Les femmes veulent tomber le masque
Elles sont près de 80, principalement des femmes touchées par le VIH, mais aussi des actrices de la lutte contre le sida, des professionnelles de santé ou du médico-social, venues d'un peu partout en France pour échanger, partager leurs expériences et surtout trouver les réponses à une question : "Comment faire tomber les masques ?" Durant une bonne partie de la journée, les participantes réparties dans cinq ateliers ont travaillé autour d'une piste commune : "Qu'est-ce qui doit changer pour que l'on puisse en parler…" Chacun des groupes traitant d'un aspect de la vie des femmes : la vie avec le partenaire, la vie professionnelle, la vie familiale, la vie avec le milieu médical et le rapport aux médias. Des femmes ont ainsi échangé et proposé autour de ""Qu'est-ce qui doit changer pour que l'on puisse en parler à son partenaire ?", tandis qu'un autre groupe de femmes travaillait sur "Qu'est-ce qui doit changer pour que l'on puisse en parler à son entourage familial ?", etc.
Au terme de la journée, les participantes ont présenté, atelier par atelier, leurs constats et ont aussi fait part de leurs besoins et de leurs revendications. L'enjeu n'est pas moindre puisqu'il s'agissait que voir ce qu'on peut et ce qu'on doit changer dans la société pour que la visibilité des femmes séropositives soit possible. Même si chacun des groupes a fait des demandes spécifiques selon son champ de discussion, il est vite apparu que le moyen le plus évident de faire tomber les masques était de modifier le regard des autres sur le sida et donc l'image même du sida dans la société. Pour le groupe qui a travaillé sur les relations avec le partenaire, cela consiste à faire comprendre qu'on "n'a pas le sida, mais qu'on vit avec le VIH". Un point de vue qui n'est d'ailleurs pas partagé par l'ensemble des participantes. Cela passe aussi par le fait de se définir "positivement". Une façon pour elles de dire qu'elles sont des "femmes, belles, vivantes qui doivent se battre pour [leur] visibilité. Il s'agit donc de se valoriser comme femme séropositive pour compenser la dépréciation que peut renvoyer la société.
Le groupe qui a travaillé sur la vie à deux a d'ailleurs eu l'idée de proposer la publication d'un manifeste où 343 femmes affirmeraient leur séropositivité et le fait qu'elles n'en ont pas honte. Un manifeste qui montre aussi que les femmes séropositives sont "vivantes". Un manifeste qui rappellerait dans son audace celui des "343 salopes" (publié en 1971 dans le Nouvel Observateur) qui avaient affirmé avoir avorté alors que la loi Veil n'était pas encore adoptée. Elles s'exposaient alors à des poursuites devant les tribunaux. Autre piste proposée pour le couple, une affirmation du droit au plaisir. Une femme séropositive peut et doit avoir une sexualité et son droit au plaisir est légitime. Les participantes à l'atelier ont insisté sur l'éducation sensuelle ("Il n'y a pas que la pénétration dans la vie !") des partenaires, la connaissance par les femmes de leur corps. Elles demandent aussi à ce que les associations de lutte contre le sida se bougent pour un accès gratuit à des préservatifs plus variés et même fantaisie.
En matière professionnelle, il s'agit, là encore en priorité, de changer le regard des autres. "Il faut que chacune se sente dans un chemin de vie et pas de survie", ont rappelé les participantes de ce groupe. Cela passe, entre autres, par une meilleure information et même une meilleure formation du milieu professionnel aux questions de VIH/sida, mais aussi à des questions plus large comme la confidentialité ou la prise en compte des personnes en ALD. Ce travail peut être le fait de la médecine du travail, mais d'autres acteurs, associatifs notamment, ont leur rôle à jouer. Pour les participantes, l'enjeu est bien, lorsqu'on le souhaite, de pouvoir dire qu'on est séropositive ou "malade" au travail. En fait, il y a une balance entre le bénéfice individuel qu'il peut y avoir à pouvoir parler librement et la prise de risque à s'exposer dans un cadre pas suffisamment sécurisé ou mal préparé. Pour les participantes, le choix doit rester libre et l'essentiel des efforts doit porter sur un changement des mentalités dans le milieu professionnel pour que ce dernier devienne plus propice à l'affirmation de la séropositivité pour celles qui le veulent.
C'est "l'énergie qui s'est dégagée du groupe" qui a marqué les participantes de l'atelier consacré à l'entourage familial. Une façon, de dire : "Je porte un virus. Je ne suis pas malade". Pourtant, le paradoxe, c'est que dans ce groupe presque aucune femme n'a parlé de sa séropositivité à sa famille par crainte des réactions. Une participante a d'ailleurs affirmé : "Ce n'est pas le sida qui me tuera, c'est le silence !" Les seuls exemples positifs sont ceux des femmes qui l'ont déjà dit à leurs enfants. Là, les choses se font faites naturellement. Pour le groupe, le principal travail à faire est de changer les mentalités en luttant contre l'ignorance. "Mieux on comprend, mieux on accepte", avance le groupe qui estime qu'un des moyens pourrait être la création d'un personnage récurrent dans une série télévisée grand public.
Du côté médical, il y a aussi beaucoup à faire. Des participantes ont évoqué des discriminations de la part de professionnels de santé (dentistes, gynécologues, etc.) souvent du fait d'un défaut d'information. Elles préconisent d'ailleurs dans tous les cas de se faire aider par une association pour connaître ses droits et saisir, par exemple, la Haute autorité de lutte contre les discriminations. Mais les difficultés ne sont pas que le rejet lui-même, il y a aussi la crainte de parler aux médecins de certains sujets, du VIH par exemple. Les participantes ont aussi pointé chez certains médecins "le refus d'entendre la parole des femmes", le refus de "croire aux spécificités des femmes en matière de VIH" et une grande facilité à prescrire des anti-dépresseurs plutôt que d'être à l'écoute des femmes lorsque ces dernières vont mal.
Par rapport aux médias, la situation est à la fois différente et plus complexe. Contrairement aux autres domaines traités, personne n'est obligé d'être en contact avec un média. En fait, le groupe qui a travaillé sur cette question estime que le préalable à toute démarche de témoignage dans la presse est un "travail sur soi". Un travail qui permet de réfléchir à ce qu'on attend d'un témoignage, aux raisons qu'on a de le faire et aux suites qu'il peut y avoir". Le retour a été très dur pour certaines participantes qui avaient témoigné dans des journaux ou à la télévision. Certaines femmes avaient le sentiment d'avoir été dépossédées de leur image, d'avoir été limitées dans leur expression. En fait, les participantes de ce groupe ont affirmé leur souhait de pouvoir témoigner de leurs difficultés dans les termes qu'elles voulaient et surtout pas cantonnées au rôle de victime. La solution serait alors de construire des "outils qui ressemblent aux femmes concernées". Les participantes préconisent d'ailleurs d'utiliser des moyens nouveaux pour informer et faire réfléchir comme le slam (des joutes poétiques) les pièces de théâtre, Internet, les jeux vidéos, etc.. C'est aussi aux associations de lutte contre le VIH d'aider à renforcer les prises de paroles collectives mieux à même de modifier le regard de la société et de la famille.
L'Interassociatif Femmes et VIH publiera dans quelques temps un compte rendu de cette rencontre.
Plus d'infos sur www.femmesetvih.org , le site ouvrira d'ici quelques jours.
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Commentaires
quel masque ?
N'est-ce pas un peu facile de toujours attendre des autres qu'ils soient: meilleurs, plus humains, mieux informés patati et patata pour assumer ce qu'on est ? (je parle la des femmes françaises, car il est des pays où le silence est vraiment une obligation de survie. De plus en quoi cela touche-t-il spécifiquement plus les femmes que les hommes ?
Bien à vous,
Pluvieusement,
Heureuses celles qui n'ont pas fait de stigma
Explique
C'est la peur d'être ce qu'on ne veut pas
Les peurs
Finalement, ces femmes
Pardon ces femmes ???
Non, RAV (rien à avoir)
TAV (tout à voir') avec le fait d'etre femme