AME : la grosse manip…

Publié par jfl-seronet le 13.01.2011
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AME
Un rapport officiel qui épingle les restrictions d’accès à l’AME (Aide Médicale d’Etat) enterré par le gouvernement, des mesures qui coûtent plus cher qu’elles ne rapportent, des dispositions inadaptées, administrativement complexes et porteuses de risques sanitaires… La réforme de l’AME est décidément un beau succès. Comment et pourquoi en est-on arrivé là ?

"Les réformes ratées du président Sarkozy". Le titre de cet essai d’économie est cinglant, à l’image du livre qui, publié en 2009, analyse dans un examen minutieux certaines des réformes économiques et sociales menées entre mai 2007 et janvier 2009 par Nicolas Sarkozy. Le livre décrit un système, une stratégie dans la conduite des affaires qui (citons les deux auteurs : Pierre Cahuc et André Zylberberg) "repose sur le pari qu'on peut réformer en étouffant l'adversaire tout en étant conciliant lorsque son pouvoir de résistance, ou de nuisance, est élevé". Le livre, grâce à des exemples édifiants, démontre l’échec de cette politique et le pari perdu d’un président et de son gouvernement qui se retrouvent, à l’occasion de textes de lois mal ficelés, mal préparés, marqués par l’idéologie plutôt que par l’intérêt commun, "dans la position de l'étouffeur étouffé".  Difficile de ne pas voir dans le récent démantèlement de l’Aide Médicale d’Etat (AME), un nouvel exemple de cette stratégie. Ainsi, des dispositions adoptées (aux forceps par le Parlement) au motif de faire des économies pourraient, au final, coûter plus cher qu’elles ne rapporteront. Cet avis n’est pas celui d’essayistes (même renommés) qu’on pourrait accuser de partialité, mais la conclusion d’un récent rapport officiel réalisé par l’Inspection Générale des Finances (IGF) et l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) sur l’analyse des dépenses au titre de l’Aide Médicale d’Etat. Quel est ce fiasco ? Qui en est victime ? Et comment expliquer qu’on en soit arrivé là ?


Pourquoi  réformer l’AME ?
A différentes reprises, le dispositif de l’AME a été attaqué par les parlementaires de droite qui ont voulu restreindre le dispositif, réduire le nombre de personnes bénéficiaires et supprimer la gratuité de ce dispositif réservé aux personnes étrangères malades en situation irrégulière. Poussés par la droite dure soutenue par le gouvernement, les parlementaires ont, cette fois, obtenu gain de cause. Cela s’est fait d’autant plus facilement qu’une forte augmentation des dépenses d’AME a été observée en 2009 (+13,3 %) pour atteindre 540 millions d’euros. Evidemment, ce que les parlementaires et le gouvernement n’ont pas dit lors des débats, c’est que cette augmentation des dépenses observée en 2009 n’a pas pour explication une augmentation massive du nombre de bénéficiaires, mais une évolution technologique : les hôpitaux facturent mieux les soins qu’auparavant car, grâce à la mise en œuvre de la base de données Contrôle Des Droits (CDR), ils identifient mieux les malades.

Le coût de l’AME est-il scandaleux ?
Environ 227 000 personnes sont bénéficiaires de l’AME. En 2009, le coût du dispositif était de 540 millions d’euros. En réalité, le coût de l’AME est raisonnable si on le ramène au nombre de bénéficiaires. Il est même modeste si on le compare aux 162 milliards d’euros de l’assurance maladie. Enfin, précisons que l’AME représente moins de 0,3 % du budget total de la branche maladie de la Sécurité sociale. Par ailleurs, le rapport donne des informations précises sur les coûts de consommation de soins. La consommation moyenne de soins a été de 1 741 euros en 2008 pour les bénéficiaires de l’AME, contre 2 606 euros pour les bénéficiaires de la CMU-C (couverture médicale gratuite pour les personnes aux faibles ressources en général), et 1 580 euros pour ceux du régime général de la Sécurité Sociale. Tous comptes faits, le Rapport affirme que la "dépense moyenne annuelle des bénéficiaires de l’AME apparaît ainsi nettement inférieure à celle de la population générale".

Y a-t-il des fraudes ?
Lors des débats à l’Assemblée Nationale, les députés (dont l’UMP Thierry Mariani aujourd’hui au gouvernement) n’ont eu de cesse de dénoncer de présumées fraudes. Le député UMP Jean Léonetti (un temps pressenti pour être ministre de la Santé) évoquait même l’existence de "filières de fraudes" sans en apporter la moindre preuve. Et certains de ses collègues expliquaient que l’AME servait à partir en thalasso ou faire prendre en charge des opérations de chirurgie esthétique ! Le rapport remet les pendules à l’heure. D’une part, il affirme qu’il n’est "pas possible d'établir statistiquement un lien entre l'évolution des dépenses et l'évolution des abus et fraudes". Il rappelle également que les "bénéficiaires de l’AME et les soins qui leur sont dispensés sont inclus dans les contrôles anti-fraudes de droit commun". Les travaux d’expertise réalisés lors de ce rapport "montrent un nombre limité de situations frauduleuses".

Quelles sont les conséquences de cette nouvelle réforme ?
En matière de santé publique, le rapport estime qu’un des effets du droit d’entrée sur l’AME "pourrait être celui de risques sanitaires sérieux du fait des retards induits sur le recours aux soins ambulatoires par la population concernée (…)"

Pourquoi peut-on parler de fiasco ?
Si on met de côté les éléments politiques (appel du pied à l’électorat d’extrême droite, attaque de l’AME qui est tant caricaturée qu’elle n’est pas populaire chez les Français…), un des objectifs du texte est de faire des économies dans les comptes sociaux. En obligeant les personnes sans-papiers les plus démunies à payer 30 euros par an pour être soignées, l’Etat escompte environ 6 millions d’euros de recette. Or, il s’avère, selon le rapport, que le dispositif à mettre en place sera plus coûteux que ce qu’il rapportera. Ainsi, lit-on dans le rapport,  le premier effet du forfait de 30 euros "pourrait être celui de l’accroissement des dépenses allant bien au-delà de l’économie escomptée". Autrement dit, rendre l’AME payante coûtera plus cher à l’Etat. La démonstration que fait Médiapart (3 janvier 2011) est, du reste, assez simple : "En effet, chaque bénéficiaire devra acheter un timbre (délivré notamment par les buralistes) ce qui entrainera des frais de gestion et de multiples visites aux guichets. En outre, les personnes les plus pauvres retarderont les consultations en médecine de ville et se dirigeront, en dernier recours, à l'hôpital, occasionnant une charge plus importante pour l'Etat". Ce qui occasionnera des frais de santé plus importants.

Pourquoi le rapport sur les dépenses de l’AME a-t-il été enterré ?
Avant le vote du budget, le gouvernement avait demandé aux Inspections Générales des Finances (IGF) et des Affaires Sociales (IGAS) d'analyser l'évolution des dépenses liées à l'AME. Leur Rapport était destiné à donner les chiffres réels et pas ceux fantasmés par certains députés et à servir de base à la réflexion avant tout vote. Achevé en novembre 2010, il aurait pu ou dû avoir une influence sur la décision publique. Cela ne sera pas le cas. Le 24 novembre 2010, le Rapport est remis au gouvernement. Les ministres (Roselyne Bachelot à la Santé et François Baroin au Budget) en connaissent le contenu et les conclusions. Très clairement, le Rapport "ne recommande pas la mise en œuvre d’un droit d’entrée pour l’AME, qui lui paraît financièrement inadapté, administrativement complexe et porteur de risques sanitaires. A tout le moins, une étude d’impact devrait être conduite avant toute décision". On connaît la suite. Lors des débats parlementaires, les députés d’opposition et même les sénateurs de droite demandent qu’on ne tranche pas en l’absence des informations du rapport. Le gouvernement passe outre. Il garde sous le coude le rapport qui ne sera publié que le 30 décembre 2010 alors que le texte a été définitivement adopté. Les associations de défense des droits des étrangers ont très sévèrement critiqué le fait que ce rapport soit "resté inaccessible pendant toute la durée des débats" et demandé au gouvernement de "s'expliquer sur cette dissimulation scandaleuse". Bref, le Rapport a été enterré parce que cela arrangeait bien le gouvernement et que cela facilitait l’adoption du texte en faussant les débats. Cela en dit long sur la conception du débat démocratique qui prévaut aujourd’hui.

Que peuvent faire aujourd’hui les associations ?
La marge est étroite car le texte en question a été soumis au Conseil Constitutionnel qui n’a rien trouvé à redire aux dispositions controversées. En fait, il trouve même normal qu’on demande une contribution forfaitaire de 30 euros aux bénéficiaires. Il n’en reste pas moins que trois fédérations associatives ont décidé de monter une nouvelle fois au front en demandant (7 janvier) de suspendre ce droit d’entrée de 30 euros. Il s’agit du CISS (Collectif interassociatif sur la santé), de la Fnars (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) et de l’ODSE (Observatoire des droits à la santé des étrangers). "Ce rapport a été publié volontairement trop tard, ce n'est pas glorieux", dénonçait (4 janvier) Christian Saout, président du CISS à l’AFP. "Ce qu'il faut maintenant, c'est en finir avec cet abcès de fixation à caractère xénophobe, en l'incluant dans l'assurance maladie globale", a-t-il estimé.


Plus d’infos sur www.leciss.org
Plus d’infos sur www.odse.eu.org