches, et pourtant encore relativement épargné, avec ce sentiment grave, profond, essentiel d'avoir tout râté, dès le début, sans m'apitoyer comme un crétin sur ce qui n'aurait pas marché et dont je serai, a priori, responsable à plus d'un titre, je claudique vaillamment dans une telle incertitude que c'en est risible,

tu vois comme j'ai bifurqué de l'origine (médicale et psy) à une considération égocentrique, centrifufe ou centripète, mais dans le même inconfort,

merci d'y avoir contribué, même si j'ai dû sécher quelques larmes...

Portrait de Osmin

 allons rangez vos mouchoirs !  ce n'est que le reflet de quelques mots sur un écran

qui "écrane" au lieu d'encadrer une pensée déliquescente...

1 des amis de Dorothy !

Portrait de Ferdy

Caro Osmin, ton post (23/01 - 18:14) m'avait ému et je me laisse 99999parfois aller à une sensiblerie exacerbée, cela n'enlève rien à la portée de ton récit qui n'attend aucun regret, je suis tellement plus curieux de ce qui nous rapproche de ce qui nous sépare, et ce petit forum en devenir se maintient dans une humanité digne, honnête, responsable (bref),

évidemment, le lendemain j'éprouve souvent une certaine honte de m'être laissé aller à des confidences que j'aurais mieux fait de garder pour moi, mais c'est aussi ça la contribution qui se veut anonyme, je ne sais plus quel auteur a ainsi pu dire qu'un courrier n'était valable que dans la minute où il s'écrivait, je souscris à cette précaution, laquelle prend toute son ampleur dans ce rapport immédiat qui nous est donné ; elle devrait aussi m'inciter parfois à plus de prudence ou de pudeur ;

je peux aussi me trouver en désaccord avec moi-même, d'une heure à l'autre, inconstant et fragile !

biz

Portrait de Osmin

 car j'ai plus de plaisir à faire rire, même à mes dépens, qu'à faire pleurer.

Je me rends compte que nous sommes, toi et moi, sur une certaine voisine longueur d'onde. Je te sais gré de ton attention délicate à mon égard.

Délicatesse et attention devenues si rares dans notre monde de brutes, où l'on a plus vite fait d'enfermer dans des cases ou des tiroirs que d'ouvrir ou tenir la porte à qui a des difficultés, parfois passagères, à se mouvoir.

 J'ai parfois, à te lire, l'impression que te répondre ne serait que redonder, ou répondre à moi-même, tant je pourrais peu ou prou signer ce que tu écris.

Me manquent néanmoins le panache et la flamboyance érudite. Et aussi, peut-être, une aisance à se mouvoir dans la description d'un quotidien qui, pour banal, n'en est pas moins signifiant.

Merci, en tout cas pour les occasions que tu m'offres de faire fonctionner mes quelques neurones encore actifs en une gymnastique douce et plaisante.  

Wavelength                                                                                          Michael Snow 

 Parce que c'est toi !

Portrait de Osmin

nip nip nip nip nip nip
Portrait de Ferdy

je suis allé regarder la vidéo de Michael Snow, elle m'a évoqué les travaux de Gary Hill, Thierry Kuntzel (qui fut mon amant, je ne devrais pas le dire mais je le dis quand même), Bill Viola, le travail sur le son, presque insupportable vers la fin, tant les aigus occupent l'image ;

c'est tout à fait le genre de travail que j'apprécie, et je me demande si, au-delà de cette étrange connivence, nous n'aurions pas encore tant d'autres choses en commun, que je suis heureux de partager avec toi ici (je ne me suis pas préoccupé de savoir où tu vis, car je ne cherche pas à faire le tour de France pour rencontrer des gens, en l'ocurrence, des hommes qui me plairaient ; le discours ou la conversation me conviennent infiniment) ; tu m'as trop chargé d'éloges précédemment, je les accepte avec humilité et un rien d'embarras, mais quelqu'un qui s'intéresse à Michael Snow, Purcell et qui raconte des choses qui me parcourent (tant l'esprit que le corps) ne doit pas être à négliger, puisque, comme tu l'écris, il y aurait une sorte de réciprocité à écrire la flamboyance, l'indulgence aussi, la petitesse de nos grandeurs défuntes ;

il n'aura échappé à presque personne que j'apprécie l'écrit, l'écriture et les possibles jeux de mots (cf. cénobites ! ouarf !), je ne sais jamais si je suis sur un blog ou un forum, j'oublie tout, ou plutôt ma distraction s'accompagne d'une incompréhension à l'égard du fonctionnement du site, je vadrouille au hasard et je tombe sur toi, quelque soit l'impudeur à révéler l'origine de cette rencontre ici,

l'origine du blog (puisque je vois que ma bestiole indique le titre du blog en fenêtre) portait sur un sujet dont je me serais bien passé, Mon corps m'aurait-il trahi ?  évidemment on s'éloigne un peu, mais pas tant que ça, la vidéo de Michael Snow souligne un vertige, fait d'abandon et d'un temps d'arrêt subi, la fixité apparente est un leurre, évidemment, puisque le montage nous entraîne vers ce que notre perception est encore capable de suivre, sans crainte ; le corps n'est jamais si loin de cette douloureuse alchimie de contradictions esthétiques, a priori éloignées de nos émotions, mais en plein dedans ;

(soudain, je réalise qu'il me faut faire la sieste, j'avais encore un commentaire qui attendra ce soir ou demain, je faiblis.)

Portrait de Ferdy

Ce matin, je me réjouis d'un témoignage reçu hier.

Je cite Meliah, après lui avoir demandé l'autorisation d'utiliser un extrait de son message privé (je tiens à le préciser) :

        " (...) Notre corps dégradé par tant d'attaques, aussi longtemps, devient moche. Bon ça c'est dit; et alors???? il est aussi le témoin de nos luttes comme nos cicatrices qui racontent notre vie.Par contre nous possédons l'instinct de vie, si fort,qui nous pousse chaque jour à lutter encore et encore.(...)"

Ces cicatrices, que je trouve si belles, par ailleurs, comme celles consécutives à des chutes à vélo et à cheval (un poignet fracturé), mais la vraie vie, celle qu'on se coltine nous propose des stigmates autrement plus redoutables, j'y adhère ; plus je serai envahi par la mémoire d'un corps souffrant, plus j'aurai la conscience d'exister ; vivre ne se peut concevoir que dans dans cette apparente douleur (ou du moins, dans ses traces), je ne suis résigné à rien d'autre qu'à la béatitude : voir encore et encore le soleil briller (ici), et à tenter d'espérer un toujours possible meilleur (improbable) ; exister anéantit la notion de se sentir aboli au motif d'une maladie méchante, redoutable, je suis un corps souffrant qui espère (encore).

Portrait de Osmin

 Même du mal à taper sur les touches pour former ce titre... (juste là au-dessus)...

Aveu pour aveu, c'est le titre de ma prochaine exposition (multi-média), et je n'arrive pas à me mettre sérieusement au travail.

Je dois livrer la bête au mois d'avril prochain.

Et ce n'est pas mon corps qui me trahit, c'est l'autre, là-haut...

Ironie du sort, ce que c'est que de jouer avec le feu... Mens sana, Anima sana, il nous faudrait garder... ben... heureusement qu'on est là tranquilles, peinards sur ton blog, sans personne pour venir zyeuter ou écouter ce dont on cause, qui est en train de tomber dans de l'intime de l'intime.

Je vous intime de vous arrêter... aurait dit l'autre, la boursoufflure... 

Est-ce le corps qui nous a trahi, ou nous (notre esprit, notre raison déraisonnable) qui a failli et marqué notre "corporation" (wouarrf, la Bartholade !) ?

Mon jeu de lettres* favori, ces temps-ci, transformant l'acronymie V.I.H. en Véritable Impulsion Humaine, me semble de plus en plus ne pas être qu'un simple jet de mots (coup de dés).

Tant il est vrai que, pour moi en tout cas, ce Virus (from outer space) n'est pas qu'un

jeu de langue, mais une véritable Incitation vers plus d'Humain. Jeux d'humains mais pas jeux de vilains.

Occupe-toi (mieux) de tes fesses, tu jouiras plus en Homme. Ce corps qu'il me semble avoir trahi, plus qu'il ne m'a trahi, l'aurais-je tant choyé SI la bestiole n'était venu s'y niché.

Et par voie de conséquence, tu la vois venir ? l' Anima Sana, cette impuision vers un mieux humain.

*(Michaël Snow, parle de Letterie -ou laiterie- j'en fis le sujet d'une conférence à Paris 1-moi le non-universitaire-Il y a ...pfoou...30 ans. lors de la projection de "Mon Tricot-Thanx to Wilma Schoen" -jeu de lettres-)

1 des amis de Dorothy !