"En une année, nous avons assisté à plus d’expulsions d’étrangers gravement malades que lors des 15 dernières années !"

Publié par jfl-seronet le 04.11.2013
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Droit et socialdroits des étrangers maladesrapport EMA

Quelles situations connaissent les personnes étrangères vivant avec le VIH et/ou une hépatite en France en matière de droit au séjour ? Le 2ème rapport de l’Observatoire Etrangers Malades (EMA) créé par AIDES livre de précieuses informations et dresse un bilan accablant. Clémentine Bonifay-Besson, Cécile Chaussignand et Adeline Toullier qui l’ont réalisé le présentent. Interview.

Ce rapport de l’Observatoire étrangers malades est le deuxième. Quelles évolutions ont connu le droit au séjour pour soins depuis la sortie du premier Rapport EMA en 2012 ?

Cécile Chaussignand : Entre avril 2012, date de la sortie du premier rapport, et octobre 2013, il y a eu quelques maigres changements juridiques et beaucoup de changements pratiques pour les personnes étrangères. La situation s’est gravement dégradée sur le terrain ; sur le plan politique, nous n’avons pu que constater un désengagement fort du ministère de la Santé sur ce dossier. On se souvient du contexte juridique fortement dégradé, en 2011, par l’adoption de la loi dite Besson, qui réduisait l’accès au titre de séjour pour les étrangers malades en considérant la notion d’"existence" de traitement dans le pays d’origine au lieu de la notion d’"accessibilité" au traitement, pour la personne. Les élections présidentielles puis législatives de 2012 avaient permis d’envisager un certain nombre d’avancées suite au changement de gouvernement : retour à l’ancienne version de la loi pour une réelle protection des étrangers malades, annulation de la taxe de 30 euros sur l’aide médicale d’état (AME) et remise à plat du dispositif même de l’AME, simplification des démarches administratives liées aux conditions d’accès à un titre de séjour, en conformité avec la réglementation… Malheureusement, à l’exception de la taxe de 30 euros sur l’AME qui a été supprimée, aucune de ces améliorations n’a été mise en place et les promesses faites durant la campagne présidentielle (1) sont restées vaines.

Pire : les taxes sur les titres de séjour sont restées élevées et certaines "amendes" ont été créées ; les conditions administratives sont toujours aussi déplorables et soumises à la souveraineté des agents de guichet ; l’autorité administrative empiète sur les prérogatives dévolues à l’autorité en charge de la santé (ruptures du secret médical au niveau des préfectures, enquêtes menées par les préfets sur la disponibilité du traitement dans le pays d’origine) ; enfin, les refus de séjour pour des personnes originaires de pays en développement se multiplient, entrainant de nombreux placements en rétention. En une année, nous avons assisté à plus d’expulsions d’étrangers gravement malades que lors des 15 dernières années !

En 2011, le ministère de la Santé a adressé des instructions visant à limiter les effets de la loi Besson, notamment en matière de rétention et d’expulsions d’étrangers gravement malades. Or dans une conférence de presse de l’ODSE, il y a quelques mois, vous expliquiez que malgré cela la situation était mauvaise, que des expulsions se multipliaient. Que nous indique le rapport de l’Observatoire sur ce sujet ?

Cécile Chaussignand : Les constats dressés en mars 2013 par l’ODSE [Observatoire du droit à la santé des étrangers) se sont confirmés. Le rapport IGA-IGAS [Inspection générale de l’Administration et Inspection générale des Affaires sociales, ndlr], sorti quelques jours après la conférence de presse de l’ODSE fait d’ailleurs des constats convergents - même s’il n’en tire pas les mêmes conséquences et leçons que les associations. On peut caractériser ainsi la situation actuelle. Le ministère de l’Intérieur s’immisce dans les questions de santé. Cela peut prendre plusieurs formes : une forme institutionnelle avec le médecin de la préfecture de police de Paris qui est directement sous les ordres du préfet de police ou une forme politique avec le poste de médecin du ministère de l’Intérieur qui constitue en soi une ingérence et une confusion des genres.

C’est aussi, et c’est une nouveauté depuis le printemps 2013, de plus en plus de préfets qui se lancent dans des contre-enquêtes médicales : ils font fi de l’avis du médecin de l’agence régionale de santé (MARS) favorable au maintien de la personne en France et décident de procéder eux-mêmes à l’évaluation médicale de la personne (en consultant un médecin d’ambassade, un service hospitalier ou autre). Et parce qu’ils considèrent qu’une pathologie n’est pas si grave, que la personne ne suit pas si bien que cela son traitement, que le système de santé du pays d’origine n’est pas si dégradé, alors, en dépit de l’avis positif du MARS, ils refusent le titre de séjour et obligent l’intéressé à quitter le territoire. Pendant ce temps-là, le ministère de la Santé démissionne et ne défend pas les enjeux de santé. Cela signifie qu’il ne fait pas connaitre son instruction de novembre 2011, il ne rappelle pas à l’ordre les MARS qui émettent des avis défavorables en contradiction avec cette instruction, il hésite à intervenir quand les associations l’interpellent sur une personne en rétention, à quelques heures d’être expulsée. Et surtout, il ne défend pas son pré carré en comité interministériel. Bref, une indifférence et une tiédeur incompréhensibles, pour ne pas dire scandaleuses. Sur le terrain, les conséquences sont nettes : les MARS ignorent l’instruction de novembre 2011, volontairement ou non, avec plus ou moins de pression de la part du préfet ; ils rendent des avis négatifs sur des maladies graves et sans possibilité réelle d’accès au traitement dans les pays d’origine. Spécifiquement sur les expulsions, la situation est inédite. Non seulement le nombre d’expulsions effectives a considérablement augmenté, mais au surplus, les méthodes ont évolué traduisant un véritable acharnement : expulsions alors que l’avis médical n’est pas rendu, vols spécialement affrétés à l’aéroport du Bourget (2) pour éviter les regards, etc.

Que nous apprend le rapport EMA sur les conséquences des problèmes, obstacles rencontrés par les personnes étrangères malades sur leur qualité de vie ?

Clémentine Bonifay-Besson : Les rubriques d’impacts sont en quelque sorte "le plus" de cet Observatoire dans la mesure où il s’agit de données inédites très intéressantes à mettre en perspective avec la procédure d’accès à un titre de séjour. Dans le premier rapport (avril 2012), les données (moral, santé, accès aux droits) suivaient trois courbes bien définies. Le moral est plutôt haut en début de parcours de régularisation (les personnes ont confiance dans les préfectures et dans leur pays d’accueil), il se dégrade durablement à mesure que les personnes sont confrontées aux difficultés d’accès à leur titre de séjour (délais de traitement des demandes, attitudes dégradantes de la part des agents préfectoraux). Le moral reste bas même lorsque les personnes accèdent à des titres de séjour pérennes.

La santé et l’accès aux droits : pour ces deux catégories, c’est bas en début de parcours puis amélioration progressive et durable. Les données du second rapport sont moins nettes en termes d’évolution. Il ressort que le moral est très oscillant (et globalement bas) et accuse des scores faibles tout au long du processus de régularisation. En avançant dans la procédure, les personnes perdent confiance dans les administrations, dans la France, elles se méfient de plus en plus de leurs interlocuteurs.

Un des arguments avancés régulièrement, c’est notamment vrai pour la Guyane, est celui de l’appel d’air, de la migration sanitaire. Que nous indique le rapport EMA à ce propos ?

Adeline Toullier : Nous n’avons pas recueilli de données individuelles sur ces dimensions ; le rapport EMA fait toutefois part d’informations renseignées par d’autres. Il n’y a pas d’appel d’air : les chiffres des titres de séjour pour soins délivrés sont stables depuis plusieurs années (environ 30 000 titres remis, dont 6 000 personnes vivant avec le VIH). Il n’y a pas de migration sanitaire. Autrement dit, les étrangers ne viennent pas en France pour se faire soigner dans une très grande majorité des cas ; le motif de soins apparait dans les données de Médecins du Monde, par exemple, très loin derrière les motifs économiques, politiques ou familiaux. En outre, selon plusieurs études associatives et institutionnelles (celles de l’Institut national de veille sanitaire en 2002, de Médecins du Monde en 2009, du Comede en 2012 ), moins de 10 % des personnes connaissaient leur statut sérologique avant d’arriver en France. Cela signifie que plus de 90 % découvrent leur VIH en France. Selon les études en cours, le dispositif est maitrisé et équilibré.

Ces dernières années, on a vu, concernant le droit au séjour pour soins, se combattre, y compris au gouvernement, deux logiques : celle du ministère de l’Intérieur avec le contrôle renforcé des politiques migratoires, celle du ministère de la Santé préoccupé de santé publique. Aujourd’hui, depuis l’alternance de quel côté penche-t-on ?

Adeline Toullier : On penche très nettement du côté de la politique sécuritaire, la politique de la maitrise des flux migratoires avec "humanité" et "fermeté". Expulser des personnes touchées par le VIH ou une hépatite ne semble pas du tout poser de problème de principe ou de conscience à ce gouvernement. Le ministère de la Santé est totalement en retrait, la ministre semble avoir renoncé à faire entendre sa voix et à défendre les enjeux de santé publique. C’est une démission absolument intolérable.

La France va connaître en 2014 deux élections : les municipales, les européennes. De votre point de vue, cela créé-t-il un contexte plus difficile ou pas concernant le droit au séjour pour soins et plus largement la question des droits des étrangers en France ?

Cécile Chaussignand : En ce qui concerne les municipales, les compétences directes du maire en matière d’immigration restent limitées. Il en va différemment au niveau des européennes, puisque l’Union Européenne dispose d’importantes prérogatives dans le champ migratoire. Quoiqu’il en soit, la coïncidence de calendrier de ces deux élections, les paradoxes gouvernementaux, la position actuelle du Front national et les réactions qu’elle suscite dans l’ensemble de l’échiquier politique laissent présager que l’immigration sera (encore) un sujet. Sur le plan politique, il n’est pas certain que le gouvernement aille jusqu’à instrumentaliser le calendrier parlementaire pour occuper le terrain et entretenir les débats et les fantasmes. Sur le plan pratique, la situation est tellement dégradée qu’on ne peut pas, on ne veut pas, imaginer que cela puisse empirer encore !

Le rapport de l’Observatoire EMA, octobre 2013, est téléchargeable.

(1) Dans une interview à Seronet, le candidat François Hollande avait qualifié d’"hypocrite" la réforme Besson de juin 2011.
(2) Aéroport qui n’accueille pas de vols commerciaux, mais des vols officiels.

Commentaires

Portrait de bernardescudier

 Quelles actions preconisez vous au-dela des discours ? Pour arreter l'expulsion des migrants malades !

Portrait de ours31

aucun arretons d entretenir un systeme  de payer des frais medicaux  et arretons de raller pour nos impots car il y a des seropo qui on meme pas la cmu et n ont pas les moyens de ce payer une mutuelle