Soliloques # 2

Publié par Ferdy le 10.09.2009
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Seul au bloc ? deuxième mouvement, pour piano et orchestre. Blog mineur. L'humeur légère d'hier matin a vite été rattrapée par une succession d'associations impromptues qui ont eu raison de ma candeur. L'évocation du deuil m'a ouvert l'appétit. (Tagliatelle carbonara, portion XL, crème et lardons comme s'il en pleuvait, jaune d'oeuf final sur une montagne de pâtes encore fumantes. Il me fallait au moins ça.)

"Un jour, l'empereur travaillait dans son cabinet, lorsque l'impératrice entra (...) Elle se pencha sur l'épaule de son mari. Alexandre compulsait alors un rapport de ses services de police concernant le dossier du comte Alexis de R..., gravement compromis dans un projet de conspiration. L'empereur mettait en marge :

Grâce impossible, envoyer en Sibérie.

La tsarine lui prit la plume et changea tout simplement la virgule :

Grâce, impossible envoyer en Sibérie."

Ce déplacement de ponctuation qui sauve la vie d'un homme, c'est en résumé la dernière conversation téléphonique que j'ai avec Thierry. Vous comprenez, cher lecteur, après avoir bien ri de cette anecdote piochée dans un bouquin qui traînait près de lui, épuisé par cette énième séance de chimio, je lui demande de la relire, le temps pour moi de la noter. Et le lendemain, il tombe dans le coma. Il meurt. Je n'ai pas pu modifier la ponctuation, ni le destin. Thierry disparaît sur une erreur de script. Il n'avait jamais été question de mourir. Dans cet hôpital Beaujon, on ne sait jamais dans quelle chambre on va le retrouver. Il m'appelle deux, trois, quatre fois par jour et à chaque fois, c'est pour me raconter une vanne. Enfin, pour moi, il part dans un éclat de rire. Dans un autre blog, j'essaierai de résumer sa fascination pour le papillon gynandromorphe.

J'ai pris le temps de parcourir, de m'aventurer si j'ose dire, un peu plus avant sur ce site. Evidemment, on y croise pas mal de détresse, des conseils, des conflits, des constats, des sentiments assez exacerbés, des expériences où se côtoient le pire et le meilleur de l'expression de la joie et de la souffrance, de la désillusion aussi. C'est assez difficile de se positionner clairement, parmi tant de témoignages. A vrai dire, j'ai même dû troquer ma grille de lecture habituelle. Par exemple, je ne pensais pas pouvoir éprouver une telle empathie, surtout quand l'auteur(e) écrit en phonétique. C'est plus long à déchiffrer, mais au final le panorama se trouve complété par des aspects insoupçonnés, comme un spectre large, instantané, immédiat, hirsute qui prend ici tout son relief. Putain de saloperie de virus. Ca ne fait pas de moi un membre de quelque communauté que ce soit, un maillon, ça oui, infime détail d'un ensemble qui a ou qui a eu, à un moment ou à un autre de son existence à se fader des interrogations insolubles, aux répercussions quasiment infinies. Enfin, je n'ai pas découvert mon statut sérologique avant-hier. Depuis vingt et un ans que nous nous supportons, l'un l'autre, je me fais l'effet d'un vétéran d'une guerre qui n'en finit pas d'anéantir la planète. Autrefois, j'ai approché Act Up, sans toutefois me résoudre à un seul combat ; plus récemment, je me suis engagé sur des approches assez radicales, artistiques, notamment avec Yann Beauvais, il y a déjà quelques années. Mais sans pouvoir inscrire cette lutte au coeur de mon existence ; ma contribution est plutôt à ranger au rayon minimaliste. Mes médecins me foutent la paix aussi avec ça. Je fais les bilans quand ça me chante et cette désinvolture apparente est la contrepartie d'une angoisse essentielle. L'observance en revanche est stricte, mécanique, sans atermoiement. Deux petits comprimés de rien du tout, qui ne seront bientôt plus qu'un seul. Une cv indétectable depuis (?) et des T4 stables à ~ 3/400, j'encours infiniment plus de risques à continuer à fumer comme un pyromane. (d'ailleurs c'est assez incommode, puisque je roule mes clopes, tous ces temps de pause.)

Commentaires

Portrait de nathan

Mauvais humour (en ce qui concerne ma formule)... J'aurais bien voulu le connaître Thierry... Mais j'aimerais aussi goûter à tes tagliatelles carbonara Ferdy... Sans lardons pour moi... Je n'ai pas l'esprit de famille.

Sincèrement, je trouve ton écriture très pensée et pansée. Merci de continuer...

bises

Portrait de Ferdy

Merci Nathan, c'est un trait d'humour que TK n'aurait pas boudé... pour le connaître, il est encore possible de suivre ses traces avec google, je n'en aurai pas fait mystère bien longtemps : Thierry Kuntzel (tu dois très certainement connaître le centre d'art contemporain le Fresnoy)... enfin, voilà.

J'apprécie les insomniaques ! et pour les tagliatelle, je déposerai les lardons au congélateur à la naissance.

De pizza à Spinoza,

bien à toi,

F.

Portrait de rickhunter

Tombé au hasard sur un autre de tes textes, celui-ci.

Bon, enfin, voilà, euh...

Ben, toujours aussi conquis par ta plume.

J'ai bien aimé l'idée de communauté : en découvrant les autres homos il y a longtemps, j'avais l'impression d'avoir trouvé MA communauté alors que ce n'étaient que des gens avec qui je partageais une caractéristique de ma personnalité. Comme elle était restée orpheline une presque vingaine d'années, le moment était important. Les années ont relativisé ce sentiment d'appartenance comme quelques autres et le hiv ( je veux dire l'ALD, pardon), facteur d'exclusion devient aussi un élément d'appartenance. Enfin, ne rêvons pas sur cette communauté non-plus : un tchateur m'apprenait récemment que certains membres chassaient à la recherche de cadeaux et d'argent. Une détresse, c'est toujours bon à saisir en restant caché derrière un profil bidon.

RH1