Têtu passe l'arme à gauche

Pierre Bergé, fondateur et propriétaire du magazine Têtu (depuis 1995), a cédé le titre gay & lesbien à son ami Jean-Jacques Augier, pour un montant qui n'a pas été révélé, mais qui selon les rumeurs (le titre a toujours été déficitaire), pour un euro symbolique.

Justement, intéressons-nous un peu aux symboles.

Jean-Jacques Augier, (59 ans), énarque issu de la fameuse promotion Voltaire (il en ressort à la 5ème position, soit 2 places devant l'actuel président), grand commis de l'Etat, puis homme d'affaires ouvertement homosexuel, a été le trésorier de campagne de François Hollande (22 M. d'euros de budget).

Editeur dans les années 90, il fut le PDG des éditions Balland, puis actionnaire majoritaire de la prestigieuse maison P.O.L. C'est là où les choses se compliquent un peu, quand on remonte l'histoire littéraire de ce siècle.

Il est le premier éditeur de Guillaume Dustan (1965-2005), chez P.O.L. Rappelons à toutes fins utiles les turpitudes de ce jeune auteur, juge administratif dans le civil le jour, et barebackeur drogué et séropo la nuit, agissant pour la liberté de jouissances sans limites.

Tour à tour, complice et rival de Christine Angot dont il jalouse la célébrité littéraire sur le même terrain de l'autofiction ou de l'autopornographie. Il reçoit le prix de Flore (1999), multiplie les interventions médiatiques, provoque et dérape.

Didier Lestrade, fondateur d'Act Up Paris et initiateur du magazine Têtu, avec Cleews Velay, trouve en lui son meilleur ennemi. Les attaques fuseront de toute part pour dénoncer l'opportunisme mégalo et mortifère de l'auteur d'un côté, les moeurs aliénantes et bourgeoises du militant de l'autre. La polémique cessera avec le décès de Guillaume Dustan, (le 3 ocotobre 2005), mort d'une intoxication médicamenteuse accidentelle si l'on en croit sa nécro officielle.

Ainsi donc, la cession du magazine Têtu intervient dans ce contexte si particulier qui a vu l'élection de François Hollande à la présidence de la République, le vote de la loi du mariage pour tous, etc.

Le troisième actionnaire du quotidien Le Monde, (avec Pierre Bergé et Xavier Niel), Matthieu Pigasse, notamment propriétaire des Inrock, s'était lui aussi porté candidat à la reprise du titre, mais son offre n'avait pas été retenue. 

Jean-Jacques Augier a d'ores et déjà annoncé une restructuration au sein du magazine, avec une réduction des effectifs et un positionnement éditorial moins militant (pourquoi, il l'était ?), et plus ouvertement favorable à l'actuel gouvernement.

Enfin, il est clair que le temps du mécénat version Pierre Bergé a vécu. Le marché LGBT, dans sa normalisation hollandaise, opère une mutation curieuse qui vise  le profit. Ce qui n'est pas choquant en soi, et répondra peut-être à une évolution éditoriale attendue.

Fidèle de Jacques Delors, dont il était l'un des proches conseillers à Bercy, déçu de sa renonciation à la présidentielle en 1994, M. Augier, habile entrepreneur, avait par la suite enchaîné des investissements très lucratifs (taxis G7, etc.) avant de se lancer dans les boucheries haut de gamme à Pékin et dans un réseau de librairies, jusqu'en 1999. 

Ce positionnement sur le marché mal en point de la presse française en général, laisse planer de nombreux doutes. La banalisation de l'image LGBT sera-t-elle suffisante pour attirer la manne publicitaire indispensable à son fonctionnement ? La vente au numéro étant notoirement insuffisante pour parvenir à l'équilibre.

La fameuse couverture de l'homme-objet évoluera-t-elle enfin vers une mixité des genres et des âges ? Un nouvel outil de propagande homosocialiste ? Un vrai news-magazine engagé, indépendant, iconoclaste comme se plaît à se définir l'homme d'affaires, érudit touche-à-tout ?

A suivre.