" Considérons les actes non protégés non comme des fautes mais comme des besoins"
Alors que les recommandations suisses prennent en France des allures d'une patate chaude dont tous les spécialistes aimeraient se débarrasser, France Lert est la première à oser se démarquer de la frilosité ambiante pour réclamer haut et fort - et qui plus est, dans la presse gay - des stratégies de prévention plus adaptées à "la vraie vie".
Une tribune dans laquelle elle commence donc par rappeler qu'à peine arrivée dans l'Hexagone, l'information "plébiscitée par les Suisses", "défendue par des médecins-chercheurs de grande notoriété" a été "réduite à néant ou presque" par des chercheurs, des cliniciens, des associations. Tous ceux "dont la parole compte", qui ont la confiance des personnes atteintes, et qui vont parfois jusqu'à qualifier de dangereuse et d'irresponsable une information qui serait pourtant, selon elle, "sans doute très utile" à beaucoup de gens.
À ceux qui contestent aux Suisses le fait de baser leurs affirmations sur le suivi sur plusieurs années de couples hétérosexuels sérodifférents, France Lert rétorque que l'approche semble au contraire "logique" car "ce n'est que dans la vraie vie et sur la longue durée que l'on peut étudier cette problématique". Et si les virologues qui affirment qu'il reste du virus dans les fluides sexuels et qu'une charge virale stable ne l'est pas totalement "ont certainement raison", "doit-on pour autant attendre ce zéro virus ?", interroge-t-elle. Doit-on attendre les conclusions de la commission mise en place par l'Agence nationale de recherche sur le sida dans l'espoir d'arriver à un consensus, alors que ces mêmes scientifiques n'ont toujours pas réussi à se mettre d'accord sur les risques de la fellation ? Doit-on attendre cet hypothétique consensus scientifique, mais surtout que faire en l'absence de consensus et que faire en attendant ?
Laisser, comme c'est déjà trop souvent le cas, le soin aux personnes d'inventer elles-mêmes des stratégies de moindre risque (rapports sans éjaculation, recherche de partenaires de même statut, etc.) qui seront de toutes façons "systématiquement décriées par les spécialistes"?
À l'heure où les enquêtes confirment le rejet d'une prévention "uniforme" (le préservatif toujours et pour tous), pour France Lert, il serait au contraire grand temps d'élargir l'éventail des possibilités en matière de prévention et d'envisager des "multistratégies". Grand temps de tendre vers le bien-être et la satisfaction sexuelle en diversifiant les stratégies de prévention, comme c'est déjà le cas en matière de traitements où "on admet les multithérapies" et où on cherche continuellement à améliorer la qualité de vie en allégeant les traitements.
Pourquoi abandonner l'uniforme au profit de multistratégies ?
Parce que comme le souligne France Lert dans sa tribune, "toutes les personnes vivant avec le VIH ont peur de le transmettre". C'est d'ailleurs le premier motif d'abstinence sexuelle chez plus de 6 personnes sur 10, et près de 3 sur 4 chez les homosexuels masculins. Mais même si le niveau d'utilisation du préservatif parmi les personnes séropositives est "très élevé", sa non-utilisation n'est pas pour autant exceptionnelle : un quart des couples sérodifférents hétérosexuels et 20% des homosexuels déclarent, en effet, des rapports non protégés qui, "dans l'immense majorité des cas", le sont de manière "délibérée et consentie par un partenaire informé".
Malgré tous ses avantages, le préservatif est loin d'être "une méthode 100% sûre" dans la durée, à l'échelle d'une vie sexuelle. "Il est souvent vécu comme une gène ... une barrière émotionnelle entre les partenaires, et donc oublié dans la boîte". Et comme le précise la chercheuse, rien n'indique qu'on l'utilisera plus ou mieux dans les années à venir. "La norme préventive s'est érodée et ne reviendra pas", du moins "pas sous cette forme".
Des recommandations pour qui ?
Selon France Lert, la proportion de personnes suivies en France et répondant aux critères suisses (charge virale indétectable depuis au mois 6 mois, en couple exclusif, et sans IST) serait actuellement de 50 à 60% chez les hétérosexuels, de 42% chez les bisexuels, et de 28% chez les homosexuels.
Un dernier groupe qui serait donc "moins concerné par cette annonce" et dans lequel la portée des recommandations suisses devrait, selon France Lert, être "plus limitée" en raison de différents facteurs : le multipartenariat, la fréquence des IST, la légitimation des rapports non protégés, la reprise des comportements à risque... Autant de facteurs qui font que, malgré la généralisation de traitements efficaces, le nombre de nouvelles contaminations reste stable et élevé dans ce groupe, pourtant "le plus observant des traitements".
Reste que, comme le souligne à nouveau la spécialiste, les recommandations suisses seraient sans doute très utiles à un grand nombre de personnes, "et on voit mal au nom de quoi" les en priver. Pour France Lert, il est donc grand temps d'abandonner les "positions conservatrices" selon lesquelles le message risquerait d'"accélérer et légitimer l'irresponsabilité préventive" pour offrir enfin aux personnes atteintes les moyens de construire leur vie "avec un peu plus d'écoute". Ce qui ne change évidemment "rien à ce qui doit se passer avec les nouveaux partenaires, les partenaires de rencontre", ou en cas d'expériences multiples qui sont "majoritaires" chez les homosexuels.
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Commentaires
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