Etats généraux : Claude Evin à l'écoute

Publié par jfl-seronet le 22.11.2010
2 071 lectures
Notez l'article : 
0
 
états généraux VIH en Ile-de-France
Les 26/27 novembre, l'Agence régionale de santé Ile-de-France organise les Etats généraux de la prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH de la région. C'est une première qui fait suite à une forte demande des associations de lutte contre le sida et de collectifs de patients. Personnes concernées, professionnels de santé, militants, responsables de l'ARS et de l'AP-HP vont tout remettre à plat et cogiter sur l'avenir pour une meilleure prise en charge. A la tête de l'ARS, l'ancien ministre Claude Evin explique à Seronet ce que sont ces Etats généraux et à quoi ils vont servir.
claude_evein_SB-ConventionAIDESparis-1006-51-S.jpg

Quelle est l'origine des Etats généraux de la prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH en Ile-de-France ?
Il s'agit d'une initiative qu'a prise l'Agence régionale de santé [ARS] à la demande des associations de lutte contre le sida qui étaient inquiètes des restructurations en cours notamment au sein de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris [AP-HP]. C'est une initiative à laquelle j'ai rapidement adhéré parce que la question de la prise en charge des malades du VIH et les sujets relatifs à cette pathologie sont très complexes. Ils mobilisent plusieurs types d'acteurs : associations de lutte contre le sida et collectifs de patients, professionnels de santé d'une manière générale, Corevih [coordinations régionales VIH], établissements de santé, etc. Il m'a semblé intéressant au moment où l'Agence régionale de santé se créait, au moment où nous mettions en place les services, où nous réfléchissions aux politiques que nous allions développer que nous nous engagions dans un tel processus. Et ce d'autant qu'il s'agit d'une pathologie particulière en Ile-de-France. Je rappelle que, malheureusement, nous assistons à une progression du VIH dans cette région. Il était intéressant de donner la parole aux associations et à l'ensemble des acteurs, d'écouter pour pouvoir définir nos orientations. Il y a donc au départ une demande du milieu associatif qui rencontre un désir de l'ARS de s'appuyer, dans le cadre de la démocratie sanitaire, sur la parole des personnes concernées et le travail avec elles pour définir les missions de l'agence dans le domaine du VIH/sida.

Auriez-vous pris cette initiative s'il n'y avait pas eu les difficultés entre l'AP-HP et les collectifs de patients et les associations de lutte contre le sida à propos de la réorganisation des services de prise en charge du VIH en Ile-deFrance ?
Vraisemblablement, mais sans doute pas à cette date et pas de manière aussi rapide. Je vous avoue d'ailleurs que cela n'a pas été très facile pour les services de l'ARS car nous avions plusieurs chantiers à traiter en même temps : la création de l'Agence, son déménagement. Donc, oui… et d'ailleurs nous le ferons sur d'autres sujets.

L'intitulé de ces Etats généraux insiste sur la notion de prise en charge "globale". Pourquoi ce terme ?

Parce que le sida est une pathologie qui touche des individus, naturellement sur le plan sanitaire et il est donc nécessaire d'apporter une réponse sanitaire en première urgence, mais pas seulement. Le VIH touche aussi à la vie familiale. Il concerne la relation que les gens entretiennent personnellement avec leur entourage. Il concerne la personne malade dans le milieu professionnel. L'Agence a évidemment comme première vocation de traiter de la santé, mais on ne peut pas aborder ces sujets si on ne tient  pas compte de l'ensemble des préoccupations des personnes concernées, si on ne resitue pas ces sujets dans les problématiques auxquelles celles-ci sont confrontées. D'ailleurs dans les ateliers qui ont été prévus lors de ces Etats généraux, on voit qu'il n'y a pas que la question de la prise en charge sanitaire qui est posée… Ces ateliers traiteront d'autres points.

Quel objectif fixez-vous avec cet événement ?
D'abord de donner la parole aux acteurs concernés et de pouvoir s'appuyer sur ces travaux pour contribuer à définir l'action que l'Agence va mener en matière de VIH/sida. J'ai défini pour l'ARS douze grands projets transversaux qui portent sur des problématiques particulières, en lien avec des plans nationaux, qui concernent des populations qui nécessitent une attention particulière. A ce titre, l'Agence a notamment un grand projet transversal sur le VIH/sida. D'autres portent sur les addictions, les jeunes, les femmes et les enfants. Naturellement, il y a des interactions entre les grands projets transversaux. Je souhaite que nous développions en Ile-de-France une vraie politique dans la prise en charge du sida, dans la prévention, dans l'attention portée à la situation des personnes porteuses du VIH confrontées à des problèmes d'accès aux soins, de difficultés en matière de prévention, de problèmes dans leur vie sociale, familiale, etc. Ces Etats généraux vont nous être utiles pour définir l'ensemble de ces actions. Comme j'ai d'ailleurs eu l'occasion de le dire au comité de pilotage de l'événement, l'Agence n'entend pas mener des politiques juxtaposées les unes à côté des autres, mais bien de les articuler ensemble. Ces Etats généraux s'inscrivent dans la préparation du projet régional de santé que nous allons mettre en place sur l'ensemble des questions de santé dont nous avons à traiter en Ile-de-France. Le VIH/sida est l'une de nos priorités.

Vous allez donc vous servir des travaux des Etats généraux dans le projet régional de santé. Comment cela s'articule t-il avec le Plan national VIH et IST 2010-2014 ?
J'espère qu'il y aura une articulation. Je n'ignore pas le Plan national. Simplement, je souhaite que l'on ait une déclinaison vraiment régionale de ce dernier. La question du sida est une question préoccupante en Ile-de-France. Il me faut adapter les réponses aux problèmes que pose le VIH/sida dans la région. Par exemple, il existe une prévalence importante chez les populations d'origine étrangère. En matière de prévention comme de prise en charge, cela nécessite que des actions particulières soient menées, des vecteurs de communications particuliers utilisés. Mon objectif global en Ile-de-France est de garantir la qualité de la prise en charge de toute la population quelle que soit sa pathologie et de développer des actions de prévention. Il faut que cela soit adapté à chaque situation. J'ai cette préoccupation de ne pas avoir une politique qui soit exclusivement orientée sur le VIH/sida en ignorant les autres pathologies tout en défendant l'idée qu'il faut apporter des réponses qui soient spécifiques à la prise en charge du sida en Ile-de-France, parce que cette maladie concerne des populations qui nécessitent une écoute particulière, qui ont besoin de vecteurs de communication spécifiques.

Ces Etats généraux sont-ils une illustration de ce que vous souhaitez en matière de démocratie sanitaire ?
Oui, c'est un bel exercice de démocratie sanitaire, un exercice exigeant d'ailleurs. C'en est un parmi d'autres. Nous pourrons d'ailleurs le décliner différemment sur d'autres sujets. Nous devons avoir des modes d'intervention et de dialogue différents selon les acteurs, les  secteurs, les sujets de préoccupation que nous pouvons avoir.

Lors d'une interview dans l'émission Survivre au sida vous insistiez sur l'importance de la démocratie sanitaire. A ce titre, comment jugez-vous la politique de restructuration conduite par l'AP-HP, en matière de VIH/sida, qui se fait sans concertation avec les personnes concernées, les collectifs et associations de patients et parfois même sans consultation des soignants ?
Je ne donnerai pas de leçons à l'AP-HP. J'ai un dialogue avec la direction de cette institution et mon rôle consiste à attirer leur attention. Je souhaite et j'essaie moi-même de le pratiquer, que les établissements de santé et tout particulièrement l'Assistance publique parce que c'est une grande institution de la région, veillent à ce qu'un dialogue existe avec les associations. Je constate que ce dialogue n'a pas été bon avec tout le monde. Je ne peux pas dire, d'après ce qui me revient, qu'il n'a pas existé. Je constate que des messages ne sont pas bien passés y compris avec les professionnels de santé. Ce genre de situation est toujours délicat et difficile. Si je prends l'exemple de la pharmacie de l'Hôpital Cochin et la question de la distribution des antirétroviraux, c'est un des sujets qui a fait débat, je constate que tout cela n'a pas été parfait puisqu'il y a un ressenti, le sentiment que quelque chose n'a pas été réglé. J'ai, pour ma part, entendu des avis différents sur ce qui s'est passé. J'attire d'ailleurs l'attention sur le fait que la distribution des antirétroviraux a été rétablie à l'Hôpital Cochin. L'AP-HP a tout de même bien écouté les avis que formulaient les associations et celui du directeur de l'ARS que je suis. Par ailleurs, je dissocierais la question des professionnels de celle des usagers. Du côté des professionnels, ces changements s'inscrivent au terme de mois et de mois de discussions au sein de l'AP-HP. Que certains professionnels de santé n'ayant pas obtenu satisfaction, continuent de critiquer ces décisions, qu'ils le disent… Cela fait partie d'attitudes qu'on connaît bien. J'ajoute que la démocratie sanitaire, c'est exigeant. Il faut bien mesurer que la démocratie sanitaire, c'est la parole donnée aux acteurs, c'est l'écoute que les responsables doivent avoir, mais, à un moment, il faut décider, il faut trancher. Moi, je suis en responsabilité à l'ARS pour décider et pour trancher. Je ne dis pas que parce que j'aurai écouté les gens je suivrais nécessairement l'avis qu'ils me donneront. A un moment, il y a des intérêts divers et globaux qui s'imposent pour l'intérêt général et dont je dois tenir compte. L'intérêt général, ce n'est pas l'addition d'intérêts différents selon les catégories de personnes concernées. Il faut bien à un moment un arbitrage.

La pharmacie de Cochin n'est pas l'unique problème. C'en est un parmi d'autres. Il y a notamment la question des transferts ou des regroupements de service VIH dans un même établissement…
Les regroupements de service ! Moi, je suis pour. Qu'il faille le faire dans une démarche progressive, qu'il faille informer les gens… d'accord. Mais là, nous ne sommes pas dans une démarche qui pénalise l'accès aux soins. Je veux dire par là que nous sommes à Paris. Certes les patients peuvent considérer qu'ils étaient habitués à aller à un endroit, mais si on leur demande d'aller à un autre endroit où toute la prise en charge nécessaire est proposée et assurée, ce n'est pas comme si on déplaçait cette prise en charge à 150 kilomètres.

Vous êtes favorable à cette réorganisation pour des raisons budgétaires ou parce que nous connaissons aujourd'hui un changement de nature de la prise en charge ?
La question de la réorganisation de la prise en charge se pose pour toutes les pathologies. La question budgétaire est, selon moi, un faux débat. Que les choses soient claires : la prise en charge des soins est assurée par la Sécurité sociale. Or, je constate qu'il y a plein de pathologies, de besoins qui ne sont pas pris en charge. Je soutiendrais toute démarche qui tente à veiller à ce que la dépense d'assurance maladie soit bien ciblée. C'est-à-dire que nous nous organisions pour bien soigner les gens, assurer la qualité de la prise en charge, mais l'assurer dans des conditions d'efficience économique et budgétaire. Nous ne sommes pas dans une situation où l'on fait des économies dans le domaine de la santé, il faut se sortir de ce raisonnement. On peut considérer que les moyens ne sont pas suffisants, mais je rappelle que chaque année le budget de la Sécurité sociale augmente. Le Parlement est en train de voter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011. L'objectif national des dépenses de l'Assurance maladie va augmenter l'année prochaine de près de 5 milliards d'euros. Nous ne sommes donc pas dans une situation où, globalement, les moyens diminuent. En revanche, les besoins augmentent en permanence. La question est de savoir si, au regard des besoins qui augmentent, il faut augmenter encore plus la dépense d'assurance maladie. Je rappelle que celle-ci est financée par les cotisations sociales. Tout le monde parle aujourd'hui de l'insuffisance des moyens de prise en charge. Il faut veiller à ce que, tout en assurant la prise en charge des patients, en l'occurrence des personnes malades du VIH/sida, l'on s'efforce de mieux organiser les choses. Qu'il y ait des regroupements de services, à partir du moment où l'on est sur une offre de soins qui reste dans le cadre accessible de l'AP-HP, ne pose pas de problèmes particuliers. Nous sommes dans une ville où il y a des transports en commun. Les patients peuvent se déplacer. Il ne s'agit pas de les envoyer à 100 ou 150 kilomètres… Ce n'est pas comme si en région des Pays de la Loire, on disait aux gens : "Vous ne serez plus pris en charge à Angers. Vous serez tous pris en charge à Nantes". Nous ne sommes pas dans cette situation. Que cela se fasse en informant les associations et les patients, que les conditions de prise en charge soient garanties, évidemment que oui. Le fait de dire : "On va continuer à être pris en charge là, parce qu'on y a toujours été pris en charge", ça se discute.

Quel partenariat envisagez-vous avec les Corevih dans la définition de votre politique régionale en matière de VIH/sida ?
Les Corevih présentent l'avantage d'être des lieux dans lesquels des professionnels se rassemblent, travaillent ensemble, organisent les modalités de prise en charge… Ces structures sont dans la suite des Cisih [Centre d'information et de soins de l'immunodéficience humaine]. Or, historiquement, il se trouve que les Cisih, c'est moi qui les ai mis en place lorsque j'étais ministre de la Santé [1988-1991]. Cela rejoint la question de la prise en charge globale. Le sida est une pathologie qui, comme le cancer d'ailleurs, nécessite une intervention multidisciplinaire qui recouvre les soins, la recherche, les questions sociales parfois aussi…Les Corevih remplissent une grande partie de ces missions, d'ailleurs ils ont joué un rôle important dans la préparation des Etats généraux.


Comptez-vous collaborer avec eux sur la définition de la politique régionale de lutte contre le VIH/sida ?
Les Corevih sont des acteurs déterminants de ces Etats généraux. Notre collaboration se fait notamment là. Comme les Etats généraux vont aider à définir la politique de l'Agence, ils seront naturellement associés à sa définition.

Quelles sont les grandes priorités de votre politique concernant le VIH/sida ?
J'attends les Etats généraux. Je ne vais tout de même pas définir les priorités avant d'avoir écouté.
Mais vous avez déjà des idées…
Oui, mais cela n'a aucun intérêt que je les formule avant les Etats généraux, sinon je ne m'inscrirais pas dans une démarche de démocratie sanitaire. Je vais écouter ce qui sera dit, les points sur lesquels les Etats généraux vont insister et nous ouvrirons cela à d'autres réflexions si cela s'avère nécessaire. Je souhaite d'abord écouter les Etats généraux.

Vous avez été ministre de la Santé de 1988 à 1991 à une période particulièrement difficile et délicate de l'épidémie de sida. Entre ces années-là et aujourd'hui, qu'est-ce qui vous frappe le plus ?

C'est qu'il y a désormais des perspectives de traitement. Ce n'était pas le cas dans la période où j'étais ministre. L'issue alors était malheureusement assez inéluctable. Les perspectives de pouvoir vivre avec le VIH étaient très, très faibles. C'était aussi une période où la prévention démarrait.


Pour participer aux Etats généraux sur la prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH en Ile-de-France (26-27 novembre 2010, Paris), inscrivez-vous maintenant sur le site consacré à l'événement.


Propos recueillis par Jean-François Laforgerie
Photographies Stéphane Blot (Convention AIDES 2010)

Commentaires

Portrait de sonia

Surtout ne vous bousculez pas pour y aller ! c'est la preuve que l'épidémie recule....Seronet : C'est pour quand la visio en direct live ? [message modéré]