Droit au séjour : ça s’aggrave au Sénat !

Publié par jfl-seronet le 15.04.2011
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droit au séjour pour soins
Depuis des mois, médecins, militants associatifs, personnes concernées, personnalités scientifiques et politiques s’acharnent à démontrer les risques humains et de santé publique que font courir les restrictions du droit au séjour pour soins… sans succès jusqu’à présent. A la surprise des activistes, l’Union centriste s’est alliée à l’UMP pour faire passer une nouvelle version de l’article17 ter particulièrement dangereuse pour les personnes concernées.
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Sénatrice de Paris (PS), Bariza Khiari est la première à intervenir. D’entrée de jeu, elle avance que : "Vouloir remplacer l'accessibilité effective des soins par leur simple disponibilité revient à condamner les étrangers. C'est au moins une condamnation à mort pour ceux d'entre eux qui devront retourner dans leur pays d'origine : 60 % des individus qui vivent avec le VIH dans le monde n'ont pas accès à un traitement, 25 % des morts de tuberculose pourraient être évités. C'est au moins une condamnation à la clandestinité pour ceux qui resteront en France afin de se faire soigner". Et puis, elle rappelle que le droit au séjour pour soins n’est pas du "tourisme médical". "En moyenne, les étrangers malades qui demandent leur titre de séjour le font après six années de séjour sur notre territoire ; le tourisme médical est le fait des riches, pas des pauvres", affirme la sénatrice. "Face à la question de la santé, de la vie humaine, la réponse était totalement consensuelle par le passé, avance David Assouline, sénateur (PS) de Paris. Notre tradition, depuis longtemps et au-delà même des principes républicains, ne tenait pas compte de l'origine ou des papiers de celui qui rencontrait un problème de santé, qui était atteint d'une maladie grave, car on prenait d'abord en compte l'être humain." Et puis David Assouline sonne la charge contre le texte proposé par l’UMP et l’Union centriste, dont la nouvelle rédaction est "pire que celle d’avant". "Si cet amendement était adopté, des personnes gravement malades seraient renvoyées vers des pays où elles n'auraient aucun accès à leur traitement, explique Richard Yung, sénateur (PS) représentant les Français de l’étranger. Si cet amendement était voté, le préfet serait juge en dernier lieu des critères médicaux à la place de l'autorité médicale aujourd'hui compétente". "La loi qui est en vigueur actuellement fonctionne bien. Aucune difficulté ne se pose aujourd'hui, rappelle Jean-Pierre Sueur, sénateur (PS) du Loiret. Avez-vous connaissance de tricherie dans vos départements, mes chers collègues ? Qui peut avancer cet argument ? Si personne ne le peut, pourquoi changer ce qui existe ?"

Evidemment, dans la majorité, on ne l’entend pas de cette oreille. C’est François-Noël Buffet, sénateur (UMP) du Rhône et rapporteur pour le projet de loi qui a la charge de défendre la nouvelle mouture de compromis de l’article 17 ter. Comme c’était déjà le cas à l’Assemblée nationale avec les députés UMP, il avance que ce changement n’est destiné qu’à corriger la jurisprudence du Conseil d'Etat en revenant à la situation du droit antérieure aux deux arrêts rendus par le Conseil d'Etat. Deux arrêts dont le seul défaut (du moins pour la majorité) est de donner une meilleure protection aux personnes étrangères gravement malades. "Dans le cadre de la discussion parlementaire, nous nous sommes donc efforcés de trouver une rédaction qui garantisse à la fois le principe en vigueur jusqu'en 2010 et la santé des étrangers gravement malades, prétend François-Noël Buffet. Dans la pratique, le ministère de la santé édicte régulièrement des circulaires précisant les circonstances dans lesquelles un titre de séjour est accordé à un étranger atteint d'une grave maladie ; sont particulièrement concernées les personnes atteintes du sida". "Une telle rédaction introduit dans la loi l'intention claire du législateur de se prémunir contre toute déviance possible en matière de refus de titre de séjour à un étranger gravement malade", affirme le sénateur UMP.

Pas de suspens, le gouvernement est évidemment pour l’amendement. "S'agissant de la lourde pathologie du sida, qui nous inquiète tous, je rappellerai qu'une instruction du ministère de la Santé datant de l'été dernier et adressée aux Agences régionales de santé précisait expressément que "dans l'ensemble des pays en développement, il n'est pas encore possible de considérer que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux". Dès lors, le ministère de la Santé invitait les ARS [agences régionales de santé] à autoriser le séjour de ces personnes pour raisons de santé". Certes, mais c’est oublier que le problème d’accès aux traitements ne concerne pas que les ARV mais les médicaments pour le cancer, ceux pour les hépatites, ceux pour le diabète, etc. Au gouvernement, on estime que la décision du Conseil d’Etat a pour conséquence "que, lorsque le malade ne peut avoir accès à un traitement dans son pays d'origine pour des raisons socio-économiques, il convient que l'Assurance maladie française prenne en charge". "Nous trouvons que c'est excessif", avance Claude Guéant… d’où l’article 17 ter. "Permettez-moi de m'indigner contre l'acharnement tout à fait affligeant qui est mis à porter atteinte au droit des étrangers gravement malades, lui répond la sénatrice (Europe Ecologie Les Verts) de Paris Alima Boumediene-Thiery. Je rappelle que le concept d'" indisponibilité" des traitements a été clairement rejeté en séance publique au Sénat en première lecture, ainsi que récemment par la commission des lois (…) Si la commission des lois a supprimé cette disposition, c'est parce qu'elle n'était ni suffisamment claire ni suffisamment protectrice des droits des étrangers malades. Il est donc nécessaire que le Sénat campe sur ses positions progressistes et rejette une fois de plus cette atteinte flagrante aux droits des étrangers gravement malades". Pour la sénatrice, la référence dans l’article à la notion d'"absence de traitement" est "pire que tout !"  "En effet, un pays peut posséder un traitement contre une maladie grave, tel le sida, sans que ce traitement soit pour autant présent en quantité suffisante. Il peut également n'être disponible qu'à un prix prohibitif ou être réservé à une certaine classe de la population. Le traitement peut donc ne pas être absent, mais rester cependant effectivement inaccessible à une grande majorité de malades, rappelle Alima Boumediene-Thiery. Je ne comprends pas pourquoi ce texte nous est présenté comme un compromis (…) Il est clair qu'il s'agit de durcir de façon drastique les conditions de séjour en France des étrangers malades et, de fait, de les expulser vers la mort dans leur pays d'origine, où ils ne pourront jamais être soignés".

Il restait à entendre les centristes et plus particulièrement François Zocchetto, sénateur (Union centriste) de la Mayenne. Jusqu’à présent, il n’avait pas voté en faveur de l’article 17 ter… A la commission des lois, il s’était abstenu… après avoir laissé entendre aux associations de défense de la santé des étrangers qu’il était opposé aux changements pour le droit au séjour pour soins. Au Sénat, en séance, le chef de l’Union centriste sort l’artillerie lourde. "Bien sûr, chacun souhaite qu'on puisse soigner toutes les personnes malades de la terre entière et que tout le monde puisse être nourri et éduqué correctement. Les 343 sénateurs souscrivent à de tels objectifs. Toutefois, nous devons regarder la réalité en face : il n'est pas possible d'ignorer la question du financement. En commission, nous avons essayé de trouver une solution et je pense sincèrement que le texte proposé par François-Noël Buffet, au nom de la commission, en apporte une". Manifestement, il échappe à François Zocchetto que cette nouvelle mouture est particulièrement dénoncée. Mais le meilleur reste à venir. Ainsi évoquant le fait que c’est le préfet qui décidera en dernier ressort si la personne gravement malade sera ou non renvoyée dans son pays d’origine, François Zochetto affirme : "Pour ma part, j'imagine mal une autorité administrative ne pas suivre l'avis médical en la matière (…) A mon sens, il n'y aura aucun problème. Et même s'il y avait des contentieux, je suis certain que les juridictions administratives interpréteraient les notions d'"absence" et de "circonstance humanitaire exceptionnelle" dans un sens extensif et favorable aux droits des personnes". Dans le genre méthode Coué…. On fait difficilement mieux.  
Détail amusant, tous les sénateurs de l’Union centriste n’apprécient pas ce magnifique texte de compromis. Ainsi, la sénatrice de Haute Normandie Catherine Morin-Desailly rappelle dans un communiqué de presse (13 avril) qu’elle "s’oppose à toute atteinte au droit du sol et au durcissement de la situation des étrangers malades". Elle a voté contre l’amendement du rapporteur de la commission des lois visant à préciser le régime du titre de séjour des étrangers malades. "Présenté  comme un texte de compromis, il présente un réel danger pour les étrangers gravement malades résidant en France", dénonce la sénatrice centriste. Elle s’était d’ailleurs opposée à la réforme de l’Aide médicale d’Etat. Au Sénat, les débats continuent... puis le vote arrive. Nombre de votants : 334.  Pour l’adoption de l’article : 169. Centre : 156. La séance est suspendue.