Contre la "putophobie" d'Etat !

Publié par Mathieu Brancourt le 12.05.2012
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AIDES se mobilise pour faire valoir les droits des minorités en matière de santé publique. Lors d'une réunion du groupe trans, la situation délétère des travailleur-euse-s du sexe, notamment transgenres, a fait l'objet d'un recueil des situations de terrain. Pour lutter politiquement contre les discriminations, face à un arsenal législatif de plus en plus répressif.
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"Une prison géante". C'est ainsi que Cloé Navarro, représentante du STRASS (Syndicat du travail sexuel) - présente à la réunion - décrit la situation des travailleuses et travailleurs du sexe en France. Viol-ence-s ou harcèlements policiers, stigmatisation sociale voire agressions sont leur lot quotidien. Des conditions de travail intenables, dans une société qui les juge et où la loi ne les protège pas. Autour de la table, des membres de AIDES venant de plusieurs régions listent les problèmes auxquels ils sont confrontés. Lili coordonne à Avignon une des actions de l'association à destination spécifique des prostitué-e-s. Dans le Vaucluse, elle est en contact avec près de 300 personnes. Parmi elles, des femmes trans, quasiment toutes séropositives et/ou co-infectées aux hépatites et aux IST (infections sexuellement transmissibles). Elles déclarent se prostituer pour se payer leurs opérations (implants mammaires notamment), mais gardent leur sexe masculin pour "pouvoir continuer à travailler". Au-delà de la situation épidémiologique, ces femmes doivent faire face à une véritable maltraitance administrative. La préfecture ne refuse pas les titres de séjour, mais ne les délivre que très tardivement et surtout à titre provisoire. En découle une véritable précarité, empêchant par la même l'obtention de l'AME (aide médicale d'Etat) pour un suivi médical. Dernièrement, leur présence a été déclarée comme "trouble à la santé publique" par une préfecture de la région. Présumées coupables, ces femmes sont condamnées à un éternel dédale de paperasse, sans acquis durable.
Même constat d'une violence quotidienne à Nantes, des cas de racket à Lille ou des jets de cailloux à Avignon, notamment à Noël. Partout en France, c'est leur fête... Mais en 2012 - et cela sans minimiser les autres incidents -, c'est le rejet étatique, moral voire idéologique, qui menace le plus les travailleurs et travailleuses du sexe, transgenres ou non. Une "putophobie" d'Etat, gravée dans des textes de lois.

A la LSI (loi sur la sécurité intérieure, dans laquelle se trouve la disposition contre le "racolage passif", ndlr), s'ajoute, depuis décembre dernier, la résolution (adoptée de tous bords confondus) abolitionniste pour la fin du mythe du "plus vieux métier du monde". Cette dernière porte notamment le projet de pénalisation du client. Une inflation législative non seulement inefficace contre les réseaux, mais surtout dramatique pour la santé des travailleurs et travailleuses du sexe. L'exemple de la Suède, souvent cité, a eu des conséquences sanitaires catastrophiques et à forcer les prostitué-e-s à se cacher loin des structures d'accueil. "Ce n'est pas seulement la loi sur le racolage passif, mais toute la LSI qui est liberticide", déplore Adeline Toullier, responsable juridique et action sociale à AIDES. Sans oublier l'ombre du fichier Edwige (fichier recensant, dès l'âge de 13 ans, les individus présentés comme délinquants, mais aussi tous les militants associatifs, politiques, syndicaux ou religieux) et le projet de loi européen ACTA (accord commercial anti-contrefaçon) qui planent au dessus de tous. Une privation des libertés, mais aussi des droits, flagrants, qui donne les coudées franches aux dérives et abus de certains policiers. Intimidations, arrestations arbitraires, harcèlement ou non-respect des circulaires interministérielles concernant la distribution de matériel de prévention sont légion. Pire encore, "plusieurs tentatives de viol ou des viols commis par des flics ont été classés sans suite. Selon eux, une pute "vend" son corps, elle n'a donc pas de consentement à l'acte sexuel", raconte, médusée, Cloé Navarro.


Face aux problèmes de prise en charge sociale ou de soins, de violences, de rejets, de préjugés ou d’embuches administratives concernant l’Etat civil pour les prostitué-e-s trans, un plaidoyer politique va être conduit par AIDES. Car la population générale est globalement contre une pénalisation de la prostitution. De plus, "un véritable consensus existe contre la loi LSI", souligne Adeline Toullier. Une mobilisation générale inter-associative reste donc envisageable pour médiatiser ces enjeux de santé et faire entendre une autre voix que celle de l'abolition. Car une certaine forme de féminisme moderne vient davantage contraindre la femme que la libérer d'un "esclavage". Une velléité véritablement prohibitionniste, fleurant bon (ou pas) l'Amérique des années 30.