Tuer une mouche

Avez-vous déjà tenté de tuer une mouche avec un banal journal qui traînait par là ?

Eh bien, croyez-en mon expérience, on dirait que toute la lignée lui a recommandé de se méfier des lecteurs du journal Le Monde, (évidemment, ici, nous n'avons que ça, en format papier), 

donc, l'insecte rôde un bon moment, jusque-là rien que de très normal, il voltige dans l'air, inspecte les endroits sensibles, fait mine de s'intéresser aux tableaux, retourne vers la cuisine, bifurque vers le bureau, s'installe provisoirement sur l'écran (impossible d'atteindre la proie), puis vient faire quelques loopings sur mon crâne chauve,

c'est là où sa présence à mon domicile devient intenable, je finis par prononcer des noms imprononçables,  

je ne saurais désigner autrement ces tentatives d'intimidation de harcèlement moral et corporel, car en plus d'être nerveuse, la mouche sait aussi être bruyante, pour preuve, j'en ai tué deux depuis ce matin, mais le combat est loin d'être achevé, elles récidivent, profitant d'une ouverture de baie-vitrée pour se faufiler dans le salon, 

sitôt qu'elles aperçoivent le titre du Monde (comme si ça pouvait les intéresser) que j'étais sur le point de leur coller sur la face, bifurquent, évitent une surface où elles seraient trop exposées,

je soupçonne ces saloperies de garces d'en vouloir tout simplement à ma tranquillité, car dieu sait que l'espace est vaste, même si elles s'intéressent à mes plantations odorantes, l'espace privé demeure privé, mais elles - je ne saurais comment dire - m'attaquent, comme des kamikazes, en pure perte mais après quelques heures de combat,

(je me refuse au spray, par respect pour l'environnement, encore une ânerie héritée de mon engagement vaguement écolo), 

j'en ressors exténué, affaibli, en plus j'aime pas tuer des bestioles, mais celles-ci semblent le faire exprès, me provoquent, filent à toute allure, droit vers mon front lorsque je suis paisiblement à lire ou à contempler la campagne, en me disant il y a de la place pour tout le monde, mais non, ces conchonneries de mouches viennent inspecter les coutures de mon pantalon (d'une inégalable fraîcheur), se posent subrepticement sur une partie sensible de mon corps évidemment quelque peu nénudé, du fait de la chaleur, mais sans jamais attenter à la pudeur, puis, après un petit mouvement viennent m'observer de plus loin, 

on dirait qu'elles n'ont jamais pensé qu'à ça, faire chier le monde, surtout quand il fait chaud, et qu'il est évident que l'on garde parfois les fenêtres grandes ouvertes, et vas-y qu'elles reviennent près du front, s'agitent à l'arrière, disparaissent soudainement dès que j'ai l'exemplaire du Monde Télévisions, d'un format plus pratique pour les écraser contre la vitre, sans grand plaisir en fait car je sais qu'il y en a quelques unes planquées en réserve, prêtes à tout pour perturber ma sieste, mes lectures...

peut-être devrais-je m'abonner au Figaro, qu'en pensez-vous ?